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A LA GRANDE SEMAINE D'AVIATION DE CHAMPAGNE
ОглавлениеAUX EXPÉRIENCES D'AVIATION DE BÉTHENY.—UN GROUPE D'ENTHOUSIASTES.—LE MARQUIS DE LA TOUR-MIRANNE ET SON AMI OUTREMÉCOURT.—UN JEUNE MÉCÈNE DES INVENTEURS.—LE «PETIT BlSCUITIER» ET SES IDÉES SUR LA LOCOMOTION AÉRIENNE.—UN PROJET ORIGINAL.
RAVO, bravo, Paulhan! Plus vite!!...
—Hurrah pour Glen Curtis!!...
—Vive Blériot!... Blériot premier!... Blériot gagnant!...
—Farman for ever!....
Ces exclamations enthousiastes perçaient la grande rumeur de la foule massée dans les tribunes et derrière les barrières du vaste aérodrome de Bétheny. La «Grande Semaine d'aviation de Champagne» battait son plein depuis quatre jours, et les records établis l'année précédente par les premiers hommes-oiseaux, les Wright, s'effondraient comme des châteaux de cartes. Toutefois, l'honneur de l'une des plus sensationnelles épreuves: la coupe Gordon-Bennett pour l'aviation, restait à la grande république américaine, et un compatriote des Wright: Curtis, enlevait à ses compétiteurs le trophée convoité.
Il n'est pas besoin de rappeler, d'ailleurs, les diverses péripéties de cette première grande manifestation du sport aérien, dont tous les journaux de l'époque ont rendu compte dans ses moindres détails, et qui a donné une impulsion nouvelle à ce mode de locomotion, car c'est dans les plaines de Champagne que les aviateurs ont pris conscience de leur force et trouvé la solution définitive des problèmes qu'ils étudiaient depuis si longtemps.
Les grands oiseaux, aux ailes dorées par les derniers rayons du soleil couchant, passaient et repassaient devant les tribunes bondées d'un public élégant, et chacune de leurs réapparitions soulevait des tempêtes de vivats, d'applaudissements et de cris d'encouragement. Puis, à mesure que l'atmosphère s'assombrit et que la nuit commença à étendre son voile de crêpe sur la campagne, les aéroplanes se rapprochèrent du sol et atterrirent l'un après l'autre auprès de leurs hangars.
Un seul continua obstinément à voler presque au ras du sol. C'était Farman, le recordman du premier kilomètre effectué en aéroplane au-dessus du sol européen, et qui voulait conquérir le grand prix de Champagne de cinquante mille francs.
Les spectateurs, qui se pressaient depuis le matin aux barrières pour assister aux évolutions des hommes-oiseaux, se hâtaient de regagner Reims par tous les moyens de locomotion possibles. Les autos ronflaient, pendant qu'un train d'une interminable longueur stoppait devant les quais de la station improvisée de Bétheny-Aviation.
Plusieurs jeunes gens à la mise élégante, qui occupaient les premiers rangs de la grande tribune, et s'étaient fait remarquer par leurs exclamations enthousiastes, s'attardaient pour scruter dans l'obscurité, d'instant en instant plus épaisse, le retour du biplan de Farman.
—Venez-vous, La Tour-Miranne, dit amicalement un grand jeune homme qui avait adopté la mode surannée de protéger son oeil gauche sous un verre de montre auquel pendait un ruban de soie moirée, de la largeur d'un doigt. Il commence à faire frais!
—Me voici, Outremécourt, répondit au bout d'un instant l'interpellé. J'aurais voulu cependant voir si Farman va continuer à tourner dans le noir. Voilà combien de temps déjà qu'il est en l'air?...
—Deux heures et demie au moins...
—Exactement, deux heures trente-sept minutes, quarante-huit secondes, rectifia un troisième adolescent, au torse replet, à la bonne mine réjouie, et qui répondait au nom de Médouville.
