Читать книгу Cara - Hector Malot - Страница 10
ОглавлениеLéon, pour trancher le différend, qui entre Normands menaçait de prendre les proportions d'un procès à plaider, décida qu'on se diviserait en deux groupes; l'une explorerait la droite, l'autre la gauche; ceux qui trouveraient le corps devaient balancer trois fois leurs torches, car le ressac empêcherait d'entendre les paroles comme les cris.
Madeleine voulut suivre l'une de ces troupes, mais Léon la retint.
—Non, dit-il, restons ici, c'est le plus sûr moyen d'arriver vite auprès de ceux qui nous avertiront.
Elle n'était pas en état de discuter, encore moins de raisonner; elle se laissa retenir et ses yeux suivirent anxieusement le va-et-vient des torches, secouée à chaque instant par le balancement d'une de ces torches, attendant le second; et reconnaissant avec désespoir que ce qu'elle avait pris tout d'abord pour un signal était en réalité le résultat du hasard ou de l'inégalité des rochers sur lesquels les hommes marchaient.
Une heure s'écoula ainsi, la plus longue assurément, la plus cruelle qu'elle eût jamais passée; puis, un à un, les pêcheurs se rapprochèrent d'elle, et la réunion des torches fit revenir ceux qui s'étaient le plus éloignés; chez tous ce fut la même signe de tête ou la même parole: rien.
À la façon dont elle s'appuya contre lui, Léon sentit combien profonde était la douleur qu'elle éprouvait, combien affreux était son désespoir.
—Ne voulez-vous pas chercher encore? demanda-t-il.
—À quoi bon?
—L'ombre a pu vous tromper.
—Je vous en prie! s'écria Madeleine.
Pécune s'avança:
—Voyez-vous, mamzelle, dit-il, il ne faut pas croire que c'est par désespérance que nous vous disons ça; seulement nous connaissons la mer, vous pensez bien; il y a un courant infernal par cette grande marée.
—Précisément, interrompit Léon, c'est ce courant qui nous oblige à persévérer; il peut avoir entraîné le corps plus loin que là où vos recherches se sont arrêtées.
Une nouvelle discussion s'engagea entre les pêcheurs, chacun émit son avis, mais sans rien affirmer, d'une façon dubitative et comme si l'on raisonnait en théorie; en réalité, tous semblaient convaincus que pour le moment de nouvelles recherches était entièrement inutiles.
Ce qui, depuis plusieurs heures, soutenait Madeleine, c'était l'espérance, c'était la croyance qu'elle allait retrouver son père. Dans son désespoir, c'était là pour elle une sorte de consolation, au moins c'était une occupation pour son esprit. Se détachant du passé, sa pensée se portait sur l'avenir; ce n'était pas le vide pour son coeur, et c'est là un point capital dans la douleur.
En écoutant cette discussion et en voyant les pêcheurs disposés à abandonner toutes recherches, elle eut un moment de défaillance et elle s'affaissa contre l'épaule de Léon; mais presque aussitôt elle réagit contre cette faiblesse, et relevant la tête:
—Messieurs, dit-elle d'une voix entrecoupée, encore un peu de courage, je vous en supplie.
L'appel était si déchirant qu'il toucha ces rudes natures.
—Mamzelle a raison, dit Pécune; il ne faut pas lâcher comme ça; ce que la mer n'a pas fait il y a un moment, elle peut le faire maintenant. Allons-y!
—J'irai avec vous! s'écria Madeleine.
Léon comprit qu'il valait mieux la laisser agir; cette attente dans l'immobilité, cette anxiété étaient horribles et devaient fatalement briser le courage le plus résolu.
—Oui, dit-il, allons avec eux.
—Je vas vous éclairer, dit Pécune.
Et ayant mouché sa torche à demi consumée, en posant son sabot dessus, il la leva en l'air, éclairant Madeleine et Léon qui le suivirent, tandis que les autres pêcheurs se dispersaient ça et là dans les rochers.
Ils arrivèrent assez rapidement sur l'îlot de rochers où M. Haupois avait disparu, ce qui rendit leur marche plus lente, plus difficile et plus pénible, car les pierres étaient couvertes d'herbes glissantes, et çà et là se trouvaient des crevasses pleines d'eau qu'il fallait traverser en se mouillant à mi-jambes; mais Madeleine n'était sensible ni à la fatigue, ni à l'eau; elle allait courageusement en avant, regardant autour d'elle bien plus qu'à ses pieds et se cramponnant à la main de Léon quand elle faisait un faux pas.
Pendant longtemps ils explorèrent ainsi cet îlot, mais, hélas! inutilement; ce qui de loin et dans l'ombre avait une forme humaine, de près et sous la lumière de la torche n'était qu'une pierre recouverte de goëmons à la longue chevelure.
La marée, en montant, les força de revenir en arrière près des pêcheurs réunis sur le sable.
L'un d'eux comprit le désespoir de cette pauvre fille.
—Nous reviendrons à la basse mer du jour, dit-il.
Pour Madeleine, cette parole était une espérance.
On revint lentement à Saint-Aubin. La nuit était avancée, et, dans l'aube qui blanchissait déjà l'orient, l'éclat des phares de la Hève pâlissait.