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CHAPITRE II

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OÙ, POUR LA SECONDE FOIS, GONTRAN A UNE IDÉE LUMINEUSE

lcide!

—Gontran!

—Je n'en puis plus.

—Allons, un peu de courage encore!

—Eh! du courage, j'en ai... mais c'est mon estomac qui n'en a pas... depuis trente heures que je ne lui ai pas fourni sa ration quotidienne, il regimbe et réclame ses droits.

Le jeune comte avait prononcé ces mots d'une voix faible qui impressionna vivement Fricoulet.

L'ingénieur, qui s'occupait à liquéfier et à solidifier, au moyen d'une pompe à compression, de l'azote et de l'oxygène, abandonna aussitôt sa besogne et accourut auprès de M. de Flammermont.

—Eh quoi! fit-il en essayant de plaisanter, tu n'es pas capable de te passer de manger pendant plus de deux jours... sais-tu bien que tu fais un déplorable explorateur!

Gontran hocha la tête.

—Oh! dit-il, je donnerais un de mes membres pour être attablé devant une côtelette au cresson ou un beefsteak aux pommes...

—Toujours ta marotte, répliqua l'ingénieur en souriant.

—Oui, et si cela continue, cette marotte va se transformer en folie... je le sens, ma tête devient vide, mes idées se brouillent et, en même temps...

Il porta les mains à sa poitrine dans un geste douloureux.

—Oh! que je souffre! soupira-t-il.

—Et rien à te mettre sous la dent, mon pauvre vieux, dit affectueusement Fricoulet... Oh! si les choses avaient marché comme l'espérait Ossipoff... mais tu as été témoin, toi-même, des difficultés qu'il a rencontrées... deux fois déjà, il a recommencé l'opération... de là le retard... mais maintenant il prétend être certain du succès.

Gontran hocha la tête.

—Si son succès tarde à venir, il arrivera trop tard, grommela-t-il.

Comme il achevait ces mots, le vieillard, dont on apercevait la silhouette courbée sur des cornues, à l'extrémité de la salle, poussa une exclamation de triomphe:

—Gontran! Fricoulet! appela-t-il.

Les deux jeunes gens accoururent et arrivèrent assez à temps pour recevoir, entre leurs bras, Mickhaïl Ossipoff, terrassé, lui aussi, par la faim et qui, avec une énergie indomptable, avait lutté cependant jusqu'au moment de la victoire.

Avec des efforts inouïs, il étendit la main vers un récipient au fond duquel s'apercevait une matière noirâtre d'aspect gélatineux.

—Là, réussit-il à balbutier; mangez... vite... vite...

Sa tête se renversa en arrière et il demeura sans mouvement, comme évanoui.

Gontran et Fricoulet se regardaient terrifiés:

—Mort! exclama le jeune comte, il est mort.

—Non! répliqua l'ingénieur, mais il ne s'en faut guère... aide-moi à le transporter sur sa couchette, ensuite nous aviserons à ce qu'il convient de faire.

Quand le vieillard fut étendu, le buste un peu relevé pour faciliter le jeu des poumons, le jeune comte et son compagnon revinrent vers les cornues dont Ossipoff s'était servi pour composer la préparation alimentaire qui devait assurer l'existence de nos voyageurs.


—Alors, murmura Gontran en faisant la grimace, c'est cela qu'il nous faut absorber?

—Il le prétend, du moins...

—Mais si nous allions nous empoisonner.

—Impossible... étant donné que tous les corps simples qui entrent là-dedans sont absolument inoffensifs.

—En tout cas, rien que de voir cela, je sens l'appétit qui s'en va... pouah!... on dirait de la pâte de réglisse.

Cependant, sans prêter attention aux répugnances de Gontran, Fricoulet avait débouché le récipient et ramené, au bout de son couteau, gros comme une noix de la composition qu'il avala, après l'avoir mastiqué longuement.

M. de Flammermont fixait sur lui des regards tellement étranges qu'il ne put s'empêcher d'éclater de rire.

—Eh bien? demanda Gontran.

L'ingénieur fit claquer sa langue contre son palais.

—Hum!... c'est un peu fade... voilà le seul reproche qu'on puisse lui adresser... tiens, goûte à ton tour...

Et il tendit à son compagnon, qui l'avala avec force grimaces, une quantité de pâte égale à celle qu'il avait absorbée lui-même.


—Et tu crois, grommela Gontran, que cela suffira à nous empêcher de mourir de faim?

—En théorie, cela doit suffire... en tout cas, il ne se passera pas longtemps avant que nous ne sachions à quoi nous en tenir.

