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CHAPITRE V

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PLONGEON DANS L'OCÉAN VÉNUSIEN

eux minutes s'étaient à peine écoulées, depuis le moment ou la nacelle s'était engloutie dans les flots, qu'à la surface de l'océan une tête apparut.

Cette tête était celle de Jonathan Farenheit.

Tout en coulant à pic, l'Américain avait conservé son sang-froid; il n'en était pas, d'ailleurs, à son premier naufrage; au cours des nombreuses traversées que son commerce de suif l'avait contraint de faire, d'Amérique en Europe, et vice versa, sir Jonathan avait—comme on dit vulgairement—bu à la grande tasse plus d'une fois.

Aussi, loin de se cramponner au bordage de la nacelle, ainsi que l'avaient fait ses compagnons, il avait presque aussitôt abandonné l'appareil et d'un vigoureux effort, était remonté à la surface.

Au milieu du péril suprême, il s'était souvenu tout à coup des bateaux signalés par Fricoulet et, confiant dans sa force et dans son habileté de nageur, il avait résolu de tout tenter pour échapper à la mort.

Une vague énorme, l'emportant avec elle, le hissa jusqu'à sa crête, et, de cet observatoire liquide il put jeter un rapide coup d'œil sur l'immensité qui l'entourait.

—Allons! pensa-t-il, en descendant, avec la vague qui s'effondrait dans un précipice sans fond, il s'agit de se soutenir à la surface... ce sera bien le diable si quelqu'un de ces navires ne passe pas à proximité...

Pour tout autre qu'un hardi nageur tel que lui, un semblable projet eût été de la folie: l'océan démonté jetait au ciel des vagues monstrueuses, fouettées et déchiquetées par la tempête qui hurlait dans l'espace.

Mais l'eau et Farenheit étaient de vieilles connaissances; sans chercher à lutter, il appliquait tous ses efforts à n'être point submergé et il y parvenait.


Tout à coup, comme il était de nouveau élevé sur le sommet d'une vague, il poussa un cri de désappointement et de rage.

Les bateaux en lesquels il avait mis son espoir avaient disparu; avaient-ils sombré, avaient-ils fui devant la tempête?

Toujours est-il qu'aussi loin que la vue pouvait s'étendre, la mer était déserte, d'énormes masses liquides se ruaient, avec un bruit formidable, à l'assaut les unes des autres; dans l'espace, les nuages, semblables à une horde de chevaux au galop, couraient, poussés par un vent terrible, ensanglantés par moments par la lueur de la foudre, de larges aigrettes lumineuses dansaient au sommet des vagues, jetant, sur les abîmes creusées par le vent, des lueurs livides.

Farenheit se sentit le cœur étreint par une inexprimable angoisse; à l'horizon, rien que la tempête; autour de lui, rien que l'immensité liquide en furie.

À quoi bon lutter? son désir de vivre n'avait eu pour but que de satisfaire sa soif de vengeance contre Sharp; maintenant qu'il n'avait plus aucun espoir imminent d'être sauvé, persister n'eût eu pour résultat que de prolonger inutilement son agonie.

Alors, sans d'autre regret au cœur que de mourir avant d'avoir assouvi sa haine, il croisa les bras, immobilisa ses jambes et, une vague énorme survenant, il se laissa engloutir.

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«L'humanité qui règne sur le monde de Vénus, dit Camille Flammarion, doit offrir les plus grandes ressemblances avec la nôtre et aussi, probablement, les plus grandes ressemblances morales. On peut penser, néanmoins, que Vénus étant née après la Terre, son humanité est plus récente que la nôtre. Ses peuples en sont-ils encore à l'âge de pierre? toutes conjectures, à cet égard, seraient évidemment superflues, les successions paléontologiques ayant pu suivre une autre voie sur cette planète que sur la nôtre. D'un autre côté ce n'est pas sous les plus doux climats que l'humanité est la plus active et Vénus est un monde plus varié et certainement plus passionné que la Terre; En définitive, la meilleure conclusion à tirer des considérations générales de l'état de cette planète c'est que la vie doit être peu différente de ce quelle est dans notre monde

Le premier de nos voyageurs qui fut à même de constater de visu la vérité des suppositions philosophiques rapportées plus haut, fut M. de Flammermont, lorsque, sous l'impression d'une odeur bizarre, absorbée par ses narines et parvenant jusqu'à son cerveau, il ouvrit les yeux.

Tout d'abord, en proie à un phénomène fort naturel et fort compréhensible, il ne se crut pas vivant, mais transporté déjà dans une autre existence.

—Parbleu! fit-il... quel sot je fais!... mais je suis mort!

Et, en prononçant ces mots, il laissa lourdement retomber sa tête.

