Читать книгу Aventures extraordinaires d'un savant russe: Le Soleil et les petites planètes - H. de Graffigny - Страница 7
Оглавление—Sauf l'année plus courte, cependant, fit observer l'Américain.
—En effet; mais peu nous importe à nous qui n'avons pas l'intention d'y passer une année.
—Ajoutez à cela, poursuivit Gontran qui s'emballait sur son sujet, même densité, même atmosphère, même pesanteur, même volume... Vous pouvez dire que Vénus est une jeune sœur de la Terre.
Et poussant le coude de Fricoulet:
—Hein! murmura-t-il, crois-tu que je les ai piochés, mes Continents célestes!
Mais quelques mots de M. Ossipoff vinrent, presque aussitôt, diminuer le contentement que le jeune homme éprouvait de lui-même.
—Vous vous hâtez bien de vous prononcer, ce me semble, dit le vieux savant... quand nous serons arrivés, vous verrez que Vénus est loin d'être le séjour enchanteur que vous vous figurez...
—Pourquoi donc cela? demanda le jeune comte presque malgré lui.
—Un seul chiffre, celui que tous les astronomes ont toujours inscrit à côté de la planète Vénus, va vous répondre... ce chiffre c'est 55°.
M. de Flammermont ne se trouva pas plus avancé; mais, bien au contraire, ce chiffre l'embarrassait fort; d'abord, il ne lui disait rien, en outre, il suspendait au-dessus de sa tête quelque nouvelle question d'Ossipoff; et l'infortuné comte tournait du côté de Fricoulet des regards suppliants.
Alors, l'ingénieur qui avait compris cette muette supplique, s'adressa à Farenheit:
—Oui, dit-il, mon cher sir Jonathan, les chiffres ont leur éloquence, et ce 55°, qui représente l'angle formé sur le plan de l'écliptique par l'axe de rotation de Vénus, ce 55° contient en lui seul tout ce qui peut être dit de spécial sur la planète: saisons, climats, longueur de jours, aspects célestes, végétation, vie animale, etc., etc.
Le Yankee l'écoutait bouche bée, se demandant pourquoi il était ainsi pris à partie; il fut encore bien plus surpris lorsque l'ingénieur s'écria, avec un petit rire moqueur:
—Ah! ah! mon gaillard, vous y mordez aux choses célestes!... ce que je viens de vous dire vous intrigue, et vous voulez savoir ce qui se cache véritablement sous ce 55°...
L'Américain esquissa un geste d'énergique dénégation.
Fricoulet n'en tint aucun compte et s'écria:
—Mais, mon cher sir Jonathan, pourquoi vous en défendre? J'en appelle à M. Ossipoff! en quelle circonstance la curiosité serait-elle plus légitime que lorsqu'il s'agit de soulever le voile qui nous dérobe les mystères de l'infini céleste?... et puis, c'est en vain que vous le nieriez!... cela se voit à votre visage: vos yeux sont pétillants de curiosité et vos lèvres balbutiantes de questions.
Bien qu'abasourdi par ce flot de paroles, l'Américain trouva cependant la force de faire entendre un éclat de rire dédaigneux.
—En vérité, essaya-t-il de dire, mes yeux sont si pétillants et mes lèvres si balbutiantes que cela... Je ne comprends pas...
—Et parbleu! exclama Fricoulet avec une impatience parfaitement jouée... comment voulez-vous comprendre?... vous m'interrompez tout le temps... sachez donc que Vénus a beau avoir une masse presque égale à celle de notre planète natale, une densité qui est à celle de la Terre ce que 90 est à 100, et bien que la pesanteur, à sa surface, soit à peu près la même que sur notre globe, Vénus cependant n'est pas le Paradis... tant s'en faut... la masse, la densité, la pesanteur ne font pas le bonheur...
L'ahurissement de l'Américain allait croissant, tellement croissant que machinalement, ses lèvres balbutièrent:
—Pourquoi?
—Pourquoi?... eh! parbleu! c'est toujours ce 55° qui en est cause.
Il avait saisi, par un bouton de sa jaquette, l'infortuné Farenheit qui n'en pouvait mais.
Sans se rendre compte de l'intention de l'ingénieur, Farenheit crut à une agression et fit un bond en arrière.
