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II

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Le départ de son père et de sa mère lui avait imposé une obligation qu'il avait dû accepter, si désagréable qu'elle fût: c'était d'abandonner son appartement de la rue de Rivoli pour coucher rue Royale.

Lorsque le dernier des Daguillon, qui était le père de madame Haupois, avait quitté le quartier du Louvre, où sa maison avait été fondée, pour la transférer rue Royale, il avait installé son appartement à côté de ses magasins; mais plus tard lorsque, sous la direction de M. Haupois, les affaires de la maison s'étaient développées et avaient atteint leur apogée, il avait fallu prendre cet appartement pour le transformer en salons d'exposition, en bureaux, en magasins. De ce qui jusqu'à ce jour avait servi à l'habitation particulière on n'avait conservé qu'une chambre avec une cuisine. Et pour loger la famille on avait dû louer un appartement rue de Rivoli, entre la rue de Luxembourg et la rue Saint-Florentin. C'était là que les enfants avaient grandi, en bon air, au soleil, les yeux égayés par la verdure des Tuileries. Mais cet appartement confortable, madame Haupois-Daguillon ne l'avait guère habité, car obligée de rester rue Royale, où l'oeil du maître était nécessaire, elle avait conservé sa chambre auprès de ses magasins, la première levée, la dernière couchée, ne vivant de la vie de famille que le dimanche seulement.

Tant que durerait l'absence de ses parents, Léon devait habiter cette chambre, remplacer ainsi sa mère, et comme elle faire bonne garde sur toutes choses.

Mais pour coucher rue Royale Léon ne s'était pas trouvé obligé à s'occuper plus attentivement des affaires de la maison: il avait rempli le rôle de gardien, voilà tout, et encore en dormant sur les deux oreilles.

Pour le reste, il avait laissé les choses suivre leur cours, et quand le vieux caissier, le vénérable Savourdin, bonhomme à lunettes d'or et à cravate blanche le priait chaque soir de vérifier la caisse, il s'acquittait de cette besogne avec une nonchalance véritablement inexplicable. Quelle différence entre la mère et le fils! et le bonhomme Savourdin, qui avait des lettres, s'écriait de temps en temps: O tempora, o mores! en se demandant avec angoisse à quels abîmes courait la société.

Il y avait déjà douze jours que M. et madame Haupois-Daguillon étaient partis pour les eaux de Balaruc, lorsqu'un jeudi matin, en classant le courrier que le facteur venait d'apporter, le bonhomme Savourdin trouva une lettre adressée à M. Léon Haupois, avec la mention «personnelle et pressée» écrite au haut de sa large enveloppe.

Aussitôt il appela un garçon de bureau:

—Portez cette lettre à M. Léon.

—M. Léon n'est pas levé.

—Eh bien, remettez-la à son domestique en lui faisant remarquer qu'elle est pressée.

—Ce ne sera pas une raison pour que M. Joseph prenne sur lui d'éveiller son maître.

—Vous lui direz, ajouta le caissier en haussant doucement les épaules par un geste de pitié, que ce n'est pas une lettre d'affaires; l'écriture de l'adresse est de la main de M. Armand Haupois, l'oncle de M. Léon, et le timbre est celui de Lion-sur-Mer, village auprès duquel M. l'avocat général habite ordinairement avec sa fille pendant les vacances pour prendre les bains. Cela décidera sans doute Joseph, ou comme vous dites «M. Joseph», à réveiller son maître.

Le garçon de bureau prit la lettre et, secouant la tête en homme bien convaincu qu'on lui fait faire une course inutile, il sortit du magasin et alla frapper à une petite porte bâtarde,—celle de la cuisine,—qui ouvrait directement sur l'escalier.

Une voix lui ayant répondu de l'intérieur, il entra: deux hommes se trouvaient dans cette cuisine; l'un d'eux, en veste de velours bleu, évidemment un commissionnaire, était en train de cirer des bottines; l'autre, en gilet à manches, assis sur deux chaises, les pieds en l'air, était occupé à lire le journal.

—Tiens! monsieur Pierre, dit ce dernier en abandonnant sa lecture.

—Moi-même, monsieur Joseph, qui me fais le plaisir de vous apporter une lettre pour M. Léon.

—Monsieur n'est pas éveillé.