—Il a dépassé les temps de Paulhan et de Latham, en ce cas, reprit celui qui avait été appelé La Tour-Miranne.
—Certainement, et c'est à lui que reviendra incontestablement le prix de Champagne, maintenant! Il est trop tard pour qu'un autre concurrent puisse le lui disputer.
La grande semaine d'aviation battait son plein depuis quatre jours.
—En ce cas, pourquoi continue-t-il à voler malgré la nuit?...
—Sans doute pour nous montrer ce qu'il est capable de faire avec son biplan, riposta Médouville.
—A moins que, comme cela est arrivé hier, il ne puisse plus couper l'allumage de son moteur, dit Outremécourt, tout en descendant l'escalier de la tribune. Il a éprouvé une fameuse souleur, ce brave Farman! Un peu plus, il se jetait contre l'un des hangars!...
—Enfin, ce qui est certain, conclut La Tour-Miranne en s'installant au volant d'une élégante voiturette dont le chauffeur venait de mettre le moteur en marche et d'allumer les phares, ce qui est certain, c'est que nous venons d'assister cet après-midi à un-spectacle inoubliable!
Avant de pousser son levier d'embrayage et de démarrer, le jeune homme se pencha vers ses interlocuteurs.
—Nous nous retrouverons ce soir?... interrogea-t-il. Les jeunes gens se consultèrent du regard.
—Nous ferons sans doute un tour à l'Universelle, vers dix heures, se décida à répondre Médouville. Vous y verra-t-on?
—Certainement. N'est-ce pas dans ces salons que se rencontrent les modernes rois de l'air que nous venons de voir évoluer avec une incomparable maestria?... C'est donc entendu!
La Tour-Miranne tira à lui le levier qu'il tourmentait depuis un instant; un grincement caractéristique se fit entendre, en même temps que les battements des pistons s'accéléraient, mais ces mouvements désordonnés ne durèrent qu'un moment; l'allure du moteur redevint vite normale, et l'auto démarra doucement pour se mettre à la file des autres véhicules regagnant en hâte l'antique cité champenoise.
Outremécourt et Médouville, de leur côté, s'étaient dirigés vers la gare, où ils retrouvèrent plusieurs personnes de leur connaissance attendant également le train devant les ramener à Reims. Pendant le court trajet de Bétheny à l'ancienne ville où les rois de France étaient sacrés, la conversation ne roula, ainsi qu'on le conçoit, que sur les performances des aviateurs, auxquelles les jeunes gens venaient d'assister.
—C'est égal, déclara un des voyageurs que ses compagnons écoutaient avec intérêt, bien qu'il parlât d'un ton décidé et impérieux, c'est égal, qui eût pu se douter qu'en si peu de temps, la question de la locomotion aérienne aurait pris une telle ampleur et que l'on serait'arrivé aux résultats extraordinaires que nous venons de constater!... Pour ma part, j'en demeure confondu. Vous avez vu tout à l'heure les cabrioles de Lefebvre?... Je suis certain que Wilbur lui-même en aurait été émerveillé!
—Et Latham, donc, renchérit son voisin. Il m'a fait passer le frisson de la petite mort dans le dos, quand il a coupé son allumage à plus de cent mètres de haut et qu'il est descendu en tournoyant comme un immense vautour, pour repartir de plus belle au moment de toucher le sol.
Au milieu d'un groupe d'auditeurs, Réviliod pérorait.
Celui qui avait parlé le premier reprit:
—J'ai suivi, moi qui vous parle, les essais et expériences de l'année dernière et assisté également aux vols les plus impressionnants de Wright avec son flyer. J'ai remarqué l'anxiété des pilotes interrogeant l'anémomètre et n'osant se risquer lorsque soufflait la plus faible brise. Hé bien! vous avez vu, tous ces jours-ci, les aviateurs s'élancer dans les airs et battre des records de durée, alors que soufflaient des vents de plus de huit mètres par seconde et que la pluie tombait à flots, chassée par les rafales!... Ah! l'émulation est une bonne chose, il faut en convenir. On doit reconnaître que les champions de l'aéroplane se sont bien enhardis et ont fait de fameux progrès en peu de temps! N'est-ce pas votre avis, Réviliod?...
