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FONDATION DE L'AÉRO-TOURIST-CLUB
ОглавлениеM. DE LA TOUR-MIRANNE PRONONCE UN DISCOURS.—UN NOM DIFFICILE A TROUVER.—BUT POURSUIVI PAR LA NOUVELLE SOCIÉTÉ.—LE TOURISME EN AÉROPLANE.—LES TREIZE FONDATEURS.—LES ÉTAPES DU TOUR DE FRANCE.—DES PAROLES AUX ACTES.
—On a reproché—non sans quelque raison—aux Français d'être par trop casaniers et de s'attacher trop fidèlement à leur clocher sans jamais vouloir le perdre de vue. Il résulte de cet état d'esprit que la jeunesse française ne connaît pas le monde et qu'elle est trop timorée pour s'expatrier et porter au loin le flambeau du génie national, ce qui est déplorable à tous points de vue, car, non-seulement nous ne savons pas lutter au loin contre les étrangers, mais ceux-ci eux-mêmes réussissent à s'implanter chez nous sans que nous puissions nous défendre contre leur invasion pacifique. Je le dis donc bien haut, il nous faut lutter par tous les moyens contre cette inertie et cette routine, et il est de toute nécessité d'apprendre aux jeunes Français à voyager.
D'autre part, il faut réagir contre cette mode qui sévit depuis quelques années chez nous, parmi les gens qui se déplacent pour leur plaisir, de ne trouver de beaux paysages, de sites remarquables, de monuments curieux qu'hors de nos frontières. Il résulte de cet espèce de snobisme, qu'alors que les étrangers viennent dans notre pays, dont ils ont reconnu les agréments, les Français dédaignent les beautés de leur patrie et vont porter leur admiration et leur or chez leurs voisins, qui ont industrialisé les curiosités naturelles de leur région et en tirent par suite de bons revenus, alors que nous avons beaucoup mieux chez nous.
Vous me direz que l'on commence toutefois à reconnaître l'exactitude des faits que je rapporte et que la jeunesse, encouragée par la multiplicité des moyens de transport actuels, est entrée dans le mouvement et se met à voyager, les plus fortunés en automobile, les autres à bicyclette ou en trains de plaisir. Un nouveau mode de locomotion s'offre à notre usage, et il me semble, à moi qui ai employé tous les procédés connus pour se rendre rapidement et sans fatigue d'un point à un autre, il me semble, dis-je, que c'est à nous de donner l'exemple et d'inaugurer le tourisme aérien en organisant une longue randonnée qui nous permettra de visiter toutes les merveilles fourmillant sur notre belle terre de France. Je suis persuadé, après avoir assisté aux magnifiques envolées des modernes hommes-oiseaux sur la plaine de Bétheny, que l'aéroplane est dès à présent parvenu à un point suffisant de pratique pour qu'on puisse envisager, sans outrecuidance, son application au tourisme. Tous, autant que nous sommes ici, nous sommes capables de rivaliser—après une certaine période d'apprentissage, s'entend!—avec les conducteurs d'aéroplanes que nous avons admirés ces jours-ci. Et si je suis partisan décidé du plus lourd contre le plus léger que l'air, c'est justement à cause de la plus grande maniabilité de l'aéroplane, comparativement au dirigeable. Je n'ai pas la prétention, d'ailleurs, d'exécuter du premier coup, surtout au-dessus de tous les terrains, des parcours extraordinaires. Non, mon ambition est plus modeste et mon intention n'est nullement de voler avec la vitesse de l'hirondelle au-dessus des mers et des sommets de nos montagnes les plus escarpées. Je me contenterais très bien d'étapes moyennes de quarante à cinquante kilomètres; cela me semble très suffisant pour des promeneurs ne songeant à battre nul record, pas plus qu'à conquérir le moindre prix, et cela donne le moyen de visiter tout ce qu'une région peut contenir d'intéressant. Avec un programme aussi modéré, je crois la chose faisable, car nous pourrons avoir des appareils plus robustes et plus pratiques à tous points de vue, puisque tout ne s'y trouvera pas sacrifié à la question de la vitesse.
