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MAÎTRE MARTIN LANDOUX L'INVENTEUR.
ОглавлениеHISTOIRE DE MARTIN LANDOUX.—LES AVATARS D'UN GRAVEUR.—ROI DU VOLANT!—ON DISCUTE FERME.—UNE PROPOSITION INATTENDUE.—LES IDÉES D'UN MÉCANICIEN AU SUJET DES AÉROPLANES.—SIX BIPLANS EN CHANTIER.
Martin Landoux était un débrouillard et un original.
Parisien pur sang, né vers l'époque de l'Exposition de 1868, rue Corbeau, dans le faubourg du Temple, de parents et de grands parents originaires de la capitale, Martin constituait un remarquable spécimen de cette race relativement peu nombreuse, Paris étant surtout peuplé de provinciaux déracinés, attirés par l'espoir, souvent déçu hélas! du gain plus facile et de la vie plus aisée.
Le père de Martin était «pompier» de son métier. On donne ce nom aux ouvriers tailleurs chargés de la rectification des vêtements sur mesure. Son gain étant modeste, il ne put donner à son fils toute l'instruction qu'il eût voulu, car l'enfant avait l'esprit ouvert et compréhensif. A douze ans, le jeune Martin dut quitter l'école communale du quartier, où on le considérait comme un élève intelligent, bien qu'un peu espiègle.
La vocation de Martin était de devenir mécanicien et de conduire des locomotives; mais pour réaliser cette ambition, il lui eût été indispensable de continuer à s'instruire, de passer ensuite les trois années d'études réglementaires dans une école d'Arts-et-Métiers. Ces gros sacrifices, l'ouvrier tailleur ne pouvait les consentir, car il lui fallait encore songer à l'avenir de ses trois autres garçons, les cadets de Martin. Cependant, il voulait que son enfant eût entre les mains un bon métier manuel, et pour cela il le mit en apprentissage chez un graveur industriel qui promettait des gains d'importance croissante à partir de la deuxième année d'apprentissage.
Pendant ces vingt-quatre mois, Martin Landoux porta plus fréquemment des paquets en ville qu'il ne grava de plaques de portes, de timbres de commerce ou de colliers de chiens, mais c'est le sort ordinairement réservé aux «attrape-science», et il n'avait ni à s'en étonner, ni à s'en fâcher. Cependant, il apprit peu à peu le maniement des burins et du grattoir, et chose plus avantageuse encore, il acquit les premières notions de dessin, car, sur les conseils du patron, le père Landoux avait fait inscrire l'apprenti à l'école Germain-Pilon pour suivre les cours de dessin du soir, et il tenait la main à l'exactitude de l'élève.
A quinze ans, alors que le jeune Martin allait passer au rang d'ouvrier graveur, son patron mourut et l'apprenti dut chercher à se faire embaucher dans un autre atelier. Ce fut là chose difficile, car le débutant n'était pas fort habile encore dans son métier, et on le trouvait trop jeune. Martin Landoux se fatigua vite de végéter, et il chercha à se tirer d'affaire d'une autre manière. Il tâta successivement, mais sans grand succès, de différents métiers ayant avec la gravure plus ou moins de parenté. Enfin, il trouva sa voie, à dix-huit ans, en entrant, en qualité d'aide-magasinier, dans une grande usine de vélocipèdes, emploi qu'il avait pris en désespoir de cause et ne trouvant nulle part à se caser.
A ce moment—en 1886—la bicyclette était dans sa période la plus florissante, et l'on ne parlait que courses et records sur la machine à deux roues. En dehors de son travail journalier au magasin, Martin qui était vif et nerveux, s'entraînait sur les machines de la maison, et tous les dimanches il prenait part, souvent avec succès, aux courses d'amateurs données à Paris ou dans les environs.
La bicyclette n'était pas alors aussi parfaite qu'aujourd'hui et les réparations étaient fréquentes. Le recordman amateur avait eu bien des fois à démonter et remonter sa monture d'acier, il connaissait à fond, par la pratique journalière, tous les secrets de la mécanique; il changea bientôt son fusil d'épaule et demanda à passer du magasin à l'atelier de réparations, ce qui lui fut accordé.
Mais vint à sonner l'heure de la conscription pour le graveur devenu mécanicien, et il dut quitter la capitale pour servir pendant trois années—en réalité trente-quatre mois—en qualité de soldat de deuxième classe d'abord, puis de caporal et de sergent, au 72e d'infanterie à Vitré.