—C'est possible, rétorqua celui-ci d'une voix coupante. J'admire tout comme vous les vols remarquables exécutés sous nos yeux par les disciples des Wright et du capitaine Ferber, mais, à mon avis, ce sont des acrobates, et l'aéroplane me semble un outil bon tout juste à se casser le cou! Parlez moi des dirigeables, à la bonne heure! Au moins la sécurité est assurée à leur bord si une pièce quelconque de la machine vient à casser! Vous avez vu manoeuvrer, cette après-midi, le Colonel-Renard et le Zodiac II?... Quelle impression de puissance, de solidité ils donnent, à côté des libellules de Blériot ou des boîtes entoilées des frères Voisin!... Vous me direz qu'ils vont moins vite que celles-ci, je le reconnais comme vous, mais si la vitesse est acquise au détriment de la sécurité, je préfère encore le ballon, savez-vous, Damblin.
—L'avenir est à l'aéroplane, Réviliod!
—Le ballon dirigeable n'a pas dit son dernier mot. Voyez le Zeppelin!
—Moi je vais vous mettre d'accord, intervint Médouville avançant sa grosse figure réjouie. La machine aérienne de l'avenir qui remplacera la locomotive et l'automobile ne sera ni un aéroplane, ni un ballon!
—Et qu'est-ce que ce sera donc, alors? firent en choeur les auditeurs.
—Je l'ignore; je n'en ai pas la plus vague idée, autrement je m'empresserais de prendre un brevet d'invention, mais ce que je sais bien c'est que tous les appareils que nous venons de voir n'auront qu'un temps. Penser autrement serait vouloir, à mon avis, nier le progrès, et vous ne contesterez pas, d'ailleurs, qu'aéroplanes et ballons ont encore besoin de sérieuses améliorations pour devenir aussi pratiques qu'une automobile!
Damblin allait répondre, mais le train s'arrêtait en gare de Reims; toutes les portières des voitures s'ouvraient et les voyageurs se précipitaient vers les issues.
Les jeunes gens suivirent le flot pressé du public, en se donnant rendez-vous dans la soirée à l'Universelle. Comme ils doivent jouer un rôle important dans ce récit, présentons-les l'un après l'autre au lecteur.
Robert de La Tour-Miranne était fils unique du duc de La Tour-Miranne, l'un des derniers représentants de la vieille noblesse de France. Passionné des sports, il les pratiquait tous indistinctement, et les exercices athlétiques n'avaient plus de secrets pour lui. Il eût pu se mesurer, sans forfanterie, à l'escrime avec Mérignac ou le chevalier Pini, à la course pédestre avec Cibot ou Orphée, à bicyclette avec Guignard ou Friol, à la nage avec Jarvis ou Ooms, au golf, au tennis, au polo, au foot-ball avec les joueurs les plus réputés, mais toutefois sa prédilection allait plutôt vers les sports de la locomotion. Il avait déjà mis à mal une bonne douzaine d'automobiles de toutes formes depuis que l'auto existait, et il ne possédait pas moins de quatre embarcations de différents tonnages: un yacht gréé en clipper et un racer à pétrole pour la navigation de plaisance sur les rivières et canaux de France, un cruiser et un yacht à vapeur de 150 tonneaux, l'un pour les croisières le long des côtes, l'autre pour les voyages au long cours. Enfin, depuis que l'aérostation était revenue de mode et qu'il était de bon ton de pérégriner à travers l'atmosphère, Robert de La Tour-Miranne s'était fait construire deux ballons sphériques, l'un de 450, l'autre de 1650 mètres cubes, par l'ingénieur aéronaute Fruscou. Il avait exécuté avec ces aérostats une douzaine d'ascensions qui l'avaient enthousiasmé, aussi ne rêvait-il plus désormais que de pouvoir évoluer en toute liberté au sein de l'élément mobile, et c'est pourquoi il suivait avec un intérêt passionné les premières manifestations du nouveau sport: le vol aérien. Comme conséquence directe de ces goûts, que la fortune du duc son père lui permettait heureusement de satisfaire, Robert était membre de toutes les Sociétés possibles: l'Automobile-Club, le Yacht-Club, le Touring-Club, le Swimming-Club, l'Aéro-Club, le Jockey-Club, l'Union des Sports Athlétiques, etc., etc.