Je me résume. Que diriez-vous donc, mes chers amis, de tenter ensemble un voyage d'études, de ville à ville, en aéroplane, et de profiter de la prochaine belle saison pour entreprendre une expédition de ce genre et entraîner par notre exemple la jeunesse française encore indécise. N'est-ce pas là un beau programme à remplir?... Vulgariser le tourisme aérien en fournissant la démonstration de sa praticabilité, de ses avantages et de ses agréments, en un mot de sa supériorité sur tous les autres procédés de locomotion? Voilà quelle est mon idée, et si vous avez, comme je le crois, l'esprit sportif, vous ne la rejetterez pas sans lui faire l'honneur de l'examiner. J'ai dit. Maintenant j'attends les contradicteurs et suis prêt à leur répondre!
Cette longue tirade terminée, le jeune homme attira une chaise à lui et s'assit en souriant et murmurant:
—Je suis à bout de souffle! C'est une vraie conférence que je viens de prononcer!
L'assistance, qui avait suivi l'orateur avec attention et sans l'interrompre, accueillit la péroraison de ce discours par un murmure approbateur, puis le diapason des voix s'éleva, des discussions particulières s'engagèrent avec animation, mais la voix perçante de Réviliod domina le tumulte.
—Le tourisme aérien en ballon dirigeable, passe encore, disait le Petit Biscuitier, mais en aéroplane, non, ce n'est pas réalisable, croyez-moi.
—Eh bien! dans ce cas, nous aurons le mérite de l'inaugurer!... lui riposta Outremécourt.
Pour dominer le bruit, Médouville asséna plusieurs coups de canne retentissants sur une table, en s'écriant d'un ton de voix suraigu:
—Je demande la parole. J'ai une proposition à vous adresser!...
Un silence relatif s'établit, et le Mécène en profita pour s'expliquer.
—Je crois, comme notre ami La Tour-Miranne, que les excursions en aéroplane sont faisables, et je me fais fort de trouver des inventeurs qui nous fourniront les appareils perfectionnés qui nous seront nécessaires. Je propose donc d'unir nos efforts dans un but commun, et pour cela de créer la première société qui existera dans le monde, de sport et surtout de tourisme aérien. Que tous ceux qui sont de mon avis et veulent nous aider lèvent la main!...
Un tonnerre d'acclamations roula et une douzaine de mains se levèrent
—C'est cela!... Bien trouvé, Médouville!... Nous vous suivrons!... clamèrent des voix enthousiastes.
—Et moi, je vous répète que c'est impossible!... protesta Réviliod s'agitant comme un possédé.
Sans tenir compte de cette contradiction obstinée, le protagoniste des inventeurs continua:
—Le principe étant admis, la première chose à déterminer maintenant c'est de donner un nom à notre association. Que diriez-vous, mes amis, de Club des Aéroplanistes Français?...
—Trop long!... fit Outremécourt. Je propose un nom plus court: Avia-Club, par exemple.
—Aviator-Société, cria une autre voix.
—Les Touristes aériens! prononça un quatrième.
—Pour donner satisfaction à chacun, et avoir une désignation exacte, choisissons donc Aéro-tourist-club, cela dit tout!... proposa à son tour le marquis de La Tour-Miranne.
—Oui! oui! Aéro-tourist-club, approuvèrent les juvéniles partisans des aéroplanes, malgré les dénégations et les marques de désapprobation du Petit Biscuitier qui s'agitait désespérément au milieu d'eux.
—Voilà donc le premier point acquis! reprit alors Médouville, qui s'était décidément improvisé le speaker de la réunion. Notre Société a un nom, il faut maintenant lui constituer un bureau, suivant les plus purs usages du parlementarisme. Je n'ai pas besoin de demander qui vous voulez voir à la tête de l'Aéro-tourist-club...
Les paroles de l'orateur furent couvertes par des acclamations répétées.
—La Tour-Miranne!... La Tour-Miranne, président!... fut-il répondu à l'unanimité.