Lorsqu'il revint, en 1892, la bicyclette était passée au second plan et on ne parlait plus que des voitures sans chevaux, à vapeur, à pétrole ou à moteur électrique.
Délibérément, Martin Landoux lâcha la bécane pour l'auto, suivant ainsi l'exemple de nombreux disciples de la petite reine. Il devint bientôt un de ceux que l'on appela les «rois du volant», et plus d'une fois il conduisit à la victoire, dans des courses retentissantes, les voitures de la maison dont il était devenu l'un des meilleurs mécaniciens et qu'il ne quitta que pour devenir employé principal d'une firme nouvellement créée, laquelle lui avait fait des conditions exceptionnelles, un «pont d'or» comme on dit, pour entrer à son service et mettre ses moteurs et autos «au point».
Malheureusement, lorsque peu après l'Exposition Universelle de 1900 l'industrie automobile subit un moment d'arrêt, la nouvelle marque périclita et dut liquider son actif. Martin Landoux, qui s'était marié et était père d'une ravissante fillette, avait été fort heureux de retrouver une modeste situation de chef d'atelier dans une usine de moteurs à pétrole. Vint Santos-Dumont qui donna la démonstration de la possibilité de s'élever dans l'air par des moyens purement mécaniques. Landoux prit part des premiers au mouvement qui se dessinait. S'étant procuré les fonds indispensables, il parvint à organiser un atelier de construction de moteurs légers et d'aéroplanes.
C'était Médouville, l'ami du marquis de La Tour-Miranne et secrétaire général de l'Aéro-tourist-club, qui avait fourni à Martin Landoux les moyens matériels de réaliser ses inventions, et en revanche le sportsman comptait absolument sur le mécanicien pour réaliser ses projets de tourisme aérien.
Ainsi qu'il l'avait prouvé à vingt reprises, Martin Landoux était un esprit fin et délié, fécond en ressources et sachant se plier à toutes les circonstances, sans jamais perdre un instant sa bonne humeur et sa confiance dans l'avenir. Il était, de son propre aveu, un «pas bileux», qui ne prenait jamais rien au tragique et assurait toujours que tout irait bien. S'il est, dans l'existence moderne, beaucoup de caractères moroses, toujours disposés à voir les choses sous le jour le plus fâcheux, il en est heureusement nombre d'autres qui semblent voir la vie à travers des lunettes roses. Martin Landoux était de ceux-là.
Au physique, c'était un gaillard de taille moyenne, sec et nerveux, les cheveux châtain clair légèrement frisés, mais avec une moustache et un fer à cheval de nuance plus claire. Les yeux gris regardaient toujours en face l'interlocuteur auquel leur possesseur s'adressait, et leur regard prenait une singulière acuité lorsque le mécanicien avait quelque difficulté technique à résoudre. Leur expression était toutefois corrigée par le pli un peu goguenard stéréotypé sur les lèvres bien ourlées et d'un rouge vif, indice de bienveillance. L'ensemble était sympathique à première vue, et qui connaissait Martin Landoux ne tardait pas à devenir son ami. Aussi le brave garçon, qui avait fait lui-même sa situation à force d'énergie, était-il estimé de tous ceux avec qui il s'était trouvé en relations au cours de son existence mouvementée.
L'établissement qu'il avait créé avec l'aide financière de Médouville était situé sur le bord de la Seine, à Levallois-Perret, non loin des célèbres usines Clément-Bayard, dont le fondateur commença, lui aussi, par être un modeste ouvrier serrurier avant de devenir un puissant industriel. Cet établissement comportait d'abord un vaste hangar, où l'on pouvait procéder au montage simultané d'une demi-douzaine d'aéroplanes, et un long bâtiment divisé en plusieurs pièces largement éclairées par des baies et des plafonds vitrés. Cette usine avait été longtemps occupée par un constructeur de canots automobiles. Mais, ne faisant pas ses affaires, cet industriel avait dû se retirer, laissant toutefois son outillage aux mains de son propriétaire. Martin Landoux, toujours fureteur, avait déniché cette occasion, et il avait pu, en appropriant les locaux à leur nouvelle destination, installer dix ouvriers travaillant à la fabrication et à l'ajustage des moteurs légers pour l'aviation, ainsi qu'à l'usinage des pièces mécaniques entrant dans la composition des machines volantes de son système.
