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AÉROVILLA

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Table des matières

INSTALLATION DE L'AÉRODROME DE PUISEUX-LE-HAUBERGER.—UNE FÊTE RÉUSSIE.—LES PREMIERS VOLS DE MARTIN LANDOUX.—AMATEURS TIRÉS AU SORT.—A BIENTÔT LE DÉPART!...

L'automobiliste se rendant à Beauvais par l'itinéraire le plus usité, c'est-à-dire par Groslay, Beaumont-sur-Oise et Chambly, peut apercevoir sur sa gauche, avant d'arriver à Puiseux-le-Hauberger, de vastes pâturages occupant tout le fond de la vallée, que ferme à l'ouest un coteau boisé désigné dans le pays sous le nom de «Clos-Caillite». Des chevaux paissent en liberté dans ces prairies qui ne sont autre chose qu'une dépendance des haras d'élevage du prince Muret à Chambly, et ce sont elles qui avaient été choisies par le marquis de La Tour-Miranne pour en faire l'aérodrome et le champ d'expérience des pilotes aviateurs de l'Aéro-tourist-club.

Le premier soin du fondateur de la nouvelle société fut d'enclore complètement, par une haute palissade ne mesurant pas moins de cinq kilomètres de tour, la vallée, dont les locataires à quatre jambes avaient été ramenés aux haras de Chambly et de Gouvieux, et de dessiner une piste ellipsoïdale dont les lignes droites mesuraient quinze cents mètres. Cette piste, soigneusement nivelée et d'une largeur de vingt-cinq mètres, était recouverte de sablon fin.

Non loin de l'entrée du terrain, située à l'angle du chemin vicinal de Puiseux à Bornel et de la route départementale, furent édifiés les hangars démontables destinés à abriter les oiseaux mécaniques. Ces hangars, au nombre de cinq, pouvaient recevoir chacun trois aéroplanes rangés l'un derrière l'autre. Des portes à coulisse permettaient de dégager entièrement la façade orientée à l'est et de sortir les appareils.

L'organisateur n'avait rien oublié de ce qui pouvait être utile sur ce champ d'expériences. Une maison démontable contenait le magasin des pièces accessoires, un atelier complet avec l'outillage indispensable pour la réparation des châssis et des moteurs, et une cuisine avec le matériel pour préparer et servir les repas d'une centaine de personnes. Le cuisinier devait habiter, avec le gardien du parc d'aviation, le premier étage de l'habitation.

Une station météorologique complète, avec anémomètre et ballon-sonde captif, était installée en face de l'esplanade ménagée devant la sortie des hangars. Un pylône surmonté d'un mât portait, à cinquante mètres au-dessus du niveau de la piste, une longue flamme tricolore en étamine devant servir de girouette. Enfin, pour ne rien omettre, le marquis de La Tour-Miranne avait fait relier l'aérodrome au réseau téléphonique général par une ligne particulière.

Ces divers travaux d'aménagement demandèrent plusieurs mois; ils étaient loin d'être achevés quand, le 15 mars, ainsi qu'il l'avait promis, Martin Landoux parut, amenant sur un camion automobile les pièces constitutives de deux appareils. Le président de l'Aéro-tourist était justement à l'aérodrome pour presser les entrepreneurs. Il accourut tout essoufflé, aussitôt qu'on l'eut prévenu de l'arrivée du constructeur.

—Ah! mon cher Landoux, que de tracas, que de difficultés on rencontre pour la moindre des choses, s'écria-t-il. Vous, au moins, êtes l'exactitude même, mais ce sont mes ouvriers de qui je n'en pourrais dire autant. J'ai beau les presser, je n'en obtiens rien, de ces tortues!... Enfin, heureusement les hangars sont prêts, vous allez pouvoir y garer les appareils. Vous les amenez tous les six?...

Le mécanicien parut un peu gêné.

—J'apporte aujourd'hui les moteurs et les châssis de deux planeurs. Le matériel des quatre autres sera prêt dans une huitaine, mais c'est mon fabricant d'hélices qui me fait faux bond, et je suis aussi ennuyé que vous, croyez-le!

