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CHAPITRE VII
LE CHEF D’INDUSTRIE

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Table des matières

Outillage et locaux industriels.—Acquisition des matières premières.—Sociétés commerciales.—Cumul de professions.—Jours chômés et morte-saison.—Coalitions.—Situation comparée des chefs d’industrie.—Caractère économique du chef d’industrie.

Pour se représenter la situation du chef d’industrie au XIIIe et au XIVe siècle, il faut oublier le manufacturier contemporain avec ses affaires considérables, ses gros capitaux, son outillage coûteux, ses nombreux ouvriers. La fabrication en gros n’était pas imposée, comme aujourd’hui, par l’étendue des débouchés et par la nécessité d’abaisser le prix de revient pour lutter contre la concurrence. Le fabricant n’avait donc pas besoin de locaux aussi vastes, d’un outillage aussi dispendieux, d’un approvisionnement aussi considérable. D’ailleurs les corporations possédaient des terrains, des machines qu’elles mettaient à la disposition de leurs membres[451]. Les étaux de la Grande-Boucherie appartenaient à la communauté, qui les louait tous les ans[452]. On n’a pas conservé assez de baux de cette époque pour pouvoir donner même un aperçu des loyers des boutiques et des ateliers. Le montant de ces loyers était nécessairement très-variable. Ainsi les chapeliers louaient plus cher que d’autres industriels, parce qu’en foulant ils compromettaient à la longue la solidité des maisons[453]. Les marchandises garantissaient le payement du loyer. Quand un boucher de Sainte-Geneviève ne payait pas le terme de son étal, qui était de 25 s., soit 100 s. par an, l’abbaye saisissait la viande et la vendait. Plusieurs bouchers prétendirent que la viande était vendue au-dessous de sa valeur et qu’elle devait être estimée; mais le maire de l’abbaye leur donna tort et ils perdirent également en appel au Châtelet[454]. Signalons, à titre de curiosité, le bail de la maison dite le Parloir aux bourgeois, entre le Châtelet et Saint-Leufroi. Le prévôt des marchands et les échevins stipulent des preneurs, c’est-à-dire du chapelier du roi et de sa femme, une rente de 16 livres, plus «douze dousaines de chappeaulx appeléz bourreléz de fleurs et six boucquéz, c’est assavoir quatre dousaines de chappeaulx de margolaine, trois dousaines de romarin et cinq dousaines de pervenche, tous bourreletz papillotéz d’or et les six boucquetz de rozes que lesd. Jehan et Bourgot... seront tenus rendre et paier pour tous devoirs[455].» Le loyer s’augmentait souvent d’un droit payé au roi ou au seigneur justicier et au prévôt des marchands pour empiétement sur la voie publique. Le maréchal-ferrant, qui voulait établir un travail devant sa forge, devait obtenir l’autorisation du voyer de Paris, qui, sur le rapport du garde de la voirie, fixait le prix de l’emplacement concédé. Le concessionnaire payait en outre une redevance annuelle[456]. L’autorisation du voyer et aussi, semble-t-il, celle du prévôt des marchands, étaient nécessaires pour établir des auvents, des saillies, des degrés, bref pour enlever à la circulation une partie de la rue. Le voyer appréciait le dommage qui pouvait en résulter pour le public et fixait les mesures que le concessionnaire ne devait pas dépasser[457]. Les seigneurs justiciers avaient aussi leurs voyers[458]. On accordait assez facilement au commerce le droit d’empiéter sur la rue; du moins le prévôt des marchands était si prodigue de ces permissions, dont il tirait profit, qu’au XIVe siècle la circulation était presque impossible dans les rues principales[459]. Le 15 mai 1394, le prévôt de Paris ordonna par cri public aux marchands de débarrasser la chaussée de leurs étaux et étalages[460].