Le mercredi 3 novembre, trois personnes, se trouvaient réunies dans le bureau des études du constructeur d'aéroplanes et de moteurs légers. Ces trois personnes étaient les dirigeants de l'Aéro-tourist-club: La Tour-Miranne, Médouville et Outremécourt. La conversation était animée.
—Ainsi donc, articulait le jeune président, vous n'êtes pas partisan du monoplan, monsieur Landoux?...
—Je ne dis pas qu'il soit dénué de toutes qualités, monsieur le marquis, mais j'ai plus confiance dans le biplan qui est d'abord plus stable et plus facile à conduire...
—Le monoplan est plus vite, je crois, hasarda La Tour-Miranne.
—En effet, Santos-Dumont avec sa Demoiselle a volé à près de cent à l'heure entre Saint-Cyr et Bue, mais, à côté de cela, Glen Curtis a égalé, à quelques cinquièmes de seconde près, la vitesse de Blériot, et cependant il montait un biplan. Enfin, ce n'est pas la grande vitesse que vous cherchez, je crois...
Le père Tranquille, Outremécourt, intervint.
—Non, tout ce que nous désirons c'est d'avoir, surtout, le moins de pannes possible en cours de route. Quant à la rapidité, nous nous contenterons très bien d'une moyenne de quarante à cinquante kilomètres à l'heure.
—Pour cela, il faut avoir avant tout un moteur irréprochable, reprit l'inventeur, et on peut y arriver en ne sacrifiant pas outre mesure à la légèreté. Messieurs, je crois avoir votre affaire, et je suis persuadé que vous serez satisfaits des services que mon nouveau type de moteur vous rendra.
—N'oubliez pas, fit observer à son tour Médouville, que nos appareils devront être capables de transporter un passager en plus du conducteur.
Martin Landoux se leva et atteignit, parmi un monceau de calques et de dessins d'exécution, une feuille qu'il déroula sous les yeux de ses interlocuteurs.
—Voici, messieurs, dit-il, un dessin représentant le modèle dont je me permets de vous conseiller l'adoption.
—Ah! ah!... voyons donc, modula le président en s'approchant.
—C'est un biplan rappelant dans ses lignes principales le Wright, c'est-à-dire dépourvu de tout fuselage et de toute cellule ou queue stabilisatrice, cet organe encombrant et d'ailleurs complètement inutile, sinon nuisible...
—Comment, nuisible?.... se récria le sportsman.
—Oui, nuisible, je ne m'en dédis pas, car c'est à sa présence que j'attribue la mort du capitaine Ferber. Il faut donc supprimer cet appendice encombrant. D'ailleurs, ainsi que l'a très judicieusement énoncé un technicien de haute valeur, des travaux de qui je me suis inspiré, H. Noalhat, il faut, pour devenir maître des éléments et dompter les lois de la nature, créer un jeu de forces antagonistes, continuellement en action, ce qui permet de réaliser l'équilibre cherché.
—Mais la cellule stabilisatrice le donne automatiquement, cet équilibre!
—Ah!... L'automatisme!... fit l'inventeur en branlant la tête. C'est souvent un tort que d'attacher une importance capitale au fonctionnement automatique d'un organe!... Concevriez-vous, messieurs, une bicyclette dont la direction serait automatique?... Or la direction d'un aéroplane n'est pas sans ressemblance, et je crois que l'on réalise bien mieux l'équilibre en tenant le guidon qu'en se fiant à l'action d'une surface le mieux agencée qu'il soit possible.....
—Peut-être avez-vous raison, murmura Outremécourt.
—Pour moi, repartit Martin Landoux, on peut comparer une machine volante à un bateau sous-marin. Ce sont là deux faces d'un même problème, et l'on n'a qu'à copier ce qui donne de bons résultats dans un système pour avoir les mêmes avantages dans l'autre. Or, comment assure-t-on l'équilibre dans un bateau sous-marin?... En créant un jeu de forces que l'on équilibre, non pas automatiquement, mais à la main. Pour maintenir une route horizontale, on incline d'abord la paire de gouvernails d'arrière que l'on fixe suivant l'inclinaison convenable. On donne ensuite l'inclinaison voulue à la paire de gouvernails d'avant que l'on manoeuvre à l'aide d'une roue de barre, et cette roue est mise aux mains d'un pilote qui, les yeux fixés sur le manomètre d'immersion, s'efforce de maintenir l'horizontalité par des déplacements imperceptibles des gouvernails. Il en est de même dans l'aéroplane. Les plans sustenteurs correspondent aux plans horizontaux d'arrière du sous-marin, et leur inclinaison fixe est telle qu'elle correspond au meilleur angle d'attaque possible. A une certaine distance en avant, se trouvent les plans équilibreurs ou stabilisateurs dont le pilote doit pouvoir modifier constamment l'obliquité. C'est en somme le principe appliqué par les Wright.
