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CHAPITRE VI.

Table des matières

Ruse grossière de mons Rabylas de la Galissonnière. —La diète et la tisane universitaire. — Il n’y a que le premier pas qui coûte.

Tout bouleversé de cette double vision et faisant un violent effort pour appeler au secours, l’écolier s’éveilla brusquement et se trouva assis sur le bord de son étroite couchette sur laquelle il s’était violemment agité pendant cette merveilleuse apparition. Ruisselant d’une sueur provoquée par la terreur panique qu’il ressentait, il s’enfonça dans son lit et cacha sa tête sous les couvertures à la façon des poltrons qui ferment les yeux, au lieu de chercher à deviner ce qui a pu causer leur effroi. La seule idée qui restait à Babylas après cette longue secousse, était une tentation de fuir cette prison où il était enfermé.

Grâce à ses habitudes de désobéissance, à ses mauvais penchants et à ses goûts de paresse, cette folle espérance s’empara bientôt de son esprit et l’occupa tellement en le tenant éveillé que lorsque le tambour fit entendre la Diane dans les corridors du collége, Babylas n’avait pas encore songé à se rendormir.

Maître Babylas avait résolu de ne pas rentrer en classe, il se dit malade.

Comme en effet les émotions de la nuit avaient laissé sur son visage une grande pâleur et un abattement excessif, on l’envoya aussitôt à l’infirmerie en attendant la visite du médecin.

Les excellentes sœurs qui se dévouent avec tant d’intelligence et de douceur à ces soins si pénibles, s’empressèrent de coucher Babylas dans un lit chaudement bassiné, et lui firent boire provisoirement une grande tasse de tisane.

L’écolier avala la boisson avec une fort laide grimace, car il avait compris que sa rébellion contre les soins des sœurs pourrait donner l’éveil sur sa fausse indisposition.

Il aurait dû penser aussi que le médecin ne serait pas dupe de cette comédie et qu’on le renverrait bientôt à l’étude, toutefois après lui avoir fait subir une journée de diète et de tisane forcées. Mais étourdi comme il l’était, il oublia bien vite la position étrange qu’il venait de se préparer par un coupable mensonge, et retourna tout entier vers son rêve de la nuit.

Babylas, à. qui la bonne Marguerite avait dit si souvent, et tant bien que mal tous les contes de fées, tous ces contes inventés pour donner de sages conseils sous une forme attrayante, n’y avait jamais vu que le côté merveilleux sans y remarquer la leçon. Les châteaux de cristal, les baguettes magiques, les talismans enchantés, les apparitions soudaines, voilà les seules choses qu’il en avait retenues. Aussi comprendra-t-on facilement que les deux esprits qui l’avaient visité pendant son sommeil, dussent avoir toute son attention.

Les bonnes paroles de son ange gardien avaient moins laissé d’impression dans cette imagination turbulente que le conseil de fuir que lui avait donné le diable boiteux, et son offre de l’aider dans cette fâcheuse entreprise.

Babylas ne tarda pas à remarquer que la sœur qui présidait à l’infirmerie où il se trouvait seul malade, venait de s’éloigner pour vaquer à quelque autre soin. Il crut le moment favorable pour tenter la fuite; il s’habilla à la hâte et se glissa dans un corridor sur lequel donnait la porte principale de la salle.

Babylas avançait au hasard; des pas se font entendre au bout de la galerie; il se jette dans la première classe qui se présente, et se trouve dans le cabinet de physique et de chimie.

De tous côtés sont des appareils qu’il n’a jamais vus. Des machines dont il ne soupçonne même pas l’usage.

Là, d’immenses cornues disposées sur des fourneaux se penchent sur des récipients de cuivre ou de verre; là, des creusets de mille formes garnissent tout un panneau de la salle, des machines électriques et pneumatiques, des piles de Volta, des plateaux de toutes sortes encombrent le milieu de l’enceinte construite autour d’une cheminée qui ressemble au laboratoire d’un alchimiste.

Une secrète terreur s’empare de Babylas, qui n’ose faire un mouvement.

Cependant le sentiment de sa position s’éveille en lui, il comprend que sa disparition de l’infirmerie va être remarquée, on va découvrir sa ruse grossière et il sera sévèrement puni.

Il n’y a plus à reculer; il faut fuir!

Fuir, oui; mais par où ?

Une fenêtre est ouverte, il s’élance pour l’atteindre et s’orienter, mais il a compté sans l’exiguïté de sa taille. Ses efforts sont inutiles. Alors Babylas, que les difficultés excitaient davantage, s’avise de grimper sur des rayons où l’on avait déposé une certaine quantité de bocaux.

Au même instant une voix étouffée se fait entendre.

— Babylas! Babylas!

L’écolier s’arrête tout à coup, cramponné aux rayons, un pied sur une table, l’autre sur une cornue en fonte, le nez contre les bocaux d’où semblait sortir la voix qui l’appelait, et n’osant plus ni monter ni descendre.

La voix recommença d’un ton plaintif:

— Babylas, mon bon ami Babylas!

Il n’y avait plus à conserver aucun doute, la voix sortait bien d’un bocal rempli d’une liqueur noirâtre.

Babylas se sentait défaillir. Mais la voix reprit une troisième fois:

— Mon cher petit Babylas, écoute-moi...

Le jeune de la Galissonnière prit son courage à deux mains.

— Qui m’appelle?

— C’est moi, ton meilleur ami.

— Je ne te connais pas, dit en tremblant l’écolier.

— Ça viendra tout à l’heure.