Le sportsman s'inclina.
—Je vous remercie, mes chers amis, de l'honneur que vous me faites, et je tâcherai de le mériter en conduisant de mon mieux, je ne dirai pas notre barque, mais l'aéroplane qui portera les couleurs de notre nouveau club. Je vous demanderai seulement d'unir vos efforts aux miens pour organiser la première caravane aérienne à travers le ciel de France.
Des applaudissements nourris accueillirent ce petit discours, mais La Tour-Miranne fit signe qu'il n'avait pas fini de parler et le bruit s'apaisa quelque peu.
—Vous avez bien voulu me choisir pour la présidence de l'Aéro-tourist-club, reprit-il. Il nous faut encore un vice-président, un secrétaire général et un trésorier pour compléter le bureau chargé de veiller aux intérêts de la Société et, en premier lieu, d'en élaborer les statuts. Je vous prierai donc de me désigner ces collaborateurs indispensables.
Des colloques s'établirent aussitôt et au bout de quelques instants l'accord se fit. Outremécourt accepta le poste de vice-président, Médouville celui de secrétaire, et Léonce Breuval, dont le père était agent de change, celui de trésorier, Réviliod, Damblin et les autres assistants ayant décliné toute candidature.
—Ainsi donc, scanda Médouville, le bureau de l'Aéro-tourist-club est bien et dûment constitué d'un accord unanime. Il s'agit de déterminer exactement son but et de jeter les plans des premiers actes de son existence.
—Son but!... La Tour-Miranne l'a très nettement indiqué je crois, fit observer Damblin. Ne s'agit-il pas, si j'ai bien compris, de vulgariser par l'exemple, l'usage de l'aéroplane pour les voyages de plaisance?...
—En effet, approuva le promoteur de la nouvelle société, et je n'aurais pas mieux défini le rôle que nous voulons jouer que vous venez de le faire, mon cher Damblin. Quant à la seconde question de notre secrétaire général, je répondrai qu'à mon avis il faut frapper l'imagination des masses par l'organisation d'une longue excursion aérienne, de façon à donner la démonstration irréfutable de la valeur de l'aéroplane comme engin de tourisme.
—Le tour de France en aéroplane!... ricana Réviliod.
—Le tour de France?... Oui, pourquoi pas, répliqua sans hésiter le marquis. Cela n'a rien d'impossible, puisque nous bornerons notre ambition à de courtes envolées avec une vitesse très raisonnable!
Le Petit Biscuitier haussa les épaules avec dédain.
—Vous ne ferez seulement pas vingt kilomètres sans vous casser le cou, grommela-t-il. Vos projets sont absurdes, et en fait de tour de France, je vous défie de vous rendre en une seule étape de Paris à Enghien!
—Nous vous montrerons que nous pouvons faire mieux que cela, mon bon Réviliod. C'est votre droit de préférer les vessies gonflées de gaz aux machines volantes, mais nous vous prouverons que celles-ci leur sont supérieures, non en discutant, mais en agissant....
La Tour-Miranne fut interrompu par Médouville.
—Dites-moi donc, président, prononça-t-il d'un ton familier, il est près de minuit, si vous leviez la séance que nous puissions passer à un autre genre d'exercices?... A notre prochaine réunion, nous étudierons l'itinéraire du Tour de France, puisque c'est le Tour de France que nous exécuterons pour convaincre l'ami Réviliod.
—Vous avez raison. Je vous laisse établir le projet de statuts de notre Société, car il faut prévoir que l'exemple que nous donnerons nous attirera de nombreux adhérents. Une fois ces statuts adoptés par nos amis, nous discuterons l'itinéraire.
—Entendu! A demain les choses sérieuses; nous aurons le temps d'en recauser à Bétheny en regardant voler Blériot et ses émules!
Les jeunes gens échangèrent une dernière poignée de mains et se séparèrent.