Les boutiques s’ouvraient sous une grande arcade, divisée horizontalement par un mur d’appui et en hauteur par des montants de pierre ou de bois. Les baies comprises entre ces montants étaient occupées par des vantaux[461]. Le vantail supérieur se relevait comme une fenêtre à tabatière, le vantail inférieur s’abaissait, et, dépassant l’alignement, servait d’étal et de comptoir[462]. Le chaland n’était donc pas obligé d’entrer dans la boutique pour faire ses achats. Cela n’était nécessaire que lorsqu’il avait à traiter une affaire d’importance. Voilà pourquoi les statuts défendent d’appeler le passant arrêté devant la boutique d’un confrère, pourquoi les textes donnent souvent aux boutiques le nom de fenêtres. Le public voyait plus clair au dehors que dans ces boutiques qui, au lieu des grandes vitrines de nos magasins, n’avaient que des baies étroites pour recevoir le jour. Les auvents en bois ou en tôle, les étages supérieurs qui surplombaient le rez-de-chaussée, venaient encore assombrir les intérieurs. Les drapiers, par exemple, tendaient des serpillières devant et autour de leurs ouvroirs. Le prévôt de Paris les interdit comme interceptant le jour et empêchant de discerner la qualité des étoffes. Mais les drapiers ayant représenté que, depuis leur suppression, le vent et la poussière entraient dans les ouvroirs et que l’éclat du soleil trompait les acheteurs, un autre prévôt, par une ordonnance du 6 octobre 1391, autorisa les drapiers, dont l’atelier faisait face à une maison ou à un cimetière, à avoir une serpillière descendant jusqu’à une aune et demie du rez-de-chaussée. Ces auvents auraient la même saillie et le passage resterait libre dessous pour les piétons et les cavaliers. Cependant si le drapier avait pour voisin un pelletier, il pouvait placer entre son atelier et celui du pelletier une serpillière de trois quartiers de largeur pour protéger ses draps contre le poil et la craie. Les drapiers, qui n’avaient pas de constructions devant eux étaient autorisés à faire descendre leurs serpillières jusqu’au rez-de-chaussée[463].

L’atelier et la boutique ne faisaient qu’un. En effet les règlements exigeaient que le travail s’exécutât au rez-de-chaussée sur le devant, sous l’œil du public[464]. Les clients qui entraient chez un fourbisseur, voyaient les ouvriers, ce qui ne serait pas arrivé si l’atelier et la boutique avaient été deux pièces distinctes[465]. Quant aux dimensions des étaux et des ateliers, nous avons trouvé des étaux de trois pieds[466], de cinq pieds[467], de cinq quartiers[468], des étaux portatifs de cinq pieds[469]. Une maison du Grand-Pont avait sur sa façade trois ateliers, dont l’un mesurait deux toises de long sur une toise et demie de large y compris la saillie sur la voie publique[470]. Les étaux des Halles étaient tirés au sort entre les maîtres de chaque métier[471].

Lorsque nous nous occuperons de certains métiers à un point de vue technique, nous traiterons de la provenance et de la qualité des matières premières propres à ces métiers. Pour le moment, nous voulons seulement parler d’une façon générale de l’acquisition des matières premières.

