Читать книгу Le diable boiteux des enfants - Henri Burat de Gurgy - Страница 8
ОглавлениеBabylas est visité par une double apparition. — Il hésite entre ses deux conseillers. — Ariel et Asmodëe.
A peine notre héros fut-il endormi, qu’un songe s’empara de son esprit.
Babylas crut voir d’un côté de son lit un bel ange vêtu d’une longue tunique blanche comme la neige, ses cheveux d’un blond doré se répandaient en boucles soyeuses sur ses épaules, son regard avait comme un reflet du ciel, et son sourire respirait la bienveillance.
Il mit la main sur le cœur de l’écolier et agitant doucement ses ailes d’azur, il les étendit sur lui comme une égide protectrice.
C’était en effet Ariel, le bon ange de Babylas, qui venait le consoler et lui donner le courage de supporter ses chagrins... Il voulait le tenter du moins, car depuis la naissance de Babylas il ne l’avait jamais quitté, mais tout ce qu’il avait pu obtenir jusque-là, c’était de l’empêcher de s’abandonner tout entier à la funeste influence qu’il paraissait subir.
Aussitôt Babylas crut entendre un éclat de rire strident de l’autre côté de son lit, il lui sembla aussi qu’on s’emparait de son bras.
Tremblant de tous ses membres, Babylas hésita longtemps avant de regarder ce que cela signifiait; il vit une autre apparition qui augmenta son épouvante.
Ce nouveau venu dont le sourire manquait de franchise, dont le regard était pénétrant et incisif, était complétement enveloppé d’un manteau de couleur sombre. La toque de velours jaune qui recouvrait sa tête cachait mal deux petites cornes s’échappant d’une chevelure courte et frisée. Une de ses jambes paraissait plus courte que l’autre et la béquille qu’il tenait à la main semblait nécessaire à la sûreté de sa marche.
Celui-là était Asmodée, le mauvais génie de Babylas.
C’était lui qui exerçait sur cet enfant son funeste pouvoir afin de l’entrainer à la paresse et à la méchanceté.
C’était lui qui avait présidé à toutes ses actions coupables.
C’était lui qui avait pris soin d’étouffer la voix du bon ange chaque fois qu’elle s’élevait pour faire sentir à Babylas les tristes conséquences de sa conduite.
Le pauvre collégien épouvanté par ce spectacle fantastique cherchait vainement à échapper à ces deux êtres mystérieux, mais le bon génie prit aussitôt la parole:
— Babylas, lui dit-il, sois sans crainte, ici comme chez ton père que tu as si fort affligé, je te protége et ne t’abandonnerai pas. Écoute ma voix amie... C’est moi qui jusqu’à ce jour t’ai empêché de tomber dans des fautes plus graves que celles que tu as commises. Le peu que tu sais, c’est à mon influence que tu le dois. J’aurais voulu te rendre parfait, hélas! je n’ai pu que lutter contre une puissance funeste qui te trouve toujours si disposé à te laisser entraîner vers le mal. Je n’ai pu vraincre ta paresse, car ton mauvais Génie, par ses conseils perfides, s’est plu à te la présenter pleine de charmes et d’attraits. Regarde, il est là près de toi, cherchant à te fasciner sous son regard faux et hypocrite... prends garde, Babylas... n’écoute plus ses conseils trompeurs. Il veut t’entraîner à ta perte!
Un ricanement prolongé se fit entendre de l’autre côté du lit de l’écolier.
— Tout beau! s’écria le petit diable boiteux. C’est assez parler pour votre compte, mon beau sire! Babylas, mon ami, ne crois pas un mot de ce que te dit ce bavard... il n’a jamais rien fait pour toi; et s’il s’est occupé de tes affaires, ce n’a été que pour te causer de l’ennui. Par moi, au contraire, tu as goûté les douceurs de l’oisiveté la plus complète; rappelle-toi les bons tours que nous avons imaginés ensemble, et songe à tous ceux que nous pouvons encore accomplir en compagnie l’un de l’autre. Abandonne-toi à moi en toute confiance; et je te promets de te délivrer de cette horrible prison, où, sans moi, tu seras condamné à gémir pendant dix longues années, tandis que si tu consens à me suivre, je t’emmène à l’instant.
— Je te le défends! reprit le bon ange indigné, et puisque tu veux m’enlever tout espoir de faire rentrer mon protégé dans la bonne voie dont tu l’as éloigné, je vais demander au ciel qu’il m’accorde le pouvoir de te retenir captif jusqu’à ce que Babylas n’ait plus rien à craindre de ta lâche perfidie.
Aussitôt le bon ange ouvrant ses ailes, disparut en laissant derrière lui un sillon lumineux.
Le diable boiteux échangeait à peine un signe d’intelligence avec Babylas, que se sentant tout à coup dominé par une puissance supérieure à la sienne, il poussa un long cri d’effroi, et fut comme précipité à travers le plancher qui sembla s’entr’ouvrir pour lui donner passage au milieu de flammes d’une lueur sinistre.
Un grand silence régna un instant, puis une voix que Babylas reconnut pour celle d’Ariel se mit à chanter:
Que la mer a de voiles
Par cette belle nuit!
Que le ciel a d’étoiles
Dans son azur qui luit!
Chaque étoile est un ange,
Un doux ange gardien!
Dans la sainte phalange
Ne vois-tu pas le tien?
Quand la peine est cruelle,
Et quand on souffre, hélas!
Cet ange qu’on appelle,
Ami, ne tarde pas!
Sous le vent qui sommeille
La vague est sans danger,
La lune est là qui veille
Pour la mieux protéger!
L’étoile, ton bon ange,
Perle du firmament,
Dans la sainte phalange
Montre son front charmant!
Quand la peine est cruelle
Et quand on souffre, hélas!
Cet ange qu’on appelle,
Ami, ne tarde pas!