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VIII

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Table des matières

Léon ayant reconduit Madeleine jusqu'à sa porte pria Pécune de bien vouloir le guider jusqu'à l'hôtel où une chambre lui avait été retenue, et qu'il eût été bien embarrassé de trouver seul.

D'ailleurs il voulait consulter le pêcheur, ce qu'il n'avait pu faire en présence de Madeleine.

—Croyez-vous donc que nous devons renoncer à l'espérance de retrouver mon oncle? demanda-t-il.

—Non, monsieur, je ne crois pas ça; même qu'on le trouvera pour sûr; c'est le courant qui aura entraîné le corps, mais il le ramènera. Et puis, voyez-vous, il n'y a pas de danger: Haupois était bien vêtu, il avait un bon pantalon de laine, un paletot, une grosse cravate et des bottes; je l'ai vu passer quand il est parti pour la pêche; les crabes, les pieuvres et toute la vermine de la mer ne pourront pas lui faire de mal. Ce n'est pas comme mon pauvre père et mon garçon que j'ai perdus il y a trois mois; eux, ils n'avaient qu'une mauvaise blouse et des sabots, et les sabots, vous savez, ça flotte, ça ne coule pas avec le corps. Quand il a été bien certain qu'ils étaient noyés, je me disais: «S'ils pouvaient seulement revenir pour que j'aille les chercher tous les deux, le père et le garçon.» C'était toute mon espérance, toute ma consolation. Ils sont revenus; mais en quel état, mon Dieu! Vous n'avez pas ça à craindre pour votre oncle. Et mademoiselle Madeleine, la chère demoiselle, pourra embrasser son père une dernière fois; ça lui sera bon.

—Mais quand?

—Le bon Dieu seul le sait!

—Je voudrais qu'un bateau croisât toujours dans ces parages à la mer haute, et qu'à la mer basse on continuât les recherches.

—Le bateau, c'est trop tôt.

—Peut-être, mais cela rassurera Madeleine, elle verra que son père n'est pas abandonné. Trouvez-moi ce bateau, et qu'on soit ce matin même sur les îles de Bernières pour ne plus s'en éloigner.

—Eh bien, j'irai, si vous voulez, avec mon bateau; seulement je ne vous cache pas qu'il y a pour le moment plus de chance sur la grève.

—Je placerai des hommes sur la grève.

—Il faudrait prévenir aussi les douaniers.

—Je m'occuperai de cela.

Léon ne se coucha pas mais, s'étant fait allumer un grand feu, il se sécha et se réchauffa; puis, quand les maisons commencèrent à s'ouvrir, il fit ce que Pécune lui avait recommandé.

Quand il se présenta chez Madeleine, il la trouva assise devant la cheminée de sa petite salle: elle non plus ne s'était pas couchée:

—Je t'attendais, dit-elle, veux-tu que nous allions sur la plage?

—Ce que tu veux, je le veux.

Ils se dirigèrent vers le rivage, et quand ils arrivèrent en vue de la mer, Léon vit les yeux de Madeleine prendre une expression affolée.

Alors, étendant la main dans la direction de l'ouest, il lui montra une barque aux voiles d'un roux de rouille qui courait une bordée devant le sémaphore de Bernières.

—C'est la barque de Pécune, dit-il, elle restera là à croiser en examinant la mer, tant qu'il sera utile, et ne rentrera que la nuit.

Il lui expliqua aussi ce qu'il avait fait pour mettre des hommes en vedette sur la côte depuis le phare de Ver jusqu'à l'embouchure de l'Orne.

Elle marchait près de lui, seule, sans lui donner le bras; tout à coup elle s'arrêta, et, lui tendant la main:

—Tu es bon, dit-elle.

Il garda cette main dans la sienne, puis la plaçant sous son bras, il se remit en marche se dirigeant vers Bernières.

—Je n'ai pas voulu parler de toi jusqu'à présent, dit-il, de moi, ni de nous; c'était à un autre que nous devions être entièrement d'esprit et de coeur; mais il faut que tu saches que tu n'es pas seule au monde, chère Madeleine, et que tu as un frère.

Elle tourna vers lui son visage convulsé, et dans ses yeux hagards, quelques instants auparavant, il vit rouler des larmes d'attendrissement.

Il continua.

—Dans mon père, dans ma mère, dans ma soeur, sois certaine que tu trouveras une famille, sois certaine aussi que le différend survenu si malheureusement entre nos parents n'a altéré en rien les sentiments de mon père; il m'a toujours parlé de toi avec tendresse, et s'il était ici il te tiendrait ce langage avec plus d'autorité seulement, mais non avec plus d'amitié, avec plus d'affection; notre maison est la tienne.

—Je voudrais rester ici, dit-elle.

—Assurément nous y resterons tant que cela sera nécessaire, j'y resterai avec toi; tu comprends bien que je ne te parle pas d'aujourd'hui.

—Je comprends, je sens que tu es la bonté même, mais tout le reste je le comprends mal, pardonne-moi, mon esprit est ailleurs.

Disant cela, elle détourna les yeux et par un mouvement rapide elle les jeta sur la ligne blanche des vagues qui frappaient le rivage.