— Dépêchez-vous de vous faire voir, parce que j’ai trop peur.

— Descends d’abord.

— Voilà !

— Ferme la porte.

— Après?

— Mets les verrous.

— C’est fait.

— Approche maintenant.

— De quel côté ?

— Vers la croisée.

— J’y suis.

— Lève les yeux, regarde le troisième bocal à ta droite. Y es-tu?

— Oui, oui, balbutia Babylas avec une recrudescence de frayeur.

— Écoute-moi.

— Parlez vite, car on va venir me surprendre, et je serai puni.

— Babylas, je suis le meilleur et le plus dévoué de tes amis, c’est moi qui suis venu te rappeler cette nuit les plaisirs que nous avons goûtés ensemble; c’est moi qui Cette nuit suis venu te visiter en même temps que ton ennemi et le mien qui ose s’appeler ton bon génie pour te tromper; ton bon génie, reprit la voix en ricanant, ton bon génie qui t’a amené au collége, qui tout à l’heure sera cause que l’on le mettra au cachot; si lu ne te décides à suivre mes conseils!

— Je vous entends bien, mais je voudrais un peu vous voir; si vous êtes une fée invisible comme dans, le conte du Prince Lutin, dites-le-moi. Oh! ne me faites pas peur plus longtemps, indiquez-moi, je vous en supplie, le moyen de sortir d’ici.

— Sortir d’ici n’est rien.

— Alors, conseillez-moi vite.

— Nous sortirons tous les deux facilement, mais auparavant il faut me délivrer de la prison où m’a renfermé notre ennemi commun. Car c’est moi qui suis ton bon génie, fort mal à l’aise pour le quart d’heure dans ce bocal.

— Ce n’est pas possible! dit Babylas en reculant de nouveau. Si vous êtes un génie, comment avez-vous pu vous laisser emprisonner ainsi?

— le te dirai tout cela plus tard, car je grelotte dans ce bain d’esprit de vin. Dépêche-toi de venir à mon aide.

— Et comment le pourrai-je? demanda l’écolier un peu rassuré par l’idée que le petit démon avait un maître plus puissant que lui, et que par conséquent son pouvoir était limité.

— Cela n’est pas bien difficile. Il s’agit simplement de casser le bocal où je suis... mais vite, vite, car la vapeur de l’esprit de vin me monte au cerveau.

— Je n’ose pas...

— Ose, ose, Babylas, mon ami, reprit Asmodée d’une voix suppliante, hâte-toi, car le professeur de physique va venir pour préparer les appareils nécessaires à sa leçon, on forcera la porte, on t’arrêtera et l’on te mettra au cachot pour quelques jours.

— Que faut-il faire? demanda Babylas décidé par ces dernières considérations, car il aimait mieux, le drôle, se donner au diable comme il allait le faire, que d’avouer sa faute et d’en adoucir les conséquences par la sincérité de ses aveux.

— Cherche un marteau; tu vas en trouver un sur la table de minéralogie.

Babylas qui entendait la voix des personnes qui s’étaient mises à sa recherche se rapprocher de seconde en seconde, n’hésita plus, et fit tout ce qu’Asmodée lui demanda.

A peine eut-il brisé le verre du bocal, qu’une vapeur noire se répandit dans la salle, et cette fumée, une fois dissipée, Babylas vit distinctement devant lui un petit diablotin qui lui sembla plus difforme que celui de la nuit. Ce qui le surprit davantage, ce fut de le voir sortir de sa prison sans avoir terni l’éclat de sa toilette de satin et de velours jaune. Quoique laid, son air malin et spirituel faisait oublier les désagréments de sa figure, et n’étaient ses deux petites cornes qui le forçaient à se coiffer de travers, il aurait pu passer pour un diable d’assez bonne compagnie.

Babylas vit distinctement devant lui un petit diablotin


— Tu vois, mon cher Babylas, que je ne t’ai pas trompé, tu m’as rendu un grand service, car sans toi je pouvais rester éternellement prisonnier, toi seul pouvais me rendre la liberté, tu l’as fait, je veux t’en prouver toute ma reconnaissance. Mais j’entends les professeurs qui te cherchent partout, ils n’ont plus que cette salle à visiter.

— Je suis donc perdu? s’écria Babylas se voyant traqué d’un côté, et de l’autre à la merci d’Asmodée dont la vue ne le rassurait pas du tout.

— Pourquoi cette porte est-elle fermée en dedans? demanda le censeur qui présidait aux recherches dont Babylas était l’objet. Qu’on l’enfonce à l’instant.

A cet ordre imprévu, le pauvre Babylas se rapprocha brusquement du Diable Boiteux et lui dit en le suppliant à son tour:

— Sauvez-moi, sauvez-moi.

— Bien, dit Asmodée, c’est toi qui le demandes.

— Oh! je vous en conjure.

— Tu te donnes à moi, et volontairement?

— Oui, monsieur le Diable.

— Je n’attendais que cela. Je vais partager avec toi la puissance que tu m’as rendue en me délivrant. Tous deux, nous allons devenir invisibles et disparaître aux regards des humains. Donne-moi la main et suis-moi en toute confiance.

Babylas se cramponna à son bras.

— En route, dit Asmodée.

L’écolier poussa un cri en se sentant comme enveloppé d’un nuage, et, à sa grande surprise, il vit les plafonds du collège s’entrouvrir pour leur faire passage, ils traversèrent comme une flèche les divers étages et les greniers du collège, et en une seconde ils se trouvèrent en plein air.


Le diable boiteux des enfants

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