Les matières premières qui entraient à Paris, devaient être portées aux Halles, où elles étaient visitées[472]. Les fabricants ne pouvaient les acheter lorsqu’elles étaient encore en route et s’approvisionner ainsi aux dépens de leurs confrères[473]. Les corporations en achetaient en gros pour les partager ensuite également entre tous les maîtres; déjà sans doute, afin d’éviter les injustices et les réclamations, les parts étaient tirées au sort[474]. Un texte nous montre les gardes-jurés des cordonniers de cordouan marchandant pour la corporation cinquante-quatre douzaines de peaux de cordouan venant d’Alençon. Un marchand, ayant offert un prix supérieur, se rendit acquéreur de ces cuirs moyennant 3 fr. la douzaine, mais les gardes-jurés les firent saisir avant que l’acheteur les eût enlevés des Halles. De quel droit, de quel prétexte s’autorisèrent-ils pour le faire? c’est ce que le texte ne dit pas, mais, à l’insistance avec laquelle l’acheteur affirme devant le prévôt de Paris que personne ne s’est présenté ni le jour de la vente, ni durant les onze jours suivants pour réclamer une part dans la marchandise, on voit que la corporation prétendait participer au marché[475]. Si ce droit était douteux dans l’espèce, il ne l’était pas entre gens du même métier. Lorsqu’un fabricant survenait au moment où un confrère allait conclure un marché ayant pour objet des matières premières ou des marchandises du métier, le témoin pouvait se faire céder, au prix coûtant, une partie de l’achat. Comme la défense d’aller au devant des matières premières, comme le lotissement, cet usage singulier avait pour but d’empêcher l’accaparement, de faire profiter tous les membres de la corporation des bonnes occasions. Il était fondé sur cette idée, que les fabricants du même métier n’étaient pas des concurrents avides de s’enrichir aux dépens les uns des autres, mais des confrères, animés de sentiments réciproques d’équité et de bienveillance et appelés à une part aussi égale que possible dans la répartition des bénéfices. Cette conception des rapports entre confrères découlait nécessairement de l’existence même des corporations, comme la concurrence à outrance résulte de l’isolement des industriels modernes. Pour exercer le droit dont nous venons de parler, il fallait posséder la maîtrise dans sa plénitude. Ainsi un boulanger haubanier pouvait réclamer sa part dans le blé acheté par un confrère non haubanier, mais la réciproque n’avait pas lieu[476]. Les fripiers ambulants n’étaient pas admis à intervenir dans les marchés conclus devant eux par des fripiers en boutique, tandis que ceux-ci participaient aux achats faits par les premiers[477]. Les pêcheurs et marchands de poisson d’eau douce payaient 20 s., en sus du prix d’achat du métier, pour acquérir ce droit[478]. Lorsque le patron était empêché, sa femme, un enfant, un apprenti, un serviteur avaient qualité pour l’exercer à sa place[479]. C’est, comme nous l’avons dit, au moment où le marché était conclu soit par la paumée, soit par la remise du denier à Dieu, que le tiers devait être présent[480]. Cependant il semble résulter d’un texte précédemment cité que, plusieurs jours après, il était encore temps de se faire céder une partie des marchandises. Quoi qu’il en soit, ce délai ne profitait aux tiers que lorsque l’acheteur ne prenait pas immédiatement livraison; si, au contraire, comme cela arrivait le plus souvent, il entrait de suite en possession, il était trop tard pour intervenir dans un marché qui avait été exécuté, pour réclamer une part dans des denrées qui n’existaient plus qu’in genere. Le tiers intervenant devait payer comptant ou au moins dans un délai très-rapproché[481]. C’est à l’acheteur et non au vendeur qu’il payait le prix afférent à sa part. Il n’était en effet que le cessionnaire du premier, lequel restait débiteur du prix intégral et avait seulement un recours contre son confrère. Guillaume Nicolas, marchand de cordouan établi à Paris, avait acheté d’un marchand espagnol environ cent quarante-huit douzaines de peaux de cordouan à 60 s. p. la douzaine. Il devait encore le prix de dix-neuf douzaines. Poursuivi au Châtelet, il appela en garantie Philippot de la Ruele, qui, témoin du marché, s’était fait céder ces dix-neuf douzaines. Celui-ci fut condamné à les prendre et à les payer à Guillaume Nicolas, qui satisferait son vendeur, déduction faite de l’impôt pour le payement duquel les marchandises avaient été saisies[482]. On verra que le droit des tiers de prendre part à un marché conclu en leur présence n’existait pas seulement entre confrères, mais que, pour certains objets de consommation, les bourgeois l’exerçaient à l’égard de quiconque achetait pour revendre.

Après avoir parlé des éléments du prix de revient, il nous reste à déterminer l’importance et le caractère du bénéfice du fabricant. Nous essaierons de le faire, non d’après des chiffres qui ne peuvent être concluants que pour les métiers auxquels ils se rapportent, mais d’après certains faits dont l’influence sur la situation du chef d’industrie est incontestable. Nous traiterons successivement à ce point de vue des sociétés commerciales, du cumul des professions, des jours chômés et de la morte-saison, des coalitions. Les conditions auxquelles est soumis le prix courant sont si nombreuses qu’il est impossible de les prendre toutes en considération.