Pour la troisième fois, il prit au bout de son couteau un peu de la précieuse substance et, revenant vers Ossipoff, la lui introduisit dans la bouche, non sans avoir eu beaucoup de peine à lui desserrer les dents.

Pendant ce temps, M. de Flammermont, silencieux et immobile à la même place, semblait étudier les effets produits sur son organisme par l'absorption de ce bizarre aliment.

—C'est singulier, murmura-t-il enfin, le vide de ma tête paraît se remplir, mes idées semblent plus nettes, les tiraillements de mon estomac disparaissent... c'est fort singulier.

Puis s'adressant à Fricoulet:

—Est-ce que tu ressens la même chose?

—Moi! je me trouve en ce moment dans le même état que si je sortais de table après un repas plantureux.

—En effet!... mais ce va être bien monotone que de se nourrir de réglisse, fit Gontran d'un ton piteux.

—Allons donc! exclama l'ingénieur; es-tu donc de ceux qui vivent pour manger!... moi, je mange pour vivre...

Peu à peu, Ossipoff avait ouvert les yeux et insensiblement ses joues pâles s'étaient colorées.

Il parut tout d'abord très surpris de se trouver ainsi couché.

—Ai-je donc dormi? balbutia-t-il.

—Non, mon cher monsieur Ossipoff, répliqua plaisamment Fricoulet, vous êtes mort de faim...

Le vieillard passa la main sur son front.

—Ah! oui, fit-il, je me rappelle...

Puis, brusquement, sautant à bas de sa couchette, il serra l'un après l'autre les deux jeunes gens dans ses bras en s'écriant:

—Sauvés! nous sommes sauvés!

—Hum! grommela Gontran, pourvu que nous ne soyons pas le jouet d'une illusion!... je serais bien plus rassuré si j'avais absorbé une ou deux côtelettes... rien qu'au point de vue de l'œil...

Ossipoff haussa les épaules.

—Maintenant que nous avons notre existence assurée, fit-il, si nous examinions les moyens à employer pour nous lancer à la poursuite de Sharp.

—Je propose, dit aussitôt M. de Flammermont, de nous rendre dans les montagnes de l'Éternelle lumière.

—Pourquoi faire? grand Dieu! exclama l'ingénieur.

—Y chercher l'obus de ce gredin et le badigeonner, comme nous avions fait du notre, de minerai radiothermique, afin de nous élancer, sans perdre de temps, à la poursuite du misérable.

Fricoulet secoua la tête:

—Mon pauvre ami, dit-il, avant de nous préoccuper du moyen que nous emploierons pour mettre la main sur ce monsieur, il serait plus logique d'examiner d'abord vers quel point il s'est enfui car, suivant la direction qu'il aura prise, nous pourrons...

Ossipoff ne lui laissa pas achever sa phrase:

—Eh! s'écria-t-il, Sharp n'a pu prendre qu'une route, celle que nous devions prendre nous-mêmes. Il file directement sur le soleil et dans une quinzaine de jours environ, il atteindra Vénus!

L'ingénieur allongea ses lèvres dans une moue expressive:

—Ce que vous dites là, mon cher monsieur, répliqua-t-il, pourrait paraître vraisemblable en toute autre circonstance; mais il faut tenir compte du peu de désir que doit avoir Sharp d'être rencontré par nous; or, il suppose assurément que vous, le père de Séléna, Gontran, son fiancé, et moi votre ami à tous deux, nous emploierons tous les moyens imaginables de lui arracher sa victime.

Un gémissement profond, sorti de la poitrine de Flammermont, souligna les paroles de Fricoulet.

Celui-ci étendit la main:

—Laisse moi continuer, dit-il.

Mais avant qu'il eût repris son raisonnement, le jeune comte s'écria:

—Parbleu! tu as raison... tout ce que nous avons déjà fait doit lui donner une idée de ce que nous pouvons faire; quant à moi, si j'étais à sa place je filerais, sans m'arrêter, dans l'espace; je brûlerais Vénus.

—Pour aller vous brûler dans le soleil, n'est-ce pas? dit à son tour Ossipoff.

Le vieillard considéra d'un air apitoyé M. de Flammermont, et se penchant vers l'ingénieur, lui murmura à l'oreille:

—Hein! Faut-il que son affection pour ma pauvre Séléna sort assez profonde pour lui faire perdre ainsi les plus élémentaires notions d'astronomie, car il est évident qu'en n'abordant pas sur Vénus...

—Il faut pourtant prendre un parti, s'écria violemment M. de Flammermont.