Mais aussitôt, il poussa un cri et se redressa; distinctement l'écho de ses paroles avait frappé son oreille en même temps qu'un choc un peu rude avait contusionné son crâne.

—Morbleu! grommela-t-il... on dirait cependant que je suis vivant.

Et, pour se convaincre qu'il ne se trompait pas, il ouvrit et ferma plusieurs fois les paupières, renifla l'air, fit fonctionner ses mâchoires, promena lentement ses mains sur les différentes parties de son corps et, finalement, posa l'une de ses mains sur sa poitrine.

Le cœur battait fortement et le sang circulait librement dans les artères.

Alors, le jeune homme poussa un profond soupir de satisfaction, au fond, il aimait mieux que les choses fussent ainsi; vivant, il conservait l'espoir de revoir Séléna.

Cependant, il doutait encore, lorsque ses regards, en se promenant curieusement autour de lui, tombèrent sur deux corps étendus non loin, rigides et sans apparence de vie.

Ces deux corps étaient ceux de Mickhaïl Ossipoff et d'Alcide Fricoulet.

Ce que voyant, le sens des choses réelles lui revint tout à fait et le voile qui obscurcissait sa mémoire se déchira complètement.

—Sauvés! s'exclama-t-il, nous avons été sauvés!

Il se précipita vers l'ingénieur et colla son oreille contre la poitrine; le cœur battait faiblement, passant ensuite à Ossipoff, il constata que le vieux savant comptait encore au nombre des vivants.


Alors seulement, son esprit dégagé de toutes préoccupations se posa deux questions: où étaient-ils, lui et ses compagnons? et qui les avait arrachés à la mort?

En voulant résoudre la première de ces questions, il résolut en même temps la seconde, car le regard circulaire qu'il jeta autour de lui, lui montra une pièce carrée, toute en bois, munie de sortes de couchettes en planches sur lesquelles lui et ses amis avaient été étendus; du même coup il aperçut, dans une encoignure sombre, un groupe de personnages qui le considéraient avec une défiance pleine de curiosité.

—Des hommes! s'écria-t-il tout joyeux.

Et il s'avança vers eux.

Mais ceux-ci reculèrent et Gontran remarqua alors qu'ils étaient armés et paraissaient tout disposés à faire usage des piques et des javelots qu'ils tenaient à la main.


—Ma parole! murmura-t-il... est-ce que je rêve? ou suis-je bien éveillé?... mais ce sont des Égyptiens que j'ai là devant moi!... ou tout au moins ils y ressemblent terriblement.

Et il ne pouvait détacher ses yeux de ces individus, recouverts d'une courte tunique d'étoffe blanche, découvrant la jambe au-dessous du genou et mettant à nu le cou et les bras; les pieds étaient enfermés dans des chaussures d'étoffe également, mais de couleur rouge, emprisonnant le cou-de-pied dans des cordelettes entrecroisées, à la façon des cothurnes.

La tête se signalait par l'absence totale de cheveux et par une face assez allongée, qu'éclairaient des yeux fendus en amandes, et encadrée dans une barbe noire longue et frisée.

—Ce sont des Vénusiens, sans doute, murmura le jeune comte auquel sa stupéfaction faisait oublier ses amis.

Voyant le Terrien immobile, les indigènes se rassurèrent et firent quelques pas vers lui, les armes dans la main gauche, la main droite tendue.


Gontran fit de même, c'est-à-dire, que tout en demeurant à la même place pour ne pas les effrayer, il avança lui aussi, la main en signe de paix.

Aussitôt, ils se mirent à parler dans un langage sonore, accompagné d'un grand nombre de gestes, vifs et rapides.

—Allons! murmura Gontran désappointé après avoir tendu l'oreille durant quelques secondes, ça va encore être le diable pour causer avec ces gaillards-là...

Et il ajouta, en frisant sa moustache:

—Il devrait en être sur les mondes planétaires comme chez nous; la langue française devrait être la seule adoptée pour les usages internationaux.


Néanmoins, il écoutait avec une tension d'esprit inimaginable, saisissant des lambeaux de phrases, des mots, des syllabes, et il se faisait, dans son esprit, un travail singulier.

—Si je ne craignais de m'abuser, songea-t-il, je parierais qu'il y a, dans cette langue, des réminiscences de Burnouf... serions-nous, par hasard, en présence de compatriotes d'Épaminondas et de Thémistocle?...

Il fut tiré de ses réflexions par l'un des Vénusiens qui s'approcha, lui toucha la main et ensuite, se prosternant à ses pieds, les lui baisa.