—Deux appareils seulement?... Diable!...

—Que cela ne vous inquiète pas, monsieur le marquis, je serai prêt. Dès demain mes ouvriers commenceront le montage et dans une dizaine de jours les six aéroplanes seront prêts.

—J'en accepte l'augure. Espérons que, dans le même temps, toute l'installation sera également terminée et que nous pourrons commencer nos essais.

Ces présomptions devaient se réaliser, grâce à la ténacité du jeune président et à l'activité déployée par l'équipe amenée par Martin Landoux. Le 26 mars, l'aménagement fut enfin achevé, en même temps que le montage du sixième aéroplane touchait à sa fin. La Tour-Miranne put alors convoquer ses collègues et lancer ses invitations pour l'inauguration d'Aérovilla, nom qu'il avait donné au nouveau champ d'aviation.

Le dimanche 3 avril, par un temps magnifique annonçant une belle journée de printemps, furent hissées, en tête des mâts flanquant l'entrée de l'aérodrome, les flammes tricolores et les pavillons aux couleurs du club, représentant une hélice blanche sur fond azur. Le fondateur de la Société était arrivé en automobile dès la première heure et multipliait ses ordres pour que tout fût prêt pour recevoir les hôtes attendus. Des trophées de drapeaux furent fixés au fronton des hangars, et les tables dressées sous une vaste tente de toile à proximité de la cuisine. Tout prit bientôt un air de fête et de gaîté sous un soleil radieux.

Vers dix heures apparurent les premiers invités: Georges Damblin, Léonce Breuval le trésorier, suivis de membres du club et propriétaires des aéroplanes construits par Martin Landoux. Derrière eux arriva Outremécourt, flanqué de ses deux soeurs, puis Médouville accompagnant son cousin André Lhier et sa femme. Ce fut bientôt un flot ininterrompu d'automobiles ronronnant et cornant à qui mieux mieux. La Tour-Miranne, débordé, ne parvenait plus à serrer toutes les mains qui se tendaient vers lui. Aussi, profitant d'un moment d'accalmie, il s'empressa de s'écrier:

—Mesdames, et vous tous mes chers amis, qui avez bien voulu par vôtre présence montrer tout l'intérêt que vous portez à notre oeuvre, je vous convie, en attendant le déjeuner qui va être servi dans quelques instants, à parcourir les aménagements du parc d'aviation de l'Aéro-tourist-club. Faisons donc, si vous le voulez bien, le tour du propriétaire.

Suivi d'une longue théorie de curieux, le sportsman se dirigea vers les hangars. Un aéroplane fut tiré de son abri, amené sur la piste, et Martin Landoux en fit la présentation en quelques mots.

—Ce que ne nous dit pas notre habile constructeur, s'empressa d'ajouter le marquis, c'est que cet appareil possède une quantité d'améliorations et de perfectionnements qui le rendent très supérieur à tous les aéroplanes actuels, et que ces perfectionnements, c'est à son génie inventif que nous les devons!

Des hangars, les visiteurs se rendirent à la station météorologique dont La Tour-Miranne expliqua l'utilité puis à l'atelier et au magasin. Mais l'heure venait de gagner la tente restaurant, ornée de plantes vertes, et où la table garnie de fleurs attendait les convives.

On s'attabla et le repas fut des plus animés, surtout au moment du dessert, où Médouville réclama un instant de silence afin de prononcer un discours dans lequel il se faisait «l'interprète de l' Aéro-tourist-club pour adresser ses plus vifs éloges à son président et le remercier de la persévérance dont il avait fait preuve dans l'organisation d'Aérovilla». A son tour, La Tour-Miranne dut se lever. Il assura qu'il était amplement payé de ses peines par l'empressement avec lequel on avait répondu à sa convocation, et, au milieu d'un tonnerre d'acclamations, il leva son verre au succès de l'Aéro-tourist-club et du Tour de France en aéroplane qu'il allait s'efforcer de mener à bonne fin.

L'inauguration officielle d'Aérovilla était désormais un fait accompli.

