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CHAPITRE II.

Table des matières

Nouvelles équipées de M. Babylas. — M. de la Galissonnière est la première victime de la mauvaise éducation de son fils.

La fin de l’année approchait, M. de la Galissonnière, en sa qualité d’employé comptable, avait à dresser d’immenses états qui devaient être terminés pour le 1er janvier.

Les journées ne suffisant pas à ce pénible travail, le fonctionnaire s’était condamné, depuis une semaine, à passer une grande partie des nuits penché sur ses bordereaux qu’il dressait avec satisfaction au milieu de ce silence que Paris ne peut offrir que lorsque toute la population est endormie.

Enfin! M. de la Galissonnière avait terminé sa balance, les chiffres étaient alignés par colonnes serrées, les pages étaient hérissées d’additions interminables, il avait tiré d’une main joyeuse le trait final, cinq heures sonnaient à la pendule.

Le consciencieux fonctionnaire, voyant sa tâche accomplie, se dirigea avec satisfaction vers son lit où il espérait trouver un repos qu’il avait assez mérité.

Le pauvre père avait compté sans son détestable enfant.

Vers sept heures du matin Babylas, qui avait été mis au lit de bonne heure, afin qu’il ne troublât pas M. de la Galissonnière dans ses calculs, ouvrit les yeux et appela la vieille Marguerite qui déjà était à sa cuisine préparant un bouillon pour son maître.

— Marguerite! Marguerite! je veux me lever, moi!

— Taisez-vous donc, petit drôle, lui dit la gouvernante en accourant avec indignation vers son lit.

— Je ne veux plus dormir, ça m’ennuie d’être au lit.

— Vous n’avez donc pitié de personne?

— Je veux que tu m’habilles.

— Vous savez bien que votre papa a passé la nuit à se brûler les yeux sur ses chiffres... laissez-le au moins reposer... il fait à peine jour.

— Ah! je te dis que je veux me lever.

— Vous allez rester tranquille, ou je me fâcherai.

— Ça m’est bien égal!... d’abord, si tu ne m’habilles pas, je vais prendre mon tambour, et papa te forcera bien à faire ce que je veux.

— Miséricorde! s’écria Marguerite, le petit monstre n’y manquerait pas... allons, je vais vous satisfaire.

— A la bonne heure!

— Mais vous viendrez à la cuisine avec moi, et vous n’en bougerez pas...

— Oui, mais à une condition.

— Laquelle?

— Tu me feras cuire des marrons.

— Oui, oui, Babylas, s’empressa de répondre la bonne femme, tu auras tout ce que tu voudras pourvu que tu ne réveilles pas ton papa.

Marguerite se hâta de vêtir Babylas qu’elle emmena avec elle.

Arrivé dans la cuisine, Babylas commença à demander impérieusement ses marrons. Marguerite n’en ayant pas sous la main cherchait à lui faire prendre patience; mais quand ce petit monsieur vit qu’il n’obtenait pas ce qui lui avait été promis, il se mit à pousser des cris épouvantables. Ne sachant où donner de la tête, la gouvernante se décida à descendre pour se procurer ces maudits marrons, et supplia Babylas d’être sage en son absence.

A peine Marguerite fut-elle dans l’escalier que Babylas se faufila dans la chambre de son père et se mit à fureter sur la table. Au bruit que faisait l’enfant, M. de la Galissonnière se réveilla en sursaut et aperçut son cher Babylas occupé à couper avec un canif les bordereaux de fin d’année qu’il transformait en bandes de papier longues et étroites dont il faisait des cigarettes.

Plusieurs étaient déjà brûlées et gisaient encore fumantes sur le tapis de la chambre qui exhalait une forte odeur de roussi.

Se précipiter de son lit, arracher des mains de Babylas les feuilles lacérées, éteindre celles encore allumées fut pour M. de la Galissonnière l’affaire d’un instant.

Mais le mal était fait!

Il était irréparable; des centaines d’additions avaient été réduites en fumée, et le malheureux père resta anéanti, condamné à reprendre un travail aride qui, présenté avec le zèle et l’exactitude dont il avait usé, lui aurait valu une gratification dont la méchanceté de Babylas venait de le priver.

Cette fois, M. de la Galissonnière sortit de son caractère calme et faible; il déclara à son fils que puisqu’il répondait si mal à la bonté et à la tendresse qu’il avait pour lui, il allait prendre à son égard une détermination qui le mettrait désormais à l’abri de ses sottises.

Dès que Marguerite fut revenue, sans lui donner le temps de se lamenter sur le malheur dont son maître était victime, il l’envoya incontinent chez le professeur de Babylas avec prière de se rendre aussitôt auprès de lui.

— Monsieur, dit M. de la Galissonnière dès qu’il vit entrer l’instituteur, je ne puis vous adresser aucun reproche, je les mérite seul. Vous avez sans doute fait tous vos efforts pour corriger le mauvais naturel de mon fils, pour lui inspirer des goûts plus tranquilles et l’amour de l’étude. Babylas a été rebelle à vos soins, à vos conseils. Je reconnais enfin, mais trop tard, que l’éducation particulière convient moins à ce caractère qu’à tout autre. Il faut dans son intérêt que je lui fasse goûter de la vie de collége: je vous ai prié de venir pour vous remercier de vos soins qui ont été si mal reconnus, et régler d’une manière définitive avec vous. Si la détermination que je prends aujourd’hui n’amène aucun résultat, j’embarquerai Babylas comme mousse sur un vaisseau de l’État, et nous verrons si le régime de la marine ne finira pas par le corriger.

Le professeur, retenu par la crainte d’affliger encore M. de la Galissonnière, ne fit aucune réflexion, et Babylas qui entendit ce discours, comprit que son père serait inflexible dans sa résolution.

Un moment il eut envie de pleurer, mais la légèreté de son caractère lui faisant envisager ce qui allait se passer comme un changement en mieux, il refoula ses larmes, et ne s’inquiéta pas trop des soins qu’il allait perdre.

Néanmoins, lorsque quelques jours après cette scène, le jeune Babylas vit Marguerite occupée à renfermer dans une malle un trousseau complet de collégien, qu’il entendit un fiacre s’arrêter devant la porte, et que son père entrant dans l’appartement lui dit avec une sévérité à laquelle il n’était pas accoutumé :

— Partons, monsieur.

Il descendit tristement l’escalier en se retournant à chaque marche vers Marguerite comme s’il eût espéré que celle-ci eût dû le retenir et modifier la résolution de M. de la Galissonnière.

Babylas entra enfin dans la voiture avec son père et il l’entendit crier au cocher:

— Au collége Henri IV.

Alors son cœur gonflé de larmes déborda et il se mit à sangloter en se jetant au cou de M. de la Galissonnière.

Il descendit tristement l’escalier


— Votre repentir me fait plaisir, Babylas; puisse-t-il être sincère!

— Oh! oui, papa, je serai bien sage... retournons à la maison.

— Non, mon fils, j’ai résolu que vous iriez au collége, et cela sera; à la fin de l’année, nous verrons si vous méritez de venir passer vos vacances à la maison paternelle. Jusque-là, rien ne sera changé à ce que j’ai décidé.

Comprenant enfin que toute supplication serait vaine, Babylas se laissa retomber sur un coussin de la voiture, et pleurant à chaudes larmes il arriva ainsi au terme de son petit voyage.


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