Читать книгу Le diable boiteux des enfants - Henri Burat de Gurgy - Страница 6
ОглавлениеBabylas subit un examen dans lequel il prouve que les oreilles du roi Midas lui conviendraient à merveille.
Cette journée ne pouvait qu’être féconde en incidents pénibles pour notre héros, aussi devait-il se préparer à subir les mille conséquences de sa conduite passée.
A peine entrés dans le vaste parloir du collége Henri IV, M. de la Galissonnière et Babylas furent accostés par un maître de quartier qui s’informa du but de leur visite..
— Je désire présenter mon fils que voici à M. le proviseur. Hier j’ai eu l’honneur de le voir, et il m’attend aujourd’hui
— En ce cas, monsieur, veuillez me suivre, répondit le maître en ouvrant une porte donnant dans un vaste corridor.
Avant de parvenir à l’appartement du directeur de la maison, Babylas eut le temps de surprendre quelques tableaux qui émurent son indolence et sa paresse.
Il aperçut dans une salle un grand nombre d’élèves prenant leur leçon d’escrime; malgré la rigueur de la saison, ils étaient tous habit bas, et leur front ruisselait de sueur.
Un peu plus loin, il vit dans un réfectoire quelques collégiens dînant par punition après leurs camarades; le menu de leur repas fit faire une grimace assez significative au nouvel écolier habitué à ne manger chez son père que des mets choisis d’après son caprice d’enfant gâté.
Au bout du couloir il rencontra une section conduite en retenue, tandis que leurs amis jouaient dans les cours.
— Eh! eh! se dit Babylas en montant l’escalier, ce n’est pas ce que je me promettais... du pain sec!... point de récréations!... dix maîtres pour vous surveiller!... ce ne sera plus comme chez mon père où Marguerite cachait toutes mes sottises... je faisais tout ce je voulais là-bas... tout le monde obéissait à mes volontés... ici, ce sera à moi d’obéir à celles des autres... Je ne pourrai jamais m’habituer à ce régime-là.
Tandis que sa petite tête se montait ainsi contre la discipline si bien entendue du collége, Babylas se trouva dans le cabinet du proviseur, qui lui demanda, après avoir échangé quelques paroles à voix basse avec M. de la Galissonnière:
— Mon petit ami, dans quelle classe pensez-vous pouvoir entrer?
Babylas leva les yeux sur son interlocuteur, puis les baissant vers le parquet, il devint rouge comme un coquelicot et balbutia entre ses dents:
— Je ne sais pas...
M. de la Galissonnière, qui ne connaissait le savoir de son fils que par les rapports de son professeur, ne pouvait guère mieux fixer le proviseur à cet égard; aussi celui-ci reprit-il sa question sous une autre forme:
— Quels sont les auteurs que vous expliquiez? quelles sont les sciences que votre professeur vous faisait étudier?
— La géographie, répondit bien bas Babylas.
Un léger sourire vint errer sur les lèvres du proviseur qui continua son interrogatoire.
— Vous êtes-vous occupé de langues mortes ou de langues vivantes?
A cette question imprévue Babylas se mit à regarder son père d’un air hébété.
— Eh bien... mais réponds donc à monsieur... que t’enseignait ce professeur que je t’avais donné ?
— Je ne sais pas, répéta Babylas.
Cette fois le proviseur allait éclater de rire; mais en voyant l’attitude décontenancée et malheureuse de M. de la Galissonnière, il se retint par pitié pour le père désolé.
— Alors, mon ami, je vois que vous n’avez appris ni italien, ni anglais, ni latin, et encore moins de grec... à la bonne heure, il faut nous entendre; vous dites connaître la géographie? qu’est-ce qu’une île?
— C’est... c’est... répondit Babylas en regardant son père, c’est-il l’île Louviers, ou l’île Saint-Denis qu’il faut dire, papa?
— Mais non, stupide enfant, s’écria M. de la Galissonnière, monsieur te demande la description d’une île, dis-nous sa forme, et pourquoi on l’appelle ainsi... en un mot comment c’est fait.
— C’est fait, reprit Babylas, c’est fait... comme une île, tu sais bien.
— Je ne sais rien du tout, dit le père en éclatant de colère, réponds à monsieur qui t’interroge et non à moi qui rougis de ton ignorance..
— C’est bien, continua le proviseur, nous voilà fixés sur ses connaissances géographiques, à moins que votre fils ne veuille nous dire en combien de parties se divise le monde que nous habitons.
En même temps le proviseur fit mouvoir sur ses pôles un globe terrestre qui se trouvait à côté de lui.
Babylas se mit à considérer cette machine qu’il examinait attentivement pour la première fois, car M. de la Galissonnière avait négligé de faire cette dépense, que d’ailleurs le professeur de son fils ne lui avait jamais demandée.
— C’est ça, fit Babylas, j’en ai vu sur le quai Voltaire; mais M. Denis, mon maître, m’a dit qu’on m’en achèterait plus tard, parce qu’on ne confiait cela qu’aux enfants soigneux.
— Il y a du moins une certaine franchise dans cette réponse, voyons, mon ami... passons à l’orthographe: écrivez sur ce papier ce que vous voudrez...
Babylas prenant machinalement la plume, fit encore son éternelle réponse.
— Je ne sais pas.
— Allons, n’ayez pas peur, écrivez la première chose venue.
Alors Babylas qu’une sorte de honte concentrée et de colère contre lui-même rendaient encore plus sot qu’à l’ordinaire, écrivit cette véritable énigme, cet hiéroglyphe indéchiffrable.
pas pas me mais aux collet gr. dans rit quatres
Ce qui voulait dire en orthographe humaine,
Papa me met au collége Henri IV.
Le proviseur n’en voulut pas voir davantage, et montrant ce chef-d’œuvre à M. de la Galissonnière, stupéfait d’une pareille ignorance, il reprit:
— Vous le voyez, monsieur, votre fils ne peut entrer tout de suite dans les classes, mais on va l’y préparer; on lui enseignera les éléments nécessaires, et nous verrons après les vacances à lui faire commencer ses études classiques.
— Mettez-le où vous voudrez, monsieur, s’écria le pauvre père au désespoir, faites-en ce qu’il vous plaira. Je vous le laisse, je vous l’abandonne... je ne veux plus en entendre parler... avant qu’il ne sache au moins son alphabet; car je vois bien qu’il ne sait rien du tout, que c’est un véritable âne bâté.
Cela dit, M. de la Galissonnière termina ses arrangements avec le proviseur, et se retira avec les larmes aux yeux, toutefois après avoir donné un dernier adieu plein d’une sévérité toute paternelle à son détestable fils, M. Babylas.