Au physique, le marquis de La Tour-Miranne était un fort gaillard de vingt-six ans, à la musculature développée par la pratique continuelle des exercices physiques. Sans être ce que l'on appelle un Antinoüs, il avait les traits fins et réguliers, la moustache blonde et soyeuse, les cheveux coupés en brosse, ce qui le faisait ressembler à quelque lieutenant de cavalerie en congé, bien qu'il n'eût pas dépassé, au 19e hussards, le grade de sous-officier. Au moral, un excellent garçon, peut-être un peu autoritaire, mais néanmoins franc et serviable, sans morgue aucune et toujours prêt à obliger le prochain. Aussi comptait-il nombre d'amis dans son monde, au premier rang desquels il convenait de placer son ami de collège Jean Outremécourt, et René de Médouville.
La fortune des Outremécourt était loin d'être équivalente à celle des La Tour-Miranne, d'autant que la famille était plus nombreuse. Le vicomte, ami de Robert, n'avait pas moins de quatre soeurs, dont la plus âgée avait dix-neuf ans. Les deux jeunes gens s'étaient connus dans le grand établissement d'enseignement où ils avaient reçu l'instruction, et ils étaient devenus vite une paire de camarades, bien qu'ils fussent dissemblables de tout point. Autant Robert était vif, pétulant, bruyant et entraînant, autant Jean était réfléchi, calme et pondéré, même dans les amusements et les jeux de l'adolescence. Ses condisciples l'avaient surnommé le Père Tranquille, en raison de sa placidité habituelle. De retour du régiment, Jean Outremécourt était resté le meilleur camarade de Robert, qu'il avait accompagné dans plusieurs croisières à bord de son yacht Lusignan, et, entre-temps, il avait suivi les cours de la Faculté des Sciences comme auditeur libre, car il s'intéressait fort au mouvement scientifique de l'époque.
René de Médouville, l'aîné des trois amis, avait vingt-huit ans. C'était un bon garçon, un peu hurluberlu, et qui se posait volontiers en Petit Manteau Bleu des inventeurs incompris, qu'il ne craignait pas d'aller encourager dans leurs mansardes et aidait de sa bourse sans compter. Médouville se croyait lui-même un inventeur de génie, et il communiquait sans hésiter de mirifiques mais impraticables idées à ses protégés, afin qu'ils améliorassent leurs créations. Avec un pareil caractère, il était surprenant qu'il ne se fût pas encore ruiné, car plus d'un aigrefin l'avait exploité sans vergogne. Les inventions nouvelles qu'il voulait mettre à jour ou perfectionner lui coûtaient plus cher qu'une écurie de courses, et ses camarades le plaisantaient de ses goûts, mais sans parvenir à l'en décourager. Heureusement, René de Médouville avait un cousin germain, phénoménalement riche, et à l'inépuisable bourse duquel il faisait fréquemment appel. Ce cousin, qui portait le nom plébéien d'André Lhier et avait huit ans de plus que lui, s'était adonné au commerce, et il avait développé extraordinairement le chiffre d'affaires de la maison de produits alimentaires qu'il exploitait. On parlait de huit à dix millions par an. Lorsque René venait, tout chaud d'enthousiasme pour quelque fantastique opération, lui demander son concours financier, André morigénait l'incorrigible rêveur, mais il déliait les cordons de sa bourse et le Mécène continuait ses libéralités.