Et frappant du pied avec rage:

—Oh! poursuivit-il, la science n'est donc qu'un vain mot!

Et, en proie à un désespoir réel, il se prit la tête à deux mains et demeura silencieux, angoissé.

En ce moment, l'écho apporta jusqu'à eux, assourdi d'abord, ensuite plus net, le bruit d'un pas lourd qui s'approchait de leur salle.

—On vient vers nous, murmura Ossipoff, sans doute est-ce Telingâ!


Comme il achevait ces mots, une ombre gigantesque s'allongea sur le sol du souterrain; cette ombre était, effectivement, celle de leur guide.

—Salut à vous, amis, dit-il de sa voix brève et métallique.

—Salut, répliqua Ossipoff, comment se fait-il que nous te voyons debout, alors que tous tes compatriotes sont plongés dans le sommeil?

—Je reviens de Wandoung et vous apporte des nouvelles.

—Des nouvelles? répétèrent-ils tous trois, des nouvelles de qui?

—Du Terrien qui s'est emparé de votre appareil et de la jeune fille.

Sous l'empire de l'émotion occasionnée par ces paroles, Ossipoff, défaillant presque, s'assit sur sa couchette, incapable de prononcer un mot.

Quant à Gontran, il s'élança vers Telingâ et, lui saisissant les mains:

—Jour de Dieu! exclama-t-il, ce misérable est-il donc retombé sur le sol lunaire? ah! s'il en était ainsi...

Ses yeux brillaient d'un éclat haineux et ses sourcils, violemment contractés, indiquaient assez les idées de vengeance qui hantaient sa cervelle.

—Retombé!... mais c'est impossible!... mathématiquement, le boulet doit atteindre Vénus.

Celui qui parlait ainsi n'était autre qu'Ossipoff: son affection pour sa fille et sa haine pour Sharp étaient moins fortes que son amour pour la science... il préférait voir son ennemi lui échapper, grâce au système de locomotion inventé par lui, plutôt que de s'être trompé dans ses calculs et dans ses combinaisons...

Gontran n'avait point fait attention aux paroles du vieillard, car une autre pensée, pensée effrayante, celle-là, venait de lui traverser soudainement l'esprit.

—Mais Séléna a dû se tuer dans la chute, exclama-t-il.

Il avait prononcé ces mots en langage sélénite, s'adressant à Telingâ.


Tout surpris, celui-ci demanda:

—Quelle chute?

—Ne venez-vous pas de dire que vous nous apportiez des nouvelles du misérable?

—Parfaitement si.

—Comment pourriez-vous en avoir s'il n'était point retombé sur la Lune?

Telingâ hocha la tête.

—En ce moment, répliqua-t-il, le Terrien franchit l'espace à toute vitesse, se dirigeant sur Tihy qu'il paraît vouloir atteindre... mais il en est encore loin et n'y arrivera pas avant que le jour soit venu dorer les hauts sommets du cirque de Wandoung.

—C'est de l'observatoire que vous avez pu constater la marche du véhicule? demanda Gontran.

—À quoi pensez-vous donc, mon cher ami! exclama le vieil Ossipoff... songez donc que voici cinq jours, c'est-à-dire cinq fois vingt-quatre heures que Sharp est parti... or, d'après nos calculs, il fait 75,000 kilomètres à l'heure... il doit donc, en ce moment, se trouver à deux millions trois cent mille lieues de la Lune... vous reconnaîtrez avec moi que nul instrument d'optique, quelle que soit sa puissance, ne peut permettre d'apercevoir, à une semblable distance, un corps d'aussi minime surface que notre wagon.

Gontran courba la tête, convaincu qu'il venait de dire une sottise et regrettant, une fois de plus, d'avoir une langue si prompte.

—Cependant, intervint Fricoulet, il faut bien que Sharp ait été aperçu quelque part, puisque Telingâ l'affirme.

Ce disant, il se tournait vers le Sélénite qui répondit gravement:

—En effet, la marche du Terrien à travers l'espace a été reconnue, mais non pas par nous, Lunariens.

—Et par qui donc? exclama le jeune ingénieur.

—Par les habitants de Tihy, la planète que vous nommez Vénus.

Les trois voyageurs demeuraient bouche bée, les yeux écarquillés, n'en pouvant croire leurs oreilles.

—Vous allez voir, murmura Gontran, qu'il existe entre la Lune et Vénus un service télégraphique optique.

Fricoulet haussa les épaules.

—Ton amour pour Séléna te fait perdre la tête, balbutia-t-il.

Ossipoff lança à l'ingénieur un regard sévère.