—Revenons-en à nos aéroplanes, dit le marquis.
—Voici donc un point d'élucidé, continua imperturbablement l'inventeur. L'équilibre sera obtenu par des moyens réellement scientifiques et rationnels. Il en sera de même pour la question des virages pendant le vol et surtout pour le départ qui n'exigera pas un champ de manoeuvres pour prendre l'élan indispensable...
—Ah! ah!... Voilà qui devient intéressant!...
—Oh! c'est bien simple. J'adjoins à chaque cellule une hélice ascensionnelle que l'on mettra en marche au moment du départ. L'ascension s'opérera donc, sinon tout à fait sur place, tout au moins dans un espace très restreint et suivant un angle très accentué. La hauteur désirée une fois atteinte, ces deux hélices ascensives seront progressivement débrayées et toute la puissance du moteur sera reportée sur les hélices propulsives. Le chariot de roulement peut donc être réduit à sa plus simple expression. Pour l'atterrissage, la manoeuvre inverse sera effectuée; les hélices propulsives ralentiront en même temps que les ascensives se mettront à tourner de plus en plus vite jusqu'au moment où l'arrêt presque complet est obtenu, et alors l'appareil se posera à terre sans le moindre choc.
—Voilà une chose bien comprise, approuva le bailleur de fonds des établissements Martin Landoux, et cette adjonction s'imposait, car elle augmente notablement la sécurité de l'aéroplane. Je l'adopte donc pour ma part et j'engage vivement mes amis à suivre mon exemple. Qu'en pensez-vous, La Tour-Miranne, et vous Outremécourt?...
Ceux-ci avaient suivi avec attention les explications du constructeur, tout en consultant de temps à autre les plans étalés sous leurs yeux.
—Ainsi donc, fit le marquis, vous pourrez nous établir une première série de six aéroplanes identiques à celui que vous venez de nous décrire, c'est-à-dire ayant pour caractéristiques: Biplans à ailerons, munis d'une paire d'hélices propulsives et d'une paire d'hélices ascensives, avec gouvernail de profondeur à l'avant, surface des plans sustenteurs, 50 mètres carrés, moteur de 24-30 chevaux. Poids à vide d'un appareil 280 kilos. Vitesse, 50 kilomètres à l'heure en portant un poids utile de 180 kilos, soit deux personnes et des provisions de combustible et d'eau pour deux heures de marche?... C'est bien cela, n'est-ce pas?...
—Absolument cela, monsieur le marquis.
—Bon, mais ce n'est pas tout, continua le président de l'Aéro-tourist club, il nous faut un professeur pour nous mettre au courant du maniement et de la conduite de ces appareils. Voulez-vous être ce professeur, monsieur Landoux?...
—Vous n'y songez pas, monsieur le marquis! Et mon atelier, mes ouvriers, qui les dirigerait, si je n'étais pas là!...
—Mais puisque nous allons absorber toute votre production d'ici six mois, il me semble que vous pouvez bien vous consacrer exclusivement à l'éducation—j'allais dire au dressage—des membres de notre Club!... D'abord, à quelle époque vous engagez-vous à nous livrer ces six premiers appareils?.
—J'espère que l'on pourra en effectuer le montage dans la seconde quinzaine du mois de mars prochain, répondit le mécanicien après un instant de réflexion.