Tels sont les personnages que nous avons mis en scène et que nous retrouvons, le 26 août au soir, dans un salon particulier de l'Universelle, le grand établissement de Reims, à la fois brasserie et music-hall. Au milieu d'un groupe d'auditeurs, Réviliod pérorait:
—Non, messieurs, disait-il de sa voix sèche et coupante, l'aéroplane n'est pas encore au point, voyez-vous, et il faut que les concurrents soient diantrement alléchés par l'importance des prix offerts pour se risquer comme ils l'ont fait depuis trois jours. Mais gare aux accidents!...
—Espérons que vos pronostics ne se réaliseront pas!... répliqua l'ingénieur Georges Damblin qui écoutait. S'il s'en produisait malgré tout, il ne faudrait toutefois pas triompher et croire pour cela que l'aviation n'a aucun avenir! Ce serait simplement la rançon du progrès qui veut que chaque amélioration se paie d'une façon ou de l'autre.
L'orateur se tourna vers son contradicteur.
—Voyons, mon cher Damblin, fit-il cordialement, vous ne pouvez cependant pas, vous qui êtes ingénieur et avez suivi la question de près, accorder à l'aéroplane le moindre intérêt pratique!... A quoi cela rime-t-il, ces évolutions en rond autour de pylônes plantés sur une piste bien aplanie?... Je comprends mieux les voyages de ville à ville de Farman, de Santos-Dumont et la traversée du Pas-de-Calais par Blériot. Mais voulez-vous bien me dire à quoi ces oiseaux si fragiles peuvent être utiles?... Non, non, mon cher ami, je vous le répète encore une fois, ce n'est pas dans cette voie qu'il faut chercher, en dépit de la réussite momentanée de ces espèces de skis aériens que sont les aéroplanes. La solution de la locomotion aérienne sera trouvée dans une tout autre voie, croyez-moi.
A ce moment, une rumeur se fit entendre dans la grande salle du rez-de-chaussée. Les jeunes gens prêtèrent l'oreille.
Au même instant, la bonne face réjouie de la Providence des inventeurs, René de Médouville, s'encadra dans l'entre-bâillement de la porte.
—Ne vous effrayez pas, dit-il, ce sont les admirateurs des hommes volants qui font une ovation à Lefebvre et à Curtis, qui ont été reconnus parmi les consommateurs. Ça doit être quelquefois bien gênant d'être célèbre!...
—Aussi t'efforces-tu de le devenir!... fit, avec une bourrade amicale, La Tour-Miranne, qui, fidèle à sa promesse, apparaissait accompagné d'Outremécourt. Allons, fais-nous place, moulin à idées!...
Réviliod, que l'on appelait aussi, en plaisantant, le Petit Biscuitier parce qu'il était le fils du richissime fabricant de biscuits de France, «la marque universellement connue R-T», ne s'était pas démonté pour si peu, et le flot intarissable de ses paroles coulait toujours.
—L'aéroplane, biplan ou monoplan, ne se prête à aucune utilisation pratique possible; A la guerre, me dites-vous, il sera précieux pour les reconnaissances!... Erreur profonde, messieurs. La première condition à remplir à la guerre est de pouvoir s'élever le plus haut possible pour se mettre à l'abri des coups de l'artillerie ennemie, or c'est à peine si les appareils actuels peuvent atteindre quelques centaines de mètres. Leurs pilotes seront donc exposés à être mitraillés sitôt aperçus; ils auront beau aller vite, les obus iront encore plus vite qu'eux. C'est pourquoi je m'évertue à le répéter: ces recherches sont stériles et ne sauraient conduire à rien de sérieux! Il faudra en revenir au principe opposé, à l'aéronat plus léger que l'air, qui donne gratuitement la sustention et assure la sécurité de l'équipage!...