—Dès demain, ajouta le président, la piste sera à la disposition des membres du Club qui voudront s'initier au maniement de leurs appareils. Notre dévoué ingénieur, M. Landoux se tiendra, ainsi qu'il a bien voulu nous le promettre, à leur disposition pour leur donner les premières leçons de conduite.

Les conversations particulières reprirent.

—A propos, fit une voix, et notre ancien ami le Petit Biscuitier, Claude Réviliod, sait-on ce qu'il devient?... Il est invisible depuis quelque temps.

La Tour-Miranne, qui causait avec animation avec sa voisine de table, Mlle Geneviève d'Outremécourt, releva la tête et prêta l'oreille à la réponse de Breuval.

—Comment, vous ne savez pas, dit le futur agent de change, que cet adversaire fanatique de l'aéroplane se fait construire un dirigeable?...

—Je ne l'ignore pas, répliqua celui qui avait parlé, le jeune Philibert Médrival, mais cela ne nous explique pas...

—Je puis vous renseigner, prononça une autre voix, celle d'un autre fondateur du club, M. de l'Esclapade. J'ai appris cela chez Fruscou qui me construit mon monoplan et qui a également la commande du Réviliod n° 1. Il paraît que notre ex-camarade a fait édifier un immense hangar dans une propriété qu'il possède du côté de Triel. Le ballon, dont la capacité est de 1.500 mètres cubes, vient d'y être transporté, et on affirme qu'il comporte des perfectionnements extraordinaires, le rendant très supérieur à tout ce qui a été fait jusqu'à présent. Le montage est commencé sous la direction de Fruscou en personne, et ce yacht aérien sans pareil prendra prochainement son essor. Mais tous ces préparatifs s'effectuent dans le secret le plus rigoureux, et c'est pourquoi Réviliod, qui compte sur un succès phénoménal, n'apparaît plus à Paris.

Le marquis avait écouté avec attention.

—Il tient à nous fournir, décidément, la preuve de ce dont il s'est efforcé de nous convaincre, articula-t-il. Très bien, nous le verrons à l'oeuvre. Il ne nous reste plus, messieurs, qu'à faire de notre mieux si nous ne voulons pas être distancés. C'est une espèce de duel, entre l'aéronat plus léger et l'aéroplane plus lourd que l'air, qui va s'engager; nous tâcherons d'en sortir à notre honneur.

A ce moment, Martin Landoux apparut à l'entrée de la tente et fit un signe au président. Celui-ci comprit ce muet appel et se leva, mouvement que tous les autres convives imitèrent.

—Mes chers amis, dit-il, nous allons assister au premier vol de l'un des appareils avec lesquels nous comptons exécuter notre excursion dans le beau ciel de France. Vous aurez ainsi une idée de l'agrément de ce mode de locomotion qui deviendra, je n'en doute pas, le seul utilisé dans l'avenir pour les voyages de plaisance et les promenades.

Les membres du club et leurs invités, suivant l'orateur, arrivèrent sur la piste où un aéroplane avait été amené. L'ancien «roi du volant» en fit sommairement la description technique, puis il se hissa à sa place de manoeuvre entre les deux surfaces de toile superposées, et saisit les leviers de commande de chaque main.

—Attention! cria-t-il à ses aides. Lancez le moteur!...

Un crépitement saccadé retentit. Les deux hélices horizontales disposées à droite et à gauche de l'aviateur commencèrent de tourner en même temps que les deux hélices propulsives de l'arrière et leur vitesse de rotation s'accrut rapidement, à un tel point que le regard ne pouvait distinguer les palettes en mouvement. Tout l'appareil fut secoué d'une violente trépidation.

—Lâchez!... cria Martin Landoux.