D'un geste, le jeune homme le rassura et poursuivit en souriant:
—Par suite de cette inclinaison d'axe, les saisons qui, sur Vénus, se succèdent de cinquante-six en cinquante-six jours, sont fort tranchées; la zone polaire descend jusqu'à 35° de l'Équateur de même que les régions tropicales s'étendent jusqu'à 35° des pôles, en sorte que deux zones, beaucoup plus larges que les zones tempérées de notre globe, empiètent constamment l'une sur l'autre, appartenant à la fois aux climats polaires et aux climats tropicaux. Ces régions subissent donc d'énormes variations de chaleur et de froid.
—Vous vous plaigniez de la chaleur sur la Lune! dit Ossipoff en intervenant dans la conversation; sachez que sur Vénus, pendant l'été, le soleil tourne autour du Pôle, en s'élevant en spirale et en envoyant une quantité de lumière presque deux fois plus grande que celle qu'il envoie à la Terre.
—Quant à l'hiver, dit à son tour Fricoulet, le froid doit être comparable à celui qui règne sur la Lune pendant la nuit de trois cent cinquante-quatre heures, car le soleil n'approche pas du tout de l'horizon et reste considérablement au-dessous.
—Les régions équatoriales ne sont pas plus favorisées que les pays polaires, elles ont, chaque année, deux étés pendant lesquels le soleil monte au zénith et déverse sur elle des rayons certainement plus ardents que ceux sous lesquels rôtissent nos contrées équatoriales terrestres...
—Eh bien! demanda Fricoulet, avez-vous compris?
—Je ne sais si j'ai compris, répliqua d'un ton accablé l'infortuné Yankee, totalement abasourdi; tout ce que je sais, c'est qu'il fait ici une chaleur étouffante!
Il avait enlevé sa casquette de voyage et s'épongeait le front tout ruisselant de sueur.
Fricoulet répliqua:
—Il fait en effet très chaud ici.
Puis à Gontran.
—Mais qu'as-tu donc? tu es rouge comme un homard!
—Je succombe, murmura le jeune comte en enlevant son vêtement.
—C'est le Soleil, sans doute, dit Ossipoff; plus nous allons et plus nous nous rapprochons de lui; extérieurement, les parois du véhicule doivent être brûlantes.
—En effet, murmura M. de Flammermont, ce doit être le Soleil; la distance qui nous sépare de lui diminue sensiblement.
—Oh! sensiblement, répliqua le vieillard... deux millions de lieues sur trente-sept... c'est peu...
Farenheit soufflait comme un bœuf.
—By God! grommela-t-il, ce ne doit pas être tenable sur votre planète du diable!
—Rassurez-vous, mon cher sir Jonathan, répondit Ossipoff en souriant; cette planète du diable—ainsi que vous l'appelez, sans doute parce qu'il y fait aussi chaud qu'en enfer, cette planète a, pour la protéger de l'ardeur solaire, une enveloppe fort épaisse de nuages, en sorte que la température n'y doit guère être plus élevée que sur Terre... c'est fort heureux pour ses habitants, mais fort déplaisant pour nos astronomes qui n'ont pu apercevoir la géographie vénusienne qu'à travers les déchirures de ce voile nuageux...
—Aussi n'a-t-on sur Vénus que des données imparfaites, crut devoir ajouter Gontran d'un ton important.
Cependant Fricoulet ne pouvait tenir en place, il allait et venait à travers la chambrette, enlevant, l'une après l'autre, toutes les pièces de son vêtement, si bien qu'il arriva à n'être plus vêtu que de sa chemise et de son caleçon.
—Cette chaleur est intolérable! s'écria-t-il soudain, en proie à une souffrance véritable.
—Que voulez-vous y faire? demanda le vieillard d'un ton sec, en venant avec nous, vous saviez à quoi vous vous exposiez... vous n'aviez qu'à rester avec Telingâ...
—N'y aurait-il donc aucun moyen de s'abriter des rayons solaires? demanda Gontran, peiné de l'aspect misérable de son ami.
—Une idée, fit l'Américain, si on mouillait toutes nos couvertures de voyage, on les étendrait contre les parois, et par l'évaporation...
