Читать книгу Le diable boiteux des enfants - Henri Burat de Gurgy - Страница 4
ОглавлениеPhysiologie du jeune Babylas de la Galissonnière. — Ses goûts. —Ses penchants. — Son éducation. — Ses défauts.
A quarante-cinq ans, M. de la Galissonnière eut le malheur de perdre une épouse chérie, qui lui laissa en mourant un fils, seul fruit d’une union trop tôt détruite.
Le jeune Babylas était bien l’enfant le plus terrible que l’on pût rencontrer dans tout le quartier.
S’il y avait une sottise à faire, un mauvais tour à jouer, une vilaine plaisanterie à imaginer, il était toujours là, évitant d’en perdre la précieuse occasion.
C’était le fléau de la maison qu’il habitait.
Dès que M. de la Galissonnière partait pour son ministère, Babylas organisait, aidé de quelques petits vauriens qu’il allait recruter, un charivari des plus épouvantables.
S’il n’avait pas assez de tambours, de trompettes et de crécelles pour armer son orchestre, il envahissait la cuisine, et malgré l’opposition de Marguerite, la bonne et vieille gouvernante, le petit démon décrochait pour ses exécutants les lèchefrites et les couvercles de cuivre qui ne revenaient à leurs clous que bosselés et gravement endommagés.
Marguerite se récriait-elle,
— Ne l’écoutez pas, disait-il à ses bruyants amis, Marguerite n’est pas la maîtresse ici, c’est une domestique, et c’est moi qui commande!
Si tout à coup la maison était mise en émoi par les cris d’un pauvre chat suspendu à quelque porte manteau; si un chien jetait l’alarme dans la rue en fuyant avec un paquet de chiffons enflammés attachés à la queue; si des vitres se brisaient avec fracas, si les murs de la salle à manger étaient illustrés de bonshommes à l’aide d’un pinceau à cirage, il ne fallait pas aller chercher bien loin l’auteur de toutes ces prouesses; on retrouvait toujours Babylas sur le théâtre de ses exploits et n’ayant pas eu le temps d’en éviter par la fuite la responsabilité personnelle.
Si les murs de la salle a manger étaient illustrés de bonshommes a l’aide d’un pinceau à cirage
La vieille Marguerite, chargée du gouvernement intérieur de la maison de M. de la Galissonnière, s’efforçait avec une bonté coupable de détruire les traces de ces fautes.
M. de la Galissonnière, imbu de fausses idées à l’égard de son fils, s’imaginait qu’il était d’une constitution très-faible et qu’on ne devrait s’occuper de la culture de son esprit que lorsque ses forces auraient pris un développement complet. Il le laissa donc ainsi jusqu’à huit ans sans l’initier à aucune connaissance.
Un jour il se décida à entreprendre son éducation, et adopta un système déplorable, quand surtout l’élève n’a aucun penchant vers l’étude: au lieu de l’envoyer dans quelque pension où l’émulation stimule toujours les plus paresseux, M. de la Galissonnière donna un professeur particulier à son fils, et ne s’inquiéta plus s’il profitait des leçons qu’on lui donnait avec une patience de Bénédictin.
Babylas trouvait toujours quelque excuse pour s’affranchir d’un devoir.
S’il était question de lire, il prétendait que sa vue se fatiguait en regardant les caractères d’un livre. Alors, il fallait que le pauvre professeur épelât les lettres de chaque syllabe dont M. Babylas voulait bien consentir à répéter le son.
Comme tous les paresseux, il était rempli de caprices.
Il se mit à préférer l’écriture à la lecture, et il se dégoûta aussi promptement de cet exercice que du premier.
L’arithmétique ordinairement si attrayante pour les jeunes écoliers, fut pour lui une science qui se résumait dans cet unique calcul:
6 et 6 font 12.
Quel que fût le nombre qu’on lui demandât, cela faisait toujours 12; Babylas se barricadait derrière son entêtement, et une fois retranché sous cette stupide cuirasse, il était inexpugnable.
Les années s’écoulaient inutilement pour le mauvais élève, et son professeur se promettait chaque jour de prier M. de la Galissonnière de choisir un autre maître pour son fils.
Toujours distrait, n’écoutant jamais les patientes explications qu’on lui donnait, il répondait, quand il était interrogé, les plus impudentes sottises; parfois, cédant aux reproches tout paternels de son maître, il se décidait à vouloir prouver son érudition, et alors, Dieu sait quelles monstruosités son esprit ignorant n’inventait pas! il plaçait l’Europe dans la Russie parce qu’il avait vu sur une carte Russie d’Europe; il soutenait que les Iles Britanniques étaient dans le département de la Manche, sans doute à cause du voisinage de cette partie de l’Océan qui porte son nom.
On eût institué un prix pour le plus sot et le plus ignorant des enfants de onze ans, que M. Babylas de la Galissonnière n’eût trouvé aucun compétiteur et eût obtenu le suffrage universel.
Cependant la nature n’avait pas été avare envers Babylas, elle lui avait prodigué des dons qu’il s’efforçait d’étouffer sous une affreuse paresse.
Son front dénotait une précoce intelligence, sa figure d’un ovale parfait, ses beaux yeux bleus avaient une expression de bonté et de calme qui se trouvait un peu corrigée par un nez légèrement retroussé : à voir cet enfant dans un de ses rares moments de tranquillité, on n’eût jamais deviné le turbulent, l’insipide, le fatigant gamin qu’il était en réalité.
Autant il avait d’ardeur pour le bruit, pour le mal, autant il avait d’apathie pour le travail et l’étude. Toujours couvert de taches, hérissé d’accrocs, il coûtait à la pauvre Marguerite des soins continuels qu’il reconnaissait par la plus grossière et la plus noire ingratitude.
— Tiens! on te paye pour me raccommoder, lui disait-il sans respect pour son âge et pour cette tendresse qu’il ne méritait pas.
La bonne vieille essuyait en silence les larmes que lui faisait verser ce méchant enfant et se hâtait de réparer tout ce qui aurait pu affliger M. de la Galissonnière, si bien que celui-ci, presque toujours à son bureau, ne savait rien de ce qui se passait en son absence.
Voilà comment, avec une bonté mal entendue, avec une faiblesse continuelle, on encourage de mauvais penchants qui deviennent des vices, et l’on prépare le plus affreux avenir à celui que l’on croit obliger.
M. de la Galissonnière réchauffait, sans s’en douter, un serpent dans son sein. Endormi dans une quiétude parfaite, il était loin de se douter de tous les défauts de son fils; mais aussi, combien dut être douloureux son réveil, car plus la confiance a été grande, plus la désillusion est cruelle.
Ce fut une circonstance toute fortuite qui vint dessiller les yeux aveuglés de M. de la Galissonnière, mais elle suffit pour lui montrer enfin l’entière vérité sur le compte de son cher Babylas.