La préoccupation d’empêcher une trop grande inégalité dans la répartition des bénéfices devait rendre les corporations peu favorables aux sociétés commerciales. L’association, en effet, crée de puissantes maisons qui attirent toute la clientèle et ruinent les producteurs isolés. Aussi certaines corporations défendaient les sociétés de commerce[483]. Mais cette prohibition, loin d’être générale, comme on l’a dit[484], avait un caractère exceptionnel. Si ces sociétés n’avaient pas été parfaitement légales, Beaumanoir ne leur aurait pas donné une place dans son chapitre des compaignies. Le jurisconsulte traite dans ce chapitre des associations les plus différentes, telles que la communauté entre époux, la société taisible, les sociétés commerciales, etc. Parmi ces dernières, il distingue celle qui se forme ipso facto par l’achat d’une marchandise en commun et celles qui se forment par contrat. Celles-ci étaient nécessairement très-variées, et, pour donner une idée de leur variété, Beaumanoir cite la société en commandite, la société temporaire, la société à vie; puis il énumère les causes de dissolution, et il termine en parlant des actes qu’un associé fait pour la société, de la responsabilité de ces actes, de la proportion entre l’apport et les bénéfices de chaque associé, enfin du cas où un associé administre seul les affaires sociales[485]. D’autres textes, dont deux sont relatifs à des sociétés en commandite et un troisième à une liquidation entre associés, prouvent surabondamment que l’industrie parisienne connaissait les sociétés commerciales[486]; mais, en somme, ces textes sont peu nombreux, et nous croyons que de nouvelles recherches n’en augmenteront pas sensiblement le nombre. Il faut en conclure qu’on ne comptait pas à Paris beaucoup de maisons dirigées par des associés ni même soutenues par des commanditaires. Nous n’avons trouvé la raison sociale d’aucune société française, tandis qu’on nommerait bien une dizaine de sociétés italiennes se livrant en France à des opérations de banque et de commerce[487].

Certains commerçants exerçaient à la fois plusieurs métiers ou joignaient aux profits du métier les gages d’un emploi complétement étranger au commerce et à l’industrie. On pouvait être en même temps tanneur, sueur, savetier et baudroyeur, boursier et mégissier[488]. Le tapissier de tapis sarrazinois avait le droit de tisser la laine et la toile après avoir fait un apprentissage, et réciproquement, le tisserand fabriquait des tapis à la même condition[489]. Les statuts des chapeliers de paon prévoient le cas où un chapelier réunirait à la chapellerie un autre métier[490]. La profession de tondeur de drap était incompatible avec une autre industrie, mais non avec le commerce ni avec des fonctions quelconques[491]. Il était permis aux émouleurs de grandes forces de tondre les draps et de forger; le cumul de tout autre métier leur était interdit[492]. Un certain nombre de gens de métiers figurent dans les registres d’impositions de 1292 et de 1313 avec le titre de sergents du Châtelet[493].

Les femmes de patrons ne se bornaient pas à aider leur mari dans leurs affaires, à tenir par exemple les écritures[494]; elles grossissaient encore les revenus du ménage en faisant des affaires de leur côté. Nous signalerons une saisie pratiquée sur les biens avec lesquels la femme d’un charpentier se livrait au commerce de la friperie[495].

L’industrie chômait le dimanche, à la Noël, à l’Épiphanie, à Pâques, à l’Ascension, à la Pentecôte, à la Fête-Dieu, à la Trinité, aux cinq fêtes de la Vierge, à la Toussaint, aux fêtes des Apôtres, à la Saint-Jean-Baptiste, à la fête patronale de la corporation. Le samedi et la veille des fêtes, le travail ne durait pas au delà de nones, de vêpres ou de complies. Certaines corporations permettaient de travailler et de vendre en cas d’urgence ou lorsque le client était un prince du sang[496]. Dans un grand nombre de métiers, une ou plusieurs boutiques restaient ouvertes les jours chômés et les chefs d’industrie profitaient à tour de rôle de ce privilége lucratif.

Certaines industries connaissaient la morte-saison. C’est évidemment la morte-saison qui permettait aux ouvriers tréfiliers loués à l’année de se reposer pendant le mois d’août[497]. L’industrie moderne n’en est pas exempte; mais le travail ne s’y arrête jamais complétement, grâce au développement des débouchés et aussi à cause de la nécessité d’utiliser un outillage coûteux qui se détériore lorsqu’il ne fonctionne pas.