La semaine d'aviation de Champagne prit fin le dimanche 29 août, après les victoires définitives de Curtis pour la Coupe Gordon-Bennett, de Farman pour le Grand-Prix de Champagne et Latham pour le prix de la hauteur. Tous les fanatiques du nouveau sport n'eurent garde de manquer la moindre des épreuves, et nous retrouvons réunis une dernière fois à Reims avant leur dispersion, les fondateurs de l'Aéro-tourist-club.
Derrière une table recouverte d'un tapis vert....
—Vous rentrez à Paris, La Tour-Miranne, demanda Médouville.
—Je ne fais que le traverser, répondit l'interpellé. Je vais passer quelques jours en famille dans notre villa de Paramé.
—Nous pourrons nous revoir facilement, dans ce cas, car de mon côté je vais à Saint-Lunaire chez mon excellent cousin Lhier.
—Bon! je comprends! fit en riant le marquis. Vous allez lui demander de faire partie du club?...
—Certainement. Il faut qu'il participe d'une façon ou de l'autre à notre entreprise.
—Enfin, quand nous retrouverons-nous? intervint Breuval qui écoutait.
Le président réfléchit un instant, puis relevant la tête:
—Je vous donne rendez-vous à tous, le 10 octobre prochain, à deux heures à l'hôtel de La Tour-Miranne. D'ailleurs je vous rafraîchirai la mémoire quelques jours auparavant par une convocation. Il y aura, j'espère, d'ici là de l'ouvrage de fait, grâce au dévouement et à l'activité du bureau de l'Aéro-tourist. Vous n'aurez plus qu'à approuver les statuts et les plans de notre première caravane de l'année prochaine.
Jean Outremécourt et Médouville, flattés, se mirent à rire.
—Entendu pour le 10 octobre, fit Damblin. Toutefois, rien ne nous empêche d'ici là, je pense, de nous occuper de nos futurs moyens de transport pour cette caravane.
—Certainement. Chacun conserve sa pleine liberté et choisira le système d'aéroplane qui aura ses préférences, répliqua vivement La Tour-Miranne.
—Est-ce que les dames pourront prendre part au voyage?... questionna un jeune homme qui jusque-là n'avait rien dit.
—Le Club le décidera. Pour ma part, loin d'y voir un inconvénient, je pense que nos excursions gagneraient en agrément si nous pouvions y faire participer nos soeurs et même nos mères. Ces chères présences modéreraient un peu la fougue et la témérité de ceux d'entre nous qui voudraient répéter les exploits des Latham et autres, que nous venons de voir évoluer. Enfin nous en reparlerons. Pour l'instant, notre groupe demeure compact. Combien sommes-nous de fondateurs de l'Aéro-tourist-club?...
—Quatorze!... répliqua Médouville.
—Pardon, treize seulement, déclara de sa voix sèche le Petit Biscuitier.
—Comment treize!... Il me semblait pourtant....
—Parce que sans doute vous me comptiez.
—Eh bien?...
—Eh bien! vous avez eu tort.
—Quoi, Réviliod, vous ne voulez plus être des nôtres! demanda La Tour-Miranne.
—Je n'ai rien fait pour vous laisser supposer que je partageais vos idées, je crois! Au contraire, je les ai combattues de toutes mes forces et en toute occasion. En un mot comme en mille, non, je ne crois pas à la possibilité du tourisme en aéroplane, et comme je ne veux pas me rendre ridicule, je me sépare de votre groupement qui me semble voué à tous les déboires...
—Oiseau de mauvais augure!... grommela Damblin.
—Nous aurons donc le regret de rester treize seulement, mon cher camarade, et j'émets le voeu que ce chiffre nous soit, malgré tout, favorable.
—C'est ce que nous verrons!... murmura Réviliod entre ses dents.
Cinq semaines plus tard, les treize fondateurs de l'Aéro-tourist-club se trouvaient rassemblés dans l'un des salons de l'hôtel du duc de La Tour-Miranne, rue de Babylone, et pour faire les choses dans les règles, Médouville, qui aimait les usages protocolaires, avait tenu à organiser le bureau de la nouvelle Société. Derrière une table recouverte d'un tapis vert foncé, avaient donc pris place les quatre personnages chargés de veiller aux intérêts de l'entreprise: La Tour-Miranne, président, flanqué de ses deux acolytes Outremécourt et Breuval. Médouville occupait un coin avec ses paperasses de secrétaire général.
