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CHAPITRE IV.

Table des matières

Comment Babylas de la Galissonnière fut accueilli par ses nouveaux camarades. — Comment il accepta la vie à laquelle son père l’avait irrévocablement condamné.

La scène que nous venons de rapporter ne dura pas assez de temps pour que la récréation fût terminée, et Babylas, avant de recevoir sa première leçon, fut introduit dans une cour où jouaient de nombreux camarades dont il eut le loisir de faire la connaissance.

Jeté au milieu de cette troupe qui s’agitait en bourdonnant comme un essaim d’abeilles dont on a dérangé la ruche, Babylas s’arrêta tristement en poussant un profond-soupir.

Il ne savait pas que le plus beau temps de la vie est, hélas! celui où la seule peine est l’étude, où le jeu est le seul bonheur.

A peine l’eut-on aperçu qu’il fut entouré d’une myriade d’élèves criant sur tous les tons:

— Un nouveau! un nouveau!

On l’examinait de la tête aux pieds.

— Quelle mine il a! dit l’un.

— A-t-il l’air maussade! reprit un autre.

— Il est méchant, le monsieur! cria un troisième.

— Il a pleuré ! il va pleurer!

— Il pleurera! cria une partie de la bande.

— Il ne pleurera pas! riposta l’autre moitié.

— Il pleurera!

— Il ne pleurera pas!

— Il faudra prendre garde de salir vos bas blancs, fit un petit marmot à l’air espiègle, demain on vous mettra les pieds au bleu.

— Mais voyez donc cette tête de homard!

— Il va nous dévorer!

— Je retiens sa calotte pour faire des balles en élastique!

Babylas était tout décontenancé par ces mille cris qui n’étaient interrompus que par de bruyants éclats de rire. Il se disposait à s’éloigner lorsqu’un jeune mioche qu’on avait surnommé Goliath à cause de l’exiguïté de sa taille, lui barra le passage et se posant devant lui la jambe tendue, une main dans son gilet et l’antre derrière son dos, il lui demanda d’un ton important:

Que fait le papa de Mossieu?...


— Que fait le papa de mossieu?

Babylas avait plus d’envie de pleurer que de répondre; une voix s’écria pour lui:

— C’est un marchand de chandelles!

— C’est un huissier, reprit une autre.

— Ce n’est pas vrai... je le connais, moi... C’est un fabricant de cirage, et le fils vend des hannetons au printemps.

Babylas, impatienté de cette dernière apostrophe, riposta par un violent coup de poing, et son adversaire alla heurter le cercle des auditeurs qui le renvoyèrent comme un volant sur le trop irascible nouveau.

Alors Babylas, s’abandonnant à sa colère, se prit au collet avec son agresseur et après quelques horions équitablement partagés, il parvint à terrasser son partner.

— C’est bien fait! cria-t-on de toutes parts, reconnaissant le courage et la vigueur de Babylas; c’est bien fait!

— C’est trop longtemps l’ennuyer, dit l’Hercule de la troupe en s’avançant vers le vainqueur; tu es un brave, tu as mon estime, je te prends sous ma protection, et malheur à qui oserait t’attaquer!

Babylas, enchanté d’avoir trouvé un protecteur contre cette foule de condisciples dont les réflexions et les malices étaient nouvelles pour lui, prit aussitôt le bras du grand Bernard et déclara que son père était employé supérieur du ministère des finances.

Il n’était pas fàché de donner par ce mot supérieur une meilleure opinion de sa situation dans le monde. En agissant ainsi, le jeune Babylas cédait à ce déplorable amour-propre qui vous pousse à vouloir paraître au-dessus de l’état dans lequel le sort vous a placé : mensonge coupable qui doit avoir sa punition aussitôt que la vérité sera connue, car, mieux vaut se faire plus petit que l’on n’est réellement, que de s’exposer à déchoir dans l’esprit des autres, en se grandissant au moyen d’un titre usurpé, qui tôt ou tard doit vous être enlevé.

Babylas fut cru sur parole.

Il entendit bien quelques réflexions à son adresse dans le genre de celles-ci:

— Il nous en conte, le nouveau.

— Il n’a pas l’air d’être le fils d’un ministre!

Mais ces voix furent couvertes par le roulement du tambour qui annonçait la fin de la récréation.

Après les épreuves de la cour Babylas eut à subir celles de la classe.

Comme l’illustre paresseux n’avait rien retenu de ce qu’on lui avait expliqué pendant les années qu’il avait passées chez son père, on le remit aux premiers éléments de l’éducation. Obligé de recommencer sans cesse, jusqu’à ce qu’il arrivât à mieux faire, il passa les deux heures les plus cruelles qu’il eût encore connues.

Quand ce travail inusité pour lui fut terminé, il eut le droit d’aller s’asseoir devant une table dont le luxe culinaire l’enchanta médiocrement. Mais, à moins de rester avec l’estomac vide, il fallut bien se résigner à faire honneur à l’abondance et aux légumes universitaires.

Quand il monta au dortoir, Marguerite, la bonne vieille, qu’il maltraitait si fort, n’était pas là avec sa bassinoire, pour le déshabiller et chauffer son lit. Il se décida donc à être son propre valet de chambre; il commença à se dépouiller de ses vêtements, et fut tout surpris de réussir comme les autres; et cependant chez son père il eût passé la nuit sur une chaise-plutôt que de défaire un bouton de son gilet.

Il jeta un coup d’œil sur tous ces lits proprets, entourés de petits rideaux blancs et placés sur deux rangs dans cet immense dortoir; il se demanda où était la petite chambre chauffée où il s’était encore endormi la veille.

Ses camarades reposaient déjà depuis longtemps, habitués à cette vie d’ordre et de discipline, que Babylas repassait encore dans son souvenir tous les événements de cette journée qui avait été pour lui une suite d’émotions incessantes, et il se lamentait avec une complaisance particulière, au lieu d’économiser sagement les heures de sommeil qui lui étaient accordées par le règlement du collège.

L’immensité de cette salle, faiblement éclairée par la tremblante lueur d’une lampe prête à s’éteindre, avait jeté dans son imagination mille idées de sotte terreur. Il était là, cloué sur son lit, osant à peine respirer, partagé entre la frayeur qui le dominait et une tentation de s’évader qui s’était emparée de lui. Depuis une demi-heure il hésitait à se lever pour aller faire l’inspection des croisées du dortoir; il s’avisa de tourner la tête, d’écarter les rideaux de son lit et de jeter un coup d’œil vers une fenêtre. Il ne put rien distinguer d’abord, mais bientôt un nuage ayant glissé sur la lune, Babylas put voir tout a son aise qu’aucune précaution n’avait été négligée, et qu’un grillage épais et solide décorait toutes les croisées.

Alors, comprenant qu’il était condamné à vivre dans cette maison que sa paresse lui faisait envisager comme une prison, il versa quelques larmes, enfonça la tête sous ses couvertures et ne tarda pas à y trouver le sommeil.

Le bel Ange aux ailes d’or et d’azur


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