Blériot sur son aéroplane monoplan.
—Allons, coupa La Tour-Miranne, vous vous bouchez les yeux pour ne pas voir clair, mon brave Réviliod. C'est un parti pris chez vous de dénigrer les choses nouvelles. Vous êtes un rétrograde, un contempteur du progrès!...
Le Petit Biscuitier, piqué au vif, sursauta.
—Un rétrograde, moi!... Par exemple, voilà un reproche que je ne pensais pas mériter, moi qui adopte toutes les créations, toutes les conquêtes de l'ingéniosité humaine, aussitôt que leur utilité m'est démontrée...
—Ah! je vous y prends, il faut que vous reconnaissiez cette utilité...
—Tiens!.... Cela me paraît élémentaire! Mais, pour en revenir au sujet de notre conversation, voudriez-vous seulement m'énumérer, La Tour-Miranne, les applications dont l'aéroplane actuel vous semble susceptible, et celles que vous pourriez raisonnablement en faire?...
Le sportsman se redressa.
—Ce que j'en ferais, si je savais m'en servir!... Eh bien! j'en ferais l'engin de tourisme idéal, bien supérieur à la bicyclette, au chemin de fer et à l'automobile!
La Tour-Miranne avait prononcé ces mots d'une voix vibrante d'enthousiasme. Ses amis se rapprochèrent de lui.
—Oui, reprit-il avec chaleur, l'aéroplane, tel qu'il est dès maintenant, peut constituer un moyen de locomotion idéal, je ne parle pas seulement pour l'exploration des régions inconnues du globe, cela viendra plus tard, mais pour le vrai tourisme, car il peut faire ce que ne saurait faire l'auto, avec quoi on ne peut dominer du regard le panorama du pays que l'on traverse. Le ballon dirigeable, seul, peut lui être comparé pour cet usage spécial, mais il ne faut pas oublier qu'il lui faut un hangar prêt à le recevoir au bout de chaque étape et qu'il est d'un entretien plutôt délicat...
—Vous voudriez faire des voyages d'agrément avec des aéroplanes?... interrompit en ricanant le défenseur des aérostats.
—Pourquoi pas!... répliqua avec assurance le jeune homme.
—Vous n'iriez pas loin avant de casser du bois, je le crains.
—C'est à savoir!... Pourquoi ne ferais-je pas—une fois mon apprentissage d'aviateur terminé, bien entendu!—tout aussi bien que les expérimentateurs, aux succès de qui nous venons d'applaudir?... Tenez, je vais même plus loin dans mes affirmations, et je vous dis qu'il n'en est pas un de nous qui, après avoir appris à conduire un biplan ou un monoplan, ne deviendrait aussi habile qu'un élève de Wright ou de Farman!...
—C'est un paradoxe et une affirmation un peu audacieuse...
—Et pourquoi cela, interrogea Outremécourt intervenant dans la conversation. Je dis comme La Tour-Miranne, moi, et je crois qu'il n'est nullement indispensable d'être un individu exceptionnel pour conduire un aéro. Il n'a pas fallu tant d'heures que cela aux initiateurs du vol aérien pour devenir des maîtres. Qui nous empêcherait de devenir aussi habiles qu'eux?...
—Paroles que tout cela!...
Le marquis de La Tour-Miranne avait réfléchi pendant que parlait son ami.
—Voulez-vous que nous vous donnions les preuves de ce que nous avançons, dit-il?
—Et comment cela?...
—Eh bien! écoutez-moi un instant. J'ai une idée. Je vais vous l'exposer et nos amis nous diront ce qu'ils en pensent.
Et le jeune homme, s'accoudant à la cheminée du salon, prit la parole et développa sa pensée avec aisance et précision.