Les coalitions étaient interdites entre fabricants comme entre ouvriers. D’après Beaumanoir, ceux qui prennent part à une coalition ayant pour but de faire hausser les salaires et accompagnée de menaces et de pénalités, sont passibles de la prison et d’une amende de 60 s.[498]. Il n’est question que d’amende, mais d’amende arbitraire, dans les statuts des tisserands drapiers[499]. On se coalisait aussi pour obtenir une réduction des heures de travail[500]. Les tanneurs de Troyes s’étaient entendus pour ne pas enchérir les cuirs marchandés par l’un d’eux. Comme on ne pouvait les vendre qu’à eux, parce qu’ils n’auraient jamais consenti à tanner les cuirs achetés par d’autres, force était aux marchands de se défaire de leurs cuirs à bas prix. Les cuirs étaient ensuite portés à la halle aux tanneurs et revendus au tanneur qui se portait dernier enchérisseur; puis tous les membres présents se partageaient la plus-value. Le Parlement interdit cette coalition par un jugé du 9 août 1354[501]. La justice ne manquait pas de frapper les coalitions, quand elles étaient portées à sa connaissance et qu’elle avait entre les mains des preuves suffisantes. Mais il était bien facile à des fabricants peu nombreux de s’entendre secrètement pour fixer le prix de leur travail. Ainsi une coalition, formée par les tisserands de Doullens, dura pendant six ans sans donner lieu à des poursuites, et, lorsque l’échevinage en fut informé ou en eut recueilli les preuves, il ne sut comment traiter les coupables et demanda à l’échevinage d’Amiens ce qu’il ferait en pareil cas[502]. Cela prouve, non que les coalitions entre fabricants étaient rares, mais plutôt qu’elles ne conduisaient pas souvent leurs auteurs devant la justice. En réalité les chefs d’industrie fixaient à leur gré le prix de leurs produits et de leur main-d’œuvre, et, si quelque chose était capable de modérer leurs exigences, c’était seulement la concurrence de l’industrie étrangère.

Il semble que le monopole devait enrichir tous les maîtres et que l’industrie ne conduisait jamais à la ruine et à la misère. Assurément la plupart des fabricants faisaient de bonnes affaires; mais il y en avait aussi qui vivaient dans la gêne, qui étaient pauvres en quittant les affaires, qui tombaient en déconfiture. Les corporations avaient des caisses de secours pour assister ceux de leurs membres qui n’avaient pas réussi[503]. Nous savons que des patrons cédaient leurs apprentis parce qu’ils n’étaient plus en état de les entretenir. Il y avait parmi les fourbisseurs et les armuriers des gens pauvres, habitant les faubourgs, qui, ayant peu de chances de vendre dans leurs boutiques, avaient la permission de colporter leurs armures[504]. On se rappelle que des chaussetiers établis avaient dû renoncer à travailler pour leur compte et rentrer dans la classe des simples ouvriers[505]. Le prévôt de Paris abaissait quelquefois l’amende encourue pour contravention aux statuts à cause de la pauvreté du contrevenant[506]. Une liniere se voit retirer son apprentie, parce qu’elle était souvent sans ouvrage, n’avait pas d’atelier et ne travaillait que chez les autres[507]. La fortune ne souriait donc pas à tous, et la situation des fabricants était plus variée que ne le ferait supposer un régime économique, qui, restreignant leur nombre, imposait à tous les mêmes conditions d’établissement, les mêmes procédés et les mêmes heures de travail, leur ménageait autant que possible les mêmes chances d’approvisionnement et aurait dû par conséquent leur assurer le même débit. C’est que mille inégalités naturelles empêchaient l’uniformité à laquelle tendaient les règlements.

Pour caractériser, en terminant, le rôle économique du chef d’industrie, nous dirons que c’était à la fois un capitaliste et un ouvrier, et que ses bénéfices représentaient en même temps l’intérêt de son capital et le salaire de son travail; mais nous ajouterons que le peu d’importance des frais généraux, la rareté des associations, en faisaient un artisan beaucoup plus qu’un capitaliste et assignaient au travail une part prépondérante dans la production.

Études sur l'industrie et la classe industrielle à Paris au XIIIe et au XIVe siècle

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