L'appareil, libéré, partit comme une flèche en roulant sur les trois petites roues supportant le châssis, mais il parcourut à peine cinquante mètres de cette façon, déjà les roues quittaient le sol et l'aéroplane se décollant s'élevait suivant une pente de près de quarante-cinq degrés. A une vingtaine de mètres de hauteur, l'ascension s'arrêta. Le mécanicien avait débrayé les hélices ascensives et mis toute la force du moteur sur les propulseurs. L'oiseau mécanique s'éloigna en suivant exactement le contour de la piste; sa fine silhouette s'estompa à l'horizon, puis grandit de nouveau en se rapprochant des spectateurs. A une centaine de mètres du point d'où il s'était envolé, son allure se ralentit considérablement, ses hélices ascensionnelles tourbillonnant vertigineusement, puis il vint se poser, aussi doucement qu'un papillon sur une fleur, à l'endroit même de son départ. Martin Landoux coupa alors son allumage, et sauta lestement à bas de son siège.

—Voilà, ce n'est pas plus difficile que cela!... prononça-t-il simplement.

Le Père Tranquille, Jean d'Outremécourt, qui avait tenu sa montre à la main pendant la durée du vol, murmura en la consultant du regard:

—Six minutes vingt-trois secondes pour cinq kilomètres, cela donne environ du cinquante à l'heure!

On n'entendit pas cette remarque dans le tonnerre d'acclamations qui avait accueilli le retour de l'aviateur, autour duquel la foule se pressait pour le féliciter autant pour son habileté de conducteur que pour sa science de constructeur.

Plusieurs voix féminines dominèrent le tumulte. Ces dames réclamaient la faveur d'un tour de piste à bord de l'aéroplane. La Tour-Miranne et Martin Landoux, débordés, ne savaient à qui entendre. Enfin, le jeune président parvint à obtenir un silence relatif, et il se hâta d'en profiter.

—Nous ne demandons pas mieux, Mesdames, que de vous donner satisfaction et de vous faire connaître les sensations du vol en aéroplane, put-il enfin prononcer, mais nous n'avons actuellement qu'un appareil et surtout un seul pilote expérimenté, M. Landoux, et il nous serait impossible, au cours de cette après-midi, de contenter tout le monde. Je ne vois donc qu'un moyen, c'est de nous soumettre aux caprices du sort qui désignera dix d'entre vous pour exécuter une envolée...

—Oui, oui, tirons au sort, crièrent plusieurs voix impatientes.

—Dans quelques semaines, lorsque nos camarades du club se seront familiarisés avec leurs appareils, ajouta La Tour-Miranne, je suis certain qu'ils seront heureux d'offrir une place à leur bord à tous les amateurs désireux d'essayer une promenade aérienne.

Déjà Médouville, suivant avec empressement l'indication du président, avait jeté au fond d'un chapeau haut de forme des morceaux de carton, provenant de cartes de visite exactement partagées en quatre parties, et en nombre égal à celui des néophytes ayant réclamé la faveur d'un tour de piste en aéro. Dix de ces cartons portaient une croix au crayon et devaient désigner les élus du sort.

—Approchez, mesdemoiselles, clama le secrétaire du club, approchez sans crainte, ça ne mord pas!... Allez-y hardiment et ayec confiance et que la chance vous favorise!...

—Faisons vite, ajouta La Tour-Miranne. Le temps s'envole et le vent pourrait augmenter.

Avec des rires, des exclamations de joie ou de dépit, suivant que le sort lui avait été ou non avantageux, chaque invitée tira à tour de rôle un carton du chapeau du clubman. Mlle d'Outremécourt et Mme Lhier furent au nombre des élues, et leur triomphe fut accueilli par des applaudissements unanimes.

Déjà Martin Landoux avait repris sa place aux leviers de manoeuvre. La première des favorisées du sort, Mlle Geneviève, vint occuper le siège demeuré vide à côté de l'aviateur.

—Tenez-vous bien aux bras du fauteuil et serrez ce foulard autour de votre tête, recommanda le mécanicien à la jeune fille qui, pour monter à bord avait enlevé son immense chapeau—son monoplan, suivant l'appellation que son frère, le Père Tranquille, donnait à ce chef-d'oeuvre de chapellerie féminine.

Les spectateurs s'étaient écartés de quelques pas pour ne pas gêner l'essor de l'appareil.