—Oui, balbutia Fricoulet absolument hors d'haleine, on pourrait tenter cela...
Il se baissa pour ramasser une des couvertures qui avait glissé sur le plancher; mais aussitôt il poussa un cri de douleur et se releva tout pâle, les yeux hagards.
—Qu'arrive-t-il donc? demandèrent les voyageurs en se précipitant vers lui.
—Il y a, répondit Fricoulet, que le plancher est brûlant.
—Brûlant! ce n'est pas possible, exclamèrent-ils tous à la fois.
—Faites-en l'expérience, répondit un peu aigrement l'ingénieur.
L'Américain se courba et approcha sa main.
—By God! grommela-t-il, M. Fricoulet a raison.
Comme il achevait ces mots, une secousse assez violente se produisit sous leurs pieds, et tous ils tombèrent assis sur le divan circulaire.
—Sacrebleu! gronda Fricoulet, que se passe-t-il là-dessous?
—Il se passe, répondit Ossipoff, que les galets qui soutiennent le plancher viennent de gripper.
La pâleur de Fricoulet augmenta.
—Oh! oh! fit-il à voix basse, voilà qui est grave...
—Grave! s'exclama Gontran... et pourquoi cela?...
—Mais parce que...
Il s'arrêta et murmura:
—À quoi bon les épouvanter?
Puis, à Ossipoff:
—À quelle distance sommes-nous encore du point neutre? demanda-t-il.
Le vieillard réfléchit quelques secondes et répliqua avec assurance:
—À un millier de kilomètres.
—Combien mettrons-nous de temps à franchir cette distance?
—Deux heures environ.
Le visage de l'ingénieur s'assombrit.
—Nous ne pourrons jamais tenir jusque-là, grommela-t-il.
Tous le regardaient avec inquiétude.
—Mais enfin, demanda Gontran, que penses-tu?... voyons, parle; nous sommes des hommes, après tout, et s'il faut mourir... eh bien! nous mourrons... quant à moi, je préfère savoir à quoi m'en tenir... et je suppose que ces messieurs sont de mon avis.
—Certainement, dirent-ils.
—Avant que de vous répondre, fit alors Fricoulet, laissez-moi m'assurer...
Il prit dans la boîte à instruments une paire de pinces, s'en fut dans un coin de la logette et, saisissant un anneau, le tira à lui de toutes ses forces, ce qui souleva un carré du plancher monté sur charnières comme une porte.
Au même instant, un jet de flammes fusa jusqu'au sommet du dôme métallique.
L'ingénieur laissa retomber le panneau.
—Voilà ce que je craignais, dit-il d'une voix rauque.
—Qu'est-ce que cela? demandèrent-ils en proie à la stupeur la plus profonde.
—Vous le voyez bien, riposta Fricoulet; c'est le feu...
—Le feu!
—Eh! oui; nous sommes sur un incendie provoqué par le grippage du pivot et du plancher; voilà l'explication de la chaleur intolérable qui règne ici... vous avez demandé à être fixés... vous l'êtes maintenant.
La raison donnée par l'ingénieur était la seule plausible pour expliquer cet incendie subit; le pivot devait être au rouge, car le plancher de sélénium, bon conducteur, comme on le sait, de la chaleur, commençait à devenir brûlant, même pour les pieds chaussés de fortes bottes; les semelles, d'ailleurs, sentaient le roussi et pouvaient s'enflammer d'un moment à l'autre.
Aussi, obéissant à la même idée, se juchèrent-ils tous sur le divan circulaire.
—Que faire? demanda Ossipoff.
—By God! s'écria l'Américain, y a-t-il autre chose à faire qu'à éteindre le feu?
—Si vous avez un moyen de refroidir ce métal, dit Fricoulet d'un ton rageur, je suis prêt à l'employer.
—Arrosons-le, suggéra Gontran.
Tous se précipitèrent vers les outres pleines d'eau suspendues aux parois et en versèrent le contenu sur le plancher.
Mais, au contact du métal brûlant, cette eau se transforma en vapeurs bouillonnantes; l'atmosphère du véhicule devint d'une opacité complète, si bien que les voyageurs ne s'apercevaient plus et que le bruissement de la vapeur les empêchaient de s'entendre.