Les statuts, lus article par article, ayant été discutés et finalement adoptés, Médouville conclut:
—Voilà donc une chose essentielle terminée. Il ne nous reste plus, pour être en règle avec la loi, que de déposer ces statuts à la Préfecture, et cela, j'en fais mon affaire. Occupons-nous donc maintenant de l'organisation de notre première sortie.
—Du tour de France en aéroplane, ainsi que l'a dit Réviliod, fit en riant un jeune membre du Club.
—Du Tour de France, parfaitement! affirma La Tour-Miranne.
—Je demande la parole, dit un auditeur.
—Parlez, mon cher camarade.
—Il me semble qu'il conviendra de chercher bientôt un emplacement pouvant servir de parc à la Société, où nous pourrons remiser nos appareils et, plus tard, les expérimenter.
—C'est là une chose indispensable, en effet, répondit le jeune président, mais je crois connaître ce qu'il nous faut. C'est le haras de mon excellent oncle le prince Muret, dans l'Oise, à moins de dix lieues de Paris. On peut aménager en aérodrome une partie des prairies et y agencer les hangars où nous abriterons nos oiseaux mécaniques. Ce terrain conviendra admirablement pour nos essais, et nous pourrons nous livrer tranquillement à nos expériences sans crainte d'être dérangés par des importuns, ni avoir à mobiliser aucune force de police, comme aux Moulineaux, pour assurer l'ordre. Je ferai ce qu'il conviendra et vous rendrai compte de mes démarches le moment venu.
—Bon. Dans ce cas, nous avons tout l'hiver pour faire construire nos skis aériens, ajouta Médouville. Pour ma part, je compte commander le mien à un inventeur de génie que j'ai découvert et que je patronne. Martin Landoux, tel est son nom. Je vous engage fort, mes chers amis, à vous adresser également à lui, vous aurez pleine satisfaction.
—Est-ce que tu toucheras une commission sur ces ventes, Médouville? dit narquoisement, de sa place, Georges Damblin.
—Ce serait plutôt le contraire! murmura Outremécourt qui connaissait le travers du Mécène. Heureusement que le cousin Lhier est là!...
—Dites-nous, président, demanda Damblin, avez-vous songé à l'itinéraire que nous suivrons dans notre excursion?...
—Oui, j'en ai causé avec les membres du bureau et nous avons jeté les grandes lignes du projet. Nous avons au moins six mois devant nous pour l'étudier dans ses moindres détails.
—A quelle époque de l'année nous mettrons-nous en route?...
—Pas avant le mois de juin prochain au plus tôt. Songez qu'en passant commande de nos appareils dans le courant du présent mois, nous n'entrerons pas en possession avant mars au plus tôt. Je ferai le nécessaire d'ici là pour que le haras de Puiseux soit aménagé en vue de sa nouvelle destination et que les hangars soient prêts. En admettant que nous commencions à nous exercer dès cette époque, il faudra bien deux mois pour parfaire notre éducation d'hommes-oiseaux et acquérir la pleine connaissance du maniement de nos appareils. Vous voyez que mes évaluations ne sont pas exagérées, et je souhaite qu'aucun événement imprévu ne vienne contrarier ces prévisions. Nous n'avons donc pas de temps à perdre si nous voulons être prêts.
—Bien, et l'itinéraire maintenant?...
—Notre but, n'est-ce pas, consiste à visiter les curiosités de la France? Par conséquent, nous avons cherché à fixer un trajet qui nous permette de trouver à chaque étape un endroit intéressant à examiner: monument historique, panorama grandiose, curiosité naturelle, etc. En même temps, nous voulons que notre randonnée constitue un véritable Tour de France. Voici donc grosso modo, le projet que nous vous soumettons:
—Ah! voyons un peu.