—M. de Flammermont est peut-être plus près de la vérité que vous ne le supposez, dit-il.

Puis, au Lunarien:

—Vous devez constater, ajouta-t-il, dans quelle stupéfaction nous ont jetés les paroles que vous venez de prononcer, expliquez-vous!

—Il y a des siècles, répondit Telingâ, que nos astronomes remarquèrent, à la surface de Tihy, des points brillants, intermittents, paraissant changer de forme et d'intensité; ils jugèrent que c'étaient là des signaux destinés à mettre la planète en rapport avec les autres mondes, et tous leurs efforts, pendant de longues années, tendirent à nouer des relations avec notre brillante voisine. Ils y sont parvenus, grâce à des signaux convenus, que les foyers lumineux de Tihy comprennent et répètent.


Ossipoff l'écoutait parler, en proie à l'ébahissement le plus profond, ne pouvant contenir sa curiosité, il interrompit le Lunarien:

—Mais, dit-il, quels procédés employez-vous?

—Il y a, à la surface de notre sol, un métal qui a la curieuse propriété de conduire l'électricité plus ou moins bien, suivant qu'il est éclairé par une lumière plus ou moins vive...

—C'est le sélénium, s'écria Fricoulet.

—Eh! n'interrompez donc pas, s'écria Ossipoff, surtout pour dire des choses que tout le monde connaît aussi bien que vous!

Telingâ, impassible, continua:

—Avec ce métal, nous avons construit un réflecteur immense, très brillant, au foyer duquel aboutissent les fils d'un générateur d'électricité et d'un appareil de transmission de la parole.

—Mais c'est un téléphone! exclama Gontran.

—Ou plutôt un photophone, ajouta Fricoulet.

—Grâce à la lumière accumulée au foyer du réflecteur par une foule de petits miroirs dont tous les rayons convergent en ce même point, le son bondit jusqu'à l'appareil récepteur installé par les Vénusiens sur la plus haute montagne de leur globe; le rayon de lumière emporte, à travers l'espace, les vibrations du son et c'est notre voix même qui parvient à nos frères du ciel, tout comme la leur nous arrive.

—C'est prodigieux... prodigieux, murmurait Ossipoff.

Puis, après un moment:

—Mais, quelle sorte de récepteur avez-vous? demanda-t-il.

—Notre transmetteur même nous en tient lieu, transformant en oscillations sonores, les ondes lumineuses qui impressionnent le réflecteur. Comprenez-vous maintenant comment je puis vous apporter des nouvelles du Terrien? Dès la catastrophe, je suis parti pour Wandoung, et profitant des dernières lueurs solaires, je me suis mis en rapport avec Tihy qui m'a répondu ce que je vous ai dit.

—Prodigieux, prodigieux, ne cessait de répéter à mi-voix le vieux savant.

Le souvenir de Sharp et même de sa fille était loin de lui, son esprit était tout entier rempli de la pensée que deux mondes gravitant à douze millions de lieues l'un de l'autre pouvaient correspondre entre eux. Et il pensait avec humiliation à son globe natal, seul et isolé au milieu de l'espace sidéral.

Il fut tiré de ses réflexions amères par une exclamation que lançait M. de Flammermont:

—Une idée! fit-il... Cette lumière qui emporte la voix sur ses ailes, serait-elle assez puissante pour nous emporter nous aussi?

Il s'était exprimé dans sa langue natale, en sorte que Telingâ ne pouvait comprendre la cause de la stupéfaction en laquelle Ossipoff et Fricoulet venaient de tomber subitement.

Le vieillard fut le premier à reprendre son sang-froid:

—Qu'entendez-vous par là? demanda-t-il.

—Dame! répliqua le jeune comte sans se déconcerter, on envoie bien des dépêches jusque dans Vénus, pourquoi ne suivrions-nous pas le même chemin?


—Expliquez-vous, fit Ossipoff.

En vain Fricoulet tira-t-il son ami par le pan de son vêtement pour lui recommander le silence, M. de Flammermont répliqua:

—Puisque l'électricité est une force, j'imagine que si l'on pouvait accumuler toute celle contenue dans la lumière et l'utiliser à actionner un moteur, on aurait là un moyen infaillible de gagner Sharp de vitesse et de lui arracher Séléna.

En entendant Gontran parler, l'ingénieur semblait être sur des charbons ardents; en vain il toussait d'une façon opiniâtre, en vain il roulait vers lui des regards terrifiés, ce fut peine inutile.

Aventures extraordinaires d'un savant russe: Le Soleil et les petites planètes

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