—Séparons-nous de la sphère! s'écria Farenheit affolé, en se précipitant vers les leviers que commandaient les écrous d'attache.
Ossipoff et Fricoulet se jetèrent sur lui.
—Malheureux! hurla le vieillard, vous êtes fou!
—La mort tout de suite plutôt que ce supplice infernal! gronda le Yankee en faisant d'inimaginables efforts pour se dégager de l'étreinte de ses deux compagnons.
Fricoulet avait tiré son revolver.
—Si vous ne demeurez en repos, sir Jonathan, dit-il avec un calme effrayant, je vous fais sauter la cervelle.
—Qu'importe! rugit l'Américain qui perdait la tête, je souffre trop.
Soudain, Gontran eut une inspiration.
—Et Sharp? demanda-t-il, renoncez-vous donc à votre vengeance?
Ces mots produisirent dans l'attitude de l'Américain une transformation complète.
De lui-même, il abandonna les leviers et s'en fut dans un coin où, grondant de souffrance, il demeura immobile.
—Dix heures, dit Ossipoff; je vous demande dix heures; alors, nous pourrons abandonner la sphère sans aucun danger, car nous aurons pénétré dans la zone d'attraction de Vénus.
Ce furent dix heures terribles, épouvantables, pendant lesquelles les voyageurs firent preuve d'un courage admirable et d'une énergie surhumaine; ils ne cessèrent d'arroser le plancher que le frottement continuel du pivot avait rendu complètement rouge et qui leur renvoyait une chaleur torride.
Ossipoff, lui, ne quittait son chronomètre que pour mesurer, à l'aide du micromètre, l'arc sous-tendu de Vénus.
Enfin, il cria d'une voix rauque:
—Dans dix minutes nous arrivons au point neutre, préparons-nous.
Il était temps; le thermomètre marquait 42° centigrades et les voyageurs haletaient.
Néanmoins, l'approche de la délivrance leur donna de nouvelles forces; déjà ils avaient amarré solidement, le long des parois, tout ce qu'ils désiraient conserver à bord; en un tour de main ils eurent revêtu leurs scaphandres.
C'étaient des espèces de vêtement en étoffe élastique comme du caoutchouc, dans lesquels les membres entiers et le torse se trouvaient emprisonnés hermétiquement; l'étoffe elle-même était soutenue par un réseau de ressorts métalliques d'une finesse extrême et d'une élasticité remarquable, de manière à résister à l'expansion des gaz contenus dans les tissus vivants des voyageurs.
La tête était protégée par une sorte de casque en sélénium, de forme ovoïdale et ressemblant aux respirols dont Ossipoff et ses compagnons avaient déjà fait usage pour explorer l'hémisphère visible de la Lune.
Dans une sorte de récipient pratiqué à l'intérieur du casque, ils emmagasinèrent à la hâte quelques tablettes d'oxygène solidifié; l'air vicié, ainsi que les produits de la combustion pulmonaire devaient être évacués par une soupape placée au sommet de la tête.
—Êtes-vous prêts? demanda Ossipoff.
Tous répondirent affirmativement, tenant à la main le casque dans lequel leur tête devait s'emprisonner.
—Enlevons les écrous, commanda-t-il.
Chacun d'eux pesa aussitôt sur le levier correspondant à l'un des quatre écrous, et la logette ne se trouva plus retenue à l'appareil que par le pivot central.
—Suivez à la lettre mes recommandations, dit alors le vieillard; dans quelques instants, aussitôt que nous aurons pénétré dans la zone d'attraction de Vénus, et comme nous l'avons fait quand nous sommes arrivés dans la Lune, nous nous retournerons pour avoir les pieds là où nous avons la tête actuellement... imitez exactement tous mes mouvements et tenez-vous solidement aux attaches disposées tout autour de la coupole sur le fond de laquelle nous allons nous trouver debout.
Il se tut et vissa rapidement la collerette de son appareil, pendant que ses compagnons en faisaient autant de leur côté. Puis, quand ils les vit résolus et fermement attachés aux saisines, il courut au volant qui commandait l'écrou central et le saisit énergiquement d'une main, tandis qu'il levait l'autre bras dans un geste qui signifiait:
—Attention!