—Donc, ce ne sera qu'au mois d'avril ou mai que vous aurez à vous déranger. Je dois vous dire que je compte organiser un aérodrome dans les propriétés qu'un de mes parents possède dans le département de l'Oise et où la place ne nous manquera pas, je vous le garantis! C'est là que l'on procédera au montage et aux essais des oiseaux mécaniques à l'aide desquels nous prétendons exécuter le tour de France, par étapes d'environ 100 kilomètres. Il faudra absolument que vous soyez présent pour surveiller cette mise au point et nous donner, par vos conseils et votre exemple, les connaissances spéciales, théoriques et pratiques, qui nous manquent entièrement afin de mener nos projets à bonne fin. Donc, pouvons-nous compter sur votre aide pendant cette période?... La chose est, pour nous, d'importance capitale.
—Vous ne pouvez pas nous refuser cela, mon brave Landoux, implora Médouville.
Le constructeur parut indécis. Il songeait que son absence pourrait nuire à la bonne marche du nouvel établissement qu'il était parvenu à fonder, mais, d'un autre côté, il ne voulait pas mécontenter son bailleur de fonds. Enfin il parut avoir pris son parti et releva la tête.
—Songez, insinua La Tour-Miranne que l'aérodrome est à peine à trois quarts d'heure d'auto de Lavallois et que vous pourrez veiller à vos affaires, tout en nous rendant le service que nous attendons de vous.
—J'accepte, répondit d'un ton ferme Martin Landoux. Le montage des aéros et leur mise au point s'effectueront à votre aérodrome par mes ouvriers et sous mes yeux. Et ce ne sera pas ma faute, je vous le promets, si vous n'êtes pas satisfaits de leur fonctionnement!...
—Voilà qui est bien dit, mon cher Landoux, fit avec satisfaction Médouville.
—Et moi je vous remercie de votre collaboration, au nom de tous les membres du club, ajouta La Tour-Miranne, en serrant chaleureusement les mains du mécanicien.
—A propos, interrompit celui-ci, je voulais vous adresser une question, monsieur le marquis, mais peut-être paraîtrai-je indiscret...
—Non, non, parlez, je vous prie.
—C'est bien une série de six appareils du même modèle que vous me demandez pour vous et vos amis?...
—Six, en effet.
—Votre Société ne compte-t-elle donc que six membres?
—Pardon, mon cher Landoux, nous sommes treize pour l'instant.
—En ce cas, les sept autres?...
—Préfèrent choisir eux-mêmes le système d'aéro qu'ils piloteront.
—Ah!... proféra simplement l'inventeur désappointé.
—Oui, je crois savoir que plusieurs préfèrent le monoplan, qui leur semble plus élégant et plus rapide...
—Quant à Damblin et à Garruel qui sont ingénieurs, ils font construire des modèles de leur invention, compléta Médouville.
—Bon, nous verrons ce qu'ils donneront, ceux-là!... Occupons-nous donc des vôtres, messieurs. Je vais les mettre en chantier dès que les matériaux m'en auront été livrés. Les commandes partiront dans quelques jours. En attendant, on continuera l'usinage des moteurs.
—Et faites-nous surtout des moteurs sans pannes, recommanda Médouville en souriant.
—Je ferai de mon mieux, messieurs. C'est tout ce qu'un ouvrier honnête peut promettre.
—Alors nous sommes certains d'être bien servis! conclut aimablement La Tour-Miranne.
Les conditions pécuniaires une fois débattues et réglées, les trois sportsmen se levèrent.
—Tout est désormais arrêté entre nous, je crois, fit le président. Je vais maintenant songer à l'organisation de notre aérodrome. J'espère que le 15 mars prochain vous pourrez vous installer là-bas et y commencer la mise au point de nos véhicules aériens.
—Je l'espère aussi, monsieur le marquis.
Les trois hommes échangèrent de chaleureuses poignées de mains avec l'inventeur.
—Au 15 mars donc, à l'aérodrome du club. Soyez exact!
—J'aurai soin de venir vous relancer d'ici là! ajouta Médouville.
—Les ateliers Landoux seront toujours honorés de votre visite, messieurs, termina le constructeur en s'inclinant courtoisement.
Les sportsmen, accompagnés de Martin Landoux, rejoignirent la luxueuse limousine de La Tour-Miranne qui les avait amenés au quai Michelet et s'y engouffrèrent l'un après l'autre.
—A l'hôtel! commanda brièvement le marquis à son chauffeur avant de refermer la portière sur lui.
La lourde voiture démarra, pendant que le mécanicien regagnait son atelier en murmurant entre ses dents:
—A la besogne, maintenant! Il ne s'agit plus de flâner, mon vieux Martin, mais de prouver ce dont tu es capable.