Martin fit un signe à l'ouvrier chargé de mettre le moteur en mouvement. Aussitôt les crépitations de la machine se firent entendre, sèches et répétées.

—Attention, mademoiselle, dit-il. Nous partons!...

Aussi rapidement et avec la même légèreté que la première fois, l'aéroplane bondit en avant, tout en s'élevant suivant une courbe gracieuse et il s'éloigna vers l'extrémité la plus reculée de l'aérodrome, suivi dans sa course par les acclamations de tous les assistants. Cinq minutes ne s'étaient pas écoulées qu'il revenait à tire-d'aile pour déposer à l'endroit même de son départ la gracieuse passagère toute rose de contentement et d'émotion.

—C'est idéal! déclara la jeune fille en sautant légèrement à terre. C'est une sensation inexprimable que ne saurait procurer aucun autre moyen de locomotion, et je ne saurais dire combien je suis heureuse de cette promenade, hélas! bien trop courte à mon gré!

—C'est bien simple, mademoiselle, insinua Médouville: soyez des nôtres dans le voyage de tourisme que nous organisons. Jean, votre frère, ne refusera certainement pas de vous emmener avec lui comme passagère...

—Qui sait si mes parents me permettraient une semblable excursion....

—Oh!... avec votre frère pour mentor, et en les priant bien fort, je suis sûr qu'ils ne résisteraient pas longtemps!...

—Certes, j'essaierai de les fléchir, déclara Mlle Geneviève d'un petit ton résolu, mais ça ne sera peut-être pas très facile! Papa, cela ira encore, car il fait toutes mes volontés, mais c'est maman qui va jeter les hauts cris quand je lui annoncerai que je veux accompagner mon frère!... Pourtant, je suis une grande fille, je suis l'aînée après Jean, je vais avoir vingt ans!...

Le marquis de La Tour-Miranne qui avait entendu ces paroles s'approcha et souffla à demi-voix en souriant:

—Faites remarquer à madame votre mère que votre présence à côté de mon ami Jean modérera sa fougue naturelle et l'empêchera de commettre des imprudences. C'est un argument qui ne peut manquer de la toucher vivement.

La jeune fille fixa ses yeux pénétrants sur le fondateur d'Aérovilla. Ses lèvres s'ouvrirent pour répliquer, mais elle secoua la tête comme pour chasser quelque pensée importune. Enfin, après un moment de silence, elle murmura seulement.

—Nous verrons, Monsieur Robert, nous verrons!...

Des applaudissements répétés vinrent mettre fin à cette scène à trois personnages. Pour la quatrième fois, le biplan Martin Landoux revenait à une allure d'express bien lancé, mais avant d'atterrir, son conducteur exécuta à trente mètres de hauteur environ un quadruple virage en forme de 8, puis il redescendit en décrivant une courbe hélicoïdale parfaite, démontrant la maîtrise que l'ancien «roi du volant» avait acquise dans le maniement de la machine volante. C'était cette prouesse qui avait suscité l'admiration des jeunes gens massés sur la verte pelouse qu'enserrait la piste aérienne.

—Bravo, Landoux, articula Breuval, vous allez rendre Paulhan et le comte de Lambert lui-même, jaloux de votre habileté.

Le constructeur sourit et se borna à répondre:

—Hâtons-nous, mesdames, le vent commence à souffler, et tout à l'heure nous n'allons plus pouvoir voler!...

L'ingénieur Damblin était allé consulter l'anénomètre enregistreur.

—Vent nord-est, vitesse cinq mètres à la seconde, annonça-t-il.

Landoux avait entendu.

—Oui, mais il y a de courtes bourrasques par instants, et c'est gênant dans les virages, répliqua-t-il.

Pendant qu'il parlait, une nouvelle passagère avait prestement escaladé les échelons conduisant au siège disponible à côté du pilote.

—Voici la voyageuse demandée, monsieur, fit la jeune femme en souriant.

—Parfait en ce cas! Tenez-vous bien madame, nous démarrons!...