Et comme le commissionnaire qui cirait les bottines avait ralenti le mouvement de son bras droit:

—Frottez donc, père Manhac; vous avez déjà batté les vêtements tout à l'heure, n'ayez pas peur d'appuyer sur le cuir, vous savez: ce n'est pas monsieur qui paye, c'est moi, donnez-m'en pour mon argent.

Puis se tournant vers le garçon de bureau:

—Ma parole d'honneur, c'est agaçant de ne pouvoir pas avoir une minute de tranquillité; si vous vous relâchez de votre surveillance, rien ne va plus.

Pendant cette observation faite d'un ton rogue, le père Manhac avait achevé de cirer les bottines; les ayant posées délicatement sur une table, il sortit le dos tendu en homme qui trouve plus sage de fuir les observations que de les affronter.

—Ne portez-vous pas ma lettre à M. Léon? demanda le garçon de bureau.

—Non, bien sûr.

—Ce n'est pas une lettre d'affaires.

—Quand même ce serait une lettre d'amour, je ne le réveillerais pas.

—C'est une lettre de famille, le bonhomme Savourdin a reconnu l'écriture; il dit qu'elle est de M. Armand Haupois, l'avocat général de Rouen, l'oncle de M. Léon; ce qui est assez étonnant, car les deux frères ne se voient plus; mais ils veulent peut-être se réconcilier; M. Armand Haupois a une fille très jolie, mademoiselle Madeleine, que M. Léon aimait beaucoup.

—Elle n'a pas le sou, votre fille très-jolie; cela m'est donc bien égal que M. Léon l'ait aimée, car l'héritier de la maison Haupois-Daguillon n'épousera jamais une femme pauvre; je suis tranquille de ce côté, les parents feront bonne garde, ils ont d'autres idées, que je partage d'ailleurs jusqu'à un certain point.

—Oh! alors....

—Est-ce que vous vous imaginez, mon cher, qu'un homme comme moi aurait accepté M. Léon Haupois si j'avais admis la probabilité, la possibilité d'un mariage prochain? Allons donc! Ce qu'il me faut, c'est un garçon qui mène la vie de garçon; c'est une règle de conduite. Voilà pourquoi je suis entré chez M. Léon; c'était un fils de bourgeois enrichi et je m'étais imaginé qu'il irait bien: mais il m'a trompé.

—Il ne va donc pas?

Joseph haussa les épaules.

—Pas de femmes, hein? insista le garçon de bureau en clignant de l'oeil.

—Mon cher, les hommes ne sont pas ruinés par les femmes, ils le sont par une; plusieurs femmes se neutralisent; une seule prend cette influence décisive qui conduit aux folies.

—Eh bien, vous m'étonnez, car, à l'époque où M. Léon n'était encore que collégien, je croyais qu'il irait bien, comme vous dites. Il venait souvent le jeudi au magasin avec un de ses camarades, le fils Clergeau, et, tout le temps qu'ils étaient là, ils restaient le nez écrasé contre les vitres à regarder le défilé des voitures qui vont au Bois ou qui en reviennent, et qui naturellement passent sous nos fenêtres. De ma place je les entendais chuchoter, et ils ne parlaient que des cocottes à la mode; ils savaient leur nom, leur histoire, avec qui elles étaient, et, en les écoutant, je me disais à part moi: «Il faudra voir plus tard, ça promet.» Je suis joliment surpris de m'être trompé. En tout cas, si j'ai raisonné faux, pour le fils, j'ai tombé juste pour la fille.

—Mademoiselle Haupois-Daguillon s'occupait aussi des cocottes?

—Quelle bêtise! Comme son frère, mademoiselle Camille restait aussi le nez collé contre les vitres, mais le défilé qu'elle regardait, c'était celui des gens titrés. Tout ce qui avait un nom dans le grand monde parisien, elle le connaissait; il n'y avait que ces gens-là qui l'intéressaient; elle parlait de leur naissance; elle savait sur le bout du doigt leur parenté; elle annonçait leur mariage, et alors comme pour le frère je me disais: «Il faudra voir;» j'ai vu; elle a épousé un noble.

—Baronne Valentin, la belle affaire en vérité.

—Enfin elle a des armoiries, et la preuve c'est qu'on vient de lui finir à la fabrique une garniture de boutons en or pour un de ses paletots, avec sa couronne de baronne gravée sur chaque bouton; c'est très-joli.

—Ridicule de parvenu, mon cher, voilà tout; on fait porter ses armes par ses valets, on ne les porte pas soi-même.

Un coup de sonnette interrompit cette conversation.

Cara

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