Читать книгу Le diable boiteux des enfants - Henri Burat de Gurgy - Страница 3
ОглавлениеPRÉFACE.
Lorsque Lesage lança dans le monde littéraire son immortelle imitation de Luis Vélès de Guevarra, il y eut parmi les hommes d’études une joie inaccoutumée; on s’arracha le livre avec enthousiasme, et l’on proclama le Diable Boiteux un œuvre d’éminemment d’esprit et d’une observation pleine de charme.
Le succès s’étendit, bientôt chez les gens du bel air et l’on ne parla plus dans les salons que d’Asmodée et de Cléophas.
Quiconque n’aurait pu répondre à l’instant sur les aventures du charmant écolier et les fantaisies du démon au pied fourchu, aurait risqué fort d’être pris pour quelque voyageur revenant à l’improviste des Grandes Indes.
La foule se pressait donc chez l’heureux libraire qui voyait partir avec une rapidité inusité, tous les exemplaires d’un livre dont le manuscrit lui avait coûté quelques pistoles à peine.
Un matin deux gentilshommes de bonne mine entrèrent en même temps dans la boutique, se trouvèrent ensemble devant le comptoir, et demandèrent simultanément le Diable Boiteux.
Le libraire répondit d’un air piteux à ses deux acheteurs qu’il ne lui restait plus qu’un seul exemplaire, et qu’ils voulussent bien s’entendre entre eux à qui l’aurait, car leurs droits étant les mêmes il ne saurait prendre sur lui de prononcer en faveur d’aucun des deux.
Les deux jeunes seigneurs se regardèrent et s’étant compris, ils sortirent de la boutique du libraire sans toucher au volume de Lesage. Arrivés dans la rue, ils mirent bravement flamberge au vent et commencèrent à se disputer rudement une victoire dont le Diable Boiteux devait être le prix.
Le cliquetis des épées arrivait jusqu’au marchand qui ne pouvait guère se douter d’un pareil dénouement; il se hasarda à regarder à travers les carreaux de la devanture et voulut se précipiter entre les deux combattants; mais en ce moment l’un d’eux, épuisé par la lutte, se laissa désarmer maladroitement.
— A vous le Diable Boiteux, dit tristement le vaincu ramassant son épée, et il s’éloigna aussi contrarié de sa déception que confus de sa défaite.
Le vainqueur rentra dans la boutique et emporta triomphalement l’exemplaire unique qu’il venait de conquérir le fer à la main.
Disons-le ici, tout étrange que soit le fanatisme de ces deux admirateurs de Lesage, le mérite de son œuvre le justifiait peut-être. Car c’est un livre gai et profond, spirituel et philosophique, railleur et moraliste, sarcastique et bouffon qui a sa place marquée dans toutes les bibliothèques, mais qui s’adresse à des esprits mûris par l’âge, à des intelligences déjà développées par quelque expérience de la vie.
Vous le lirez donc un jour comme l’ont lu vos pères, comme le liront aussi vos neveux.
En attendant ce jour que vous souhaitez peut-être avec une impatience imprudente, nous avons pensé nous inspirer du roman de Lesage, comme lui-même s’était inspiré de la satyre du poëte espagnol.
Molière disait: Je prends mon bien partout où je le trouve. Et Molière avait raison.
Nous avons pensé que s’il est permis aux riches de faire des emprunts, cela devait l’être encore plus aux indigents.
Nous avons donc pris à Lesage sa forme attrayante et son but moral; si nous ne lui avons emprunté que cela, ce n’est pas notre faute, mais nous avons tâché de suppléer cet esprit inimitable par une grande réserve et une prudence de toutes les minutes.
Ceci est un livre spécialement écrit pour vous, jeunes lecteurs, nous ne demandons pas que vous renouveliez auprès de notre éditeur la scène des deux gentilshommes, mais nous souhaitons que vous méditiez attentivement surtout ce que nous présentons à votre jeune intelligence, et que vous vous épargniez ainsi bien des soucis, bien des travers qui vous attendent à l’entrée du monde.
Vous être utile, tel est notre but; aidez-nous à l’atteindre.