L'aéroplane s'élança de nouveau, puis revint déposer son chargement et reprendre une autre passagère. Six fois encore, Martin Landoux boucla le parcours de l'aérodrome, suivi dans ses évolutions par les regards des deux à trois cents spectateurs réunis sur la pelouse. Enfin il atterrit une dernière fois juste devant son hangar et il appela ses ouvriers pour garer l'appareil dans son abri. Il était cinq heures et la nuit n'allait pas tarder à se faire.

—Hé! quoi!... vous ne continuez pas plus longtemps?... interrogea le jeune Médrival. Moi qui attendais avec impatience mon tour de vous accompagner!... Je suis volé!...

—Ce qui ne vaut pas de voler soi-même, évidemment, acquiesça le Père Tranquille en rajustant son monocle.

—Nous avons neuf mètres de vent à l'anémomètre, riposta l'aviateur, et j'ai failli capoter au dernier virage. Il me semble inutile de chercher l'accident.

—Je ne saurais trop vous louer de votre prudence, approuva La Tour-Miranne, intervenant dans la conversation. Il ne faut pas en effet risquer une chute, si anodine fût-elle, un jour comme celui-ci surtout. Ce serait fâcheux à tous égards. Libre à notre ami Médrival de s'exposer à démolir son appareil en le sortant par un vent pareil lorsqu'il saura s'en servir, mais pour ma part, je crois qu'il est plus sage de s'abstenir et de remettre la suite des expériences à un moment plus favorable.

—Bien parlé, président!... scanda Damblin. On voit que c'est de votre biplan qu'il s'agit; mais un monoplan tel que celui qui j'ai combiné ne craint pas des brises de dix mètres, je vous montrerai cela!.... En attendant, voudriez-vous nous dire à quelle époque l'aérodrome sera ouvert aux essais pratiques des membres du Club?...

—Mais à partir d'aujourd'hui même, répliqua avec vivacité le marquis. Aérovilla ne refermera plus devant ses amis ses portes qui viennent d'être ouvertes toutes grandes.

—Bon!... Tout est pour le mieux, en ce cas. Dès demain, je vais faire apporter mon mono et je commencerai sans tarder à m'entraîner.

—Moi aussi!... Moi aussi!... firent à l'unisson plusieurs clubmen.

—Notre constructeur, M. Martin Landoux, dont vous venez de constater de visu l'incontestable maestria dans la direction des aéroplanes, nous fera l'amitié de nous guider dans nos premiers tâtonnements, ajouta le président. Il a accepté devenir, toutes les après-midi où le temps sera convenable, à Aérovilla, afin de mettre les néophytes au courant de la manoeuvre des aéroplanes constituant la flottille de notre Aéro-tourist-club.

Un murmure de satisfaction courut parmi la foule.

—J'espère donc, conclut La Tour-Miranne, que la présence d'un tel professeur rassurera les esprits les plus timorés, et que nous aurons le plaisir de voir participer à l'excursion que nous projetons d'exécuter parmi les régions les plus pittoresques de notre beau pays de France, les gracieuses personnes qui n'ont pas hésité tout à l'heure à confier leur existence à la machine volante!...

—Certainement!... susurrèrent plusieurs voix féminines.

—Je note cette promesse. Maintenant, l'inauguration d'Aérovilla est un fait accompli, la période préparatoire d'élaboration est close. Le champ d'expériences est prêt ainsi que les véhicules, il ne reste plus, pour réaliser le programme qui nous a ralliés, qu'à utiliser ces ailes que la science nous donne et, pas à pas, saut à saut, vol à vol, comme le disait le regretté capitaine Ferber, devenir hommes-oiseaux, et créer, non pas le sport, mais le tourisme aérien!...

Le jeune homme avait prononcé ces dernières paroles d'une voix vibrante et persuasive. Sa péroraison fut accueillie par un tonnerre de bravos et d'acclamations.

—Et dans deux mois, grrrand départ de la flottille aérienne pour le premier tour de France en aéro!... clama le fausset suraigu de Médouville. Mesdames, retenez vos places d'avance, il n'y en aura pas pour tous les amateurs! Prenez vos bibi... prenez vos billets et suivez le monde!...

Le tour de France en aéroplane

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