Surpris tout d'abord, Gontran se baissa, releva le Vénusien et se rappelant certaines relations de voyage à travers des peuplades sauvages, embrassa, bien que cela lui répugnât fort, l'individu sur la bouche.

Aussitôt le visage de celui-ci s'illumina, il fit un geste à ses compagnons qui, s'approchant de Fricoulet et d'Ossipoff, les déshabillèrent rapidement et les frictionnèrent avec une vigueur prodigieuse.


Pendant ce temps-là, le Vénusien adressait un long discours à M. de Flammermont qui, en dépit de son attention soutenue, et des efforts considérables qu'il faisait pour rappeler à lui ses souvenirs classiques, ne comprenait absolument rien.

Désespérant d'arriver jamais à un meilleur résultat, il finit par secouer la tête en montrant ses oreilles pour indiquer au Vénusien, qu'il dépensait, en pure perte, son éloquence.

L'indigène parut fort mortifié et témoigna son désappointement par une exclamation dont la consonnance frappa étrangement l'oreille de Gontran.

—Au diable! grommela-t-il—mais c'est du grec ça—du reste, nous allons bien voir.

Et gravement, lentement, détachant bien les mots, il dit:

Μηνιν Αιδε θεα Πηλεισδεω Αχιλλεος.

Ουλομενην η μυριαχαιο, αλγη ετεχη.

C'étaient les deux premiers vers de l'Iliade d'Homère, les deux seuls que sa mémoire eut conservés depuis dix ans qu'il avait franchi le seuil du Lycée Henri IV...

Le Vénusien parut surpris, il saisit brusquement la main de Gontran, appela à lui un de ses compagnons, et désignant la langue du jeune homme puis ses propres oreilles, sembla demander une seconde édition de ce qu'il venait d'entendre.

Complaisamment, M. de Flammermont obtempéra à ce désir, et, plus lentement encore que la première fois, il recommença:

—Μηνιν Αιδε θεα Πηλειαδεω...

Un franc éclat de rire éclata derrière lui.

Brusquement il s'interrompit, et, se retournant, aperçut Fricoulet qui, assis sur le bord de sa couchette, se tenait les côtes.

—Gontran qui parle grec! s'exclama-t-il... En voilà une forte!...

Et dressant vers le ciel ses bras, dans un geste comico-tragique:

—Ô mânes de Burnouf!... Quelle stupéfaction doit être la vôtre!

Puis au jeune comte:

—Mais continue, mon cher, dit-il, je t'en prie, continue; tu paraissais tenir ces messieurs sous le charme de tes réminiscences... je m'en voudrais de rompre ce charme...

Ossipoff, que les énergiques frictions des Vénusiens avaient rappelé lui aussi à la vie, mit un terme aux railleries de l'ingénieur:

—En vérité, monsieur Fricoulet, déclara-t-il d'un ton sec, je ne vous comprends pas; à vous entendre, on croirait que vous ne connaissez pas votre ami!... depuis quand, M. de Flammermont a-t-il jamais dit ou fait quelque chose d'où ne soit résulté un avantage pour nous!...

Pendant que les Terriens causaient entre eux, les Vénusiens se taisaient écoutant curieusement ce langage incompréhensible et se communiquant leurs impressions par une mimique expressive et rapide.

—Voyons, dit Ossipoff, en s'adressant à Gontran, expliquez-moi dans quel but vous récitez à ces gens des vers d'Homère?

—Tout simplement mon cher monsieur, répondit le jeune homme, parce que, dans le long discours qui m'a été adressé tout à l'heure, j'ai cru remarquer quelque analogie avec les vagues réminiscences que j'avais conservées de mes classiques grecs.

Le vieillard hocha la tête.

—Rien n'est impossible, murmura-t-il pensivement.

L'attention des Vénusiens, abandonnant M. de Flammermont, s'était reportée tout entière sur Mickhaïl Ossipoff dont la longue barbe blanche et l'air vénérable semblaient les impressionner vivement.

Il s'aperçut de l'effet qu'il produisait sur les indigènes et, s'adressant à celui qui paraissait être le chef, celui-là même auquel Gontran avait récité de l'Homère, il se mit à lui parler le langage du grand poète de l'antiquité.

Le Vénusien l'écouta attentivement, parut sinon comprendre, du moins deviner ce que lui disait le vieux savant; puis, quand celui-ci eut fini, il parla à son tour.

Ensuite, faisant un signe, il ouvrit une porte percée dans la cloison et disparut suivi de ses compagnons.

—Eh bien! demanda Gontran, où sommes-nous?... comment nous ont-ils sauvés?... ont-ils connaissance du passage de Sharp et de Séléna?

Aventures extraordinaires d'un savant russe: Le Soleil et les petites planètes

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