La Tour-Miranne déplia un papier qu'il avait tiré de son portefeuille et lut:
LISTE DES ÉTAPES DU TOUR DE FRANCE EN AÉROPLANE
1° Puiseux à Amiens.
2° Amiens à Arras.
3° Arras à Lille.
4° Lille à Saint-Omer.
5° Saint-Omer à Boulogne.
6° Boulogne au Crotoy.
7° Le Crotoy à Dieppe.
8° Dieppe à Rouen.
9° Rouen au Havre.
10° Le Havre à Trouville.
11° Trouville à Caen.
12° Caen à Saint-Lô.
13° Saint-Lô à Pontorson.
14° Pontorson à Dinan.
15° Dinan à Guingamp.
16° Guingamp à Saint-Brieuc.
17° Saint-Brieuc à Quimper.
18° Quimper à Vannes.
19° Vannes à Saint-Nazaire.
20° Saint-Nazaire à Nantes.
21° Nantes à La Roche-sur-Yon.
22° La Roche-sur-Yon à La Rochelle.
23° La Rochelle à Saintes.
24° Saintes à Bordeaux.
25° Bordeaux à Agen.
26° Agen à Auch.
27° Auch à Tarbes.
28° Tarbes à Toulouse.
29° Toulouse à Rodez.
30° Rodez à Espalion.
31° Espalion à Saint-Chély.
32° Saint-Chély à Saint-Flour.
33° Saint-Flour au Puy.
34° Le Puy à Privas.
35° Privas à Avignon.
36° Avignon à Aix.
37° Aix à Toulon.
38° Toulon à Draguignan.
39° Draguignan à Nice.
40° Nice à Puget-Théniers.
41° Puget-Théniers à Barcelonnette.
42° Barcelonnette à Grenoble.
43° Grenoble à Annecy.
44° Annecy à Saint-Claude.
45° Saint-Claude à Besançon.
46° Besançon à Langres.
47° Langres à Nancy.
48° Nancy à Verdun.
49° Verdun à Mézières.
50° Mézières à Saint-Quentin.
51° Saint-Quentin à Compiègne.
52° Compiègne à Esches.
Des exclamations nombreuses accueillirent la lecture de cette énumération.
—Et les châteaux de la Loire! s'exclama l'un des clubmen.
—Et les villes industrielles du centre! cria un autre
—Il me semble que vous avez oublié bien des points intéressants dans votre projet, remarqua Damblin.
—Et puis, il va en falloir du temps pour accomplir un pareil parcours! ajouta Breuval.
—Je vais essayer de réfuter vos assertions, mes chers amis, répliqua en souriant La Tour-Miranne. Je vous ferai remarquer en premier lieu qu'il ne nous est pas possible de tout voir et que nous sommes bien obligés de faire un choix, une sélection entre un itinéraire et un autre. C'est pourquoi, après longues discussions et réflexions, nous nous sommes arrêtés au trajet dont je viens de vous lire les points d'arrêt tous distants l'un de l'autre de 80 kilomètres environ, ce qui correspond à deux heures de vol au plus. Nous pourrons donc franchir aisément deux étapes par jour, et il nous restera du temps pour visiter en détail chaque pays. En un mois, nous accomplirons donc ces 52 étapes, jours de repos compris et nous bouclerons le circuit qui comprendra les villes les plus éloignées du territoire: Lille au nord, Quimper à l'ouest, Tarbes et Nice au sud, Nancy à l'est. D'ailleurs, ne l'oubliez pas, il ne s'agit encore que d'un projet d'itinéraire que nous pourrons modifier à notre gré suivant les besoins et circonstances. Pour l'instant, nous avons à nous occuper de nos véhicules aériens et de notre champ d'expériences.
Le président s'arrêta de parler; un murmure d'approbation accueillit son discours.
—Personne ne demande plus la parole?... interrogea-t-il. Alors, je lève la séance. Maintenant, mes chers amis, passons des paroles aux actes!... A l'oeuvre!...