—Je ne veux pas te distraire, continua Léon, et je ne te dirai que ce qui doit être dit.

—Descendons à la mer, je te prie.

—Si tu le veux, mais en tant que cela ne nous éloignera pas de Bernières, où je vais pour prévenir par dépêche mon père de ce qui est arrivé; il faut que tu aies près de toi ceux qui t'aiment.

Mais la réponse de M. Haupois-Daguillon ne fut pas ce que Léon avait prévu: malade en ce moment, il ne pourrait pas quitter Balaruc avant plusieurs jours, le médecin s'y opposait formellement, et madame Haupois-Daguillon restait près de lui pour le soigner. Ils étaient l'un et l'autre désolés de ne pouvoir pas accourir auprès de Madeleine à qui ils envoyaient l'assurance de leur tendresse et leur dévouement.

—C'est près de ton père que tu devrais être, dit Madeleine, lorsque Léon lui lut cette dépêche, pars donc, je t'en prie.

—Si mon père était en danger je partirais, mais cela n'est pas, ses douleurs se sont exaspérées sous l'influence des eaux, voilà tout; mon devoir est de rester ici, j'y reste, et j'y resterai jusqu'au moment où nous pourrons partir ensemble.

Ce moment n'arriva pas aussi promptement que Léon l'espérait; les jours s'écoulèrent et chaque matin, chaque soir, les nouvelles qu'il reçut des gens postés le long de la côte furent toujours les mêmes: rien de nouveau.

Chaque jour, chaque heure qui s'écoulaient augmentaient l'angoisse de Madeleine: jamais plus elle ne verrait son père qui n'aurait pas une tombe sur laquelle elle pourrait venir pleurer.

Elle ne quittait pas la grève et du matin au soir on la voyait marcher sur le rivage, avec Léon près d'elle, depuis Langrune jusqu'à Courseulles, et, suivant le mouvement du flux et du reflux, remontant vers la terre quand la mer montait, l'accompagnant quand elle descendait.

Devant cette jeune fille en noir, au visage pâle, au regard désolé, tout le monde se découvrait respectueusement; mais elle ne répondait jamais à ces témoignages de sympathie, qu'elle ne voyait pas, et lorsqu'elle les remarquait, elle le faisait par une simple inclinaison de tête, sans parler à personne.

C'était seulement aux douaniers et aux gens qui étaient chargés d'explorer le rivage qu'elle adressait la parole, encore était-ce d'une façon contrainte:

—Rien de nouveau encore? demandait-elle.

Mais elle ne prononçait pas de nom, et le mot décisif elle l'évitait.

On lui répondait de la même manière, et le plus souvent sans parole, en secouant la tête.

Le septième jour après la mort de M. Haupois, le temps, jusque-là beau, se mit au mauvais.

Le vent, qui avait constamment été au sud, passa à l'est, puis au nord, d'où il ne tarda pas à souffler en tempête: toutes les barques revinrent à la côte, et sur la mer démontée on n'aperçut plus à l'horizon que de grands navires: le bateau de Pécune, que depuis sept jours on était habitué à voir du matin au soir courir des bordées devant Bernières, dut aborder ne pouvant plus tenir la mer.

Aussitôt à terre, Pécune vint trouver Madeleine dans la cabine où elle se tenait avec Léon.

—J'ai résisté tant que j'ai pu, dit-il, mais il n'y avait plus moyen de rester à la mer, excusez-moi, mamzelle.

Madeleine inclina la tête.

—Faut pas que cela vous désole, continua Pécune, c'est un bon vent pour votre malheureux, il porte à le côte; soyez sure que demain ou après-demain il doit aborder.

Comme elle levait la main avec un signe d'incrédulité et de désespérance, Pécune se pencha vers elle, et d'une voix basse:

—Croyez-moi, mamzelle, quand je vous dis que le neuvième jour les noyés qui n'ont pas été retrouvés se lèvent eux-mêmes dans la mer et se mettent en marche pour venir se coucher dans la terre bénite; s'ils ne sont pas trop loin ou si le vent est favorable ils abordent; ils ne restent en route que si le chemin à faire est trop long ou si le vent leur est contraire. Vous voyez bien que le vent est bon présentement. Rentrez chez vous, mamzelle, et mettez des draps blancs au lit de votre pauvre père.

Le vent continua de souffler du nord pendant trente-six heures, puis il faiblit mais sans tomber complétement.

Le matin du neuvième jour Léon vit arriver l'homme qui avait la garde du rivage de Bernières: M. Haupois venait d'aborder sur la grève, selon la prédiction de Pécune.

L'enterrement eut lieu le même jour à trois heures de l'après-midi, et le soir Léon monta avec Madeleine dans le train qui arrive à Paris à cinq heures du matin.

Pendant ces neuf jours il avait exécuté l'acte de dernière volonté de son oncle, il était resté près de Madeleine, «elle avait trouvé en lui une main qui l'avait soutenue, et un coeur dans lequel elle avait pu pleurer.»

Mais sa tâche n'était pas finie.

Cara

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