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VII

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JASMIN ROBBA avait recommandé au tailleur, au joaillier, à tous les fournisseurs de lui garder le secret; aussi, le soir même, il n’était bruit, sur les deux rives de la Seine, que de la prodigieuse fortune tombée du ciel dans la mansarde d’un jeune écrivain, un savant, parfaitement inconnu hier encore, et que la voix du peuple sacrait grand homme par la grâce de cinq cents millions.

Les journaux, brodant ce thème et l’enjolivant, firent de Robba le descendant d’un des plus fameux rajahs de l’Inde. Il en avait, disaient-ils, le type fier, le geste royal et l’indomptable volonté.

Chacun se chercha une camaraderie, si lointaine qu’elle fût, avec l’heureux héritier. D’intrépides reporters prirent d’assaut son cabinet et essayèrent de l’interviewer. Ils mirent en œuvre toutes leurs finesses.

Jasmin ne se fit nullement prier pour leur donner les renseignements les plus véridiques sur sa personne.

«Il était né dans le pays de Septasindha .

«Il eut dès sa naissance toutes ses dents et des cheveux bouclés.

«Sa nourrice fut une lionne apprivoisée, du nom de Pisshân.

«A quatre ans, il charmait les serpents et récitait sans une faute les quatre Védas: le Rig, le Sâma, le Yagur et l’Atharva.»

Cette façon fantaisiste de renseigner les journalistes parut fort amusante et, du coup, personne en France n’eut plus d’esprit que Jasmin Robba.

Parvenu d’emblée à tant de gloire, il fit, après son déjeuner, atteler un coupé et se rendit au ministère de l’Intérieur. Il n’avait pas de lettre d’audience; mais le nom de Robba courait depuis la veille les antichambres ministérielles aussi bien que les bureaux de rédaction, et M. le ministre de l’Intérieur, président du Conseil, le reçut sans tarder.

«En quoi puis-je vous être agréable, monsieur? demanda-t-il aimablement.

— Je serais heureux, monsieur le ministre, si vous vouliez bien saisir le Gouvernement et la Chambre d’un désir qui me tient au cœur. Pour des raisons qui vous intéresseraient peu, je souhaite acquérir Pierrefonds et tout le pays avoisinant.

— Mais il s’agit d’un domaine de l’État, monsieur:

— C’est justement pourquoi j’ai besoin, avant d’en devenir propriétaire, ou, au pis aller, seul locataire, de l’autorisation de l’État. Il y aura bénéfice d’ailleurs. Si je ne me trompe, Napoléon Ier a acheté le château 2,950 francs. La restauration en a coûté cinq millions sous Napoléon III; je suis prêt à donner le prix fixé par vos experts.»

Le ministre grattait avec frénésie son sinciput dépouillé. Il s’agitait comme si son fauteuil eût été bourré d’aiguilles, et Robba contenait à grand’peine envie de rire que lui causait l’embarras d’un si grave Personnage.

«C’est sérieux, déclara-t-il enfin, c’est très sérieux...

— A qui le dites-vous, monsieur le ministre? Mais il me faut Pierrefonds. C’est le seul château où le XVe siècle puisse revivre dans toute sa splendeur.»

Le ministre coula sur son interlocuteur un regard en dessous, et, pour se donner une contenance, se mit a jouer avec son couteau à papier.

«Vous me présentez une si étrange demande que je ne sais si je dois la transmettre.

— La transmettre! mais vos éminents collègues, et M. le ministre des Finances tout le premier, applaudiront des deux mains. D’ailleurs, cette aliénation ne sera pas définitive. A ma mort ou à fin de bail, Pierrefonds reviendra à la couronne, — le ministre le regarda effaré, — à l’État, veux-je dire, un Pierrefonds restauré, agrandi, embelli, meublé, vivifié, superbe enfin.

— Vous m’en direz tant.

— Puis-je donc espérer, monsieur le ministre, que vous saisirez la Chambre de mon projet?

— Je saisirai la Chambre.

— D’urgence?

— D’urgence.

— Vous lui expliquerez les avantages incontestables...

— Je n’épargnerai rien pour cela.

— S’il en est ainsi, j’ai confiance, car votre éloquence, monsieur, est de celles dont on dit que Démosthènes et Cicéron eux-mêmes, eux-mêmes...»

Fort embarrassé de sortir de cette phrase, Jasmin Robba préféra sortir du cabinet, ce qu’il fit à reculons, après les saluts d’usage. M. le ministre, couronné de fleurs, le reconduisit jusqu’à la porte et lui serra chaleureusement la main en regardant sa boutonnière nue d’un air tout à fait engageant.

C’était, au demeurant, une bonne affaire que l’aliénation momentanée de ce tas de tours et de murailles qu’on appelle le château de Pierrefonds. La Chambre en jugea ainsi. Du reste, le nouveau nabab était un si charmant homme... Et quel esprit supérieur!... M. le président du Conseil raconta à la tribune la visite qu’il lui avait faite. Jamais séance ne fut plus attrayante, et le lendemain on manqua de numéros de l’Officiel.

La Chambre des députés vota comme un seul homme; le Sénat approuva avec un parfait ensemble. Moins de huit jours plus tard, Robba signa un acte qui le rendait pour vingt ans possesseur du château de Pierrefonds, et, tout autour, de cinq cents hectares de terrain, à charge pour lui de ne faire d’autres modifications et transformations que celles qui donneraient au château et au domaine attenant le véritable aspect qu’ils pouvaient avoir au moyen-âge. Il versa cinq millions, Une misère, et se déclara le plus heureux des mortels.

Le plus heureux! non, pas encore. Pierrefonds ne serait un paradis que lorsque le sourire d’Edwige l’illuminerait de son rayonnement.

Edwige! c’est pour elle que Jasmin sera grand, pour elle qu’il sera bon. Quand il aura préparé un Éden digne de sa «douce dame», il la trouvera, fût-ce au bout du monde, et elle régnera sur tous comme elle règne sur son âme et sur ses pensées.

Il se mit aussitôt à l’œuvre, environné d’une légion d’artistes: architectes, peintres, sculpteurs, tapissiers. A Prix d’or, Robba meubla le château de bahuts vénitiens incrustés de nacre et d’argent, de coffres fouillés comme une dentelle; des rideaux de brocart tombèrent raides et superbes devant les fenêtres garnies de vitraux magnifiques.

Il en coûterait un mois de travail et quatre millions. et la réalité serait digne du rêve.

En même temps, le seigneur de Pierrefonds recevait, chaque jour, en son hôtel de l’avenue Kléber, deux mille lettres et deux cents télégrammes de félicitations, de sollicitations, de demandes de secours, de recommandations, d’offres de tous genres. L’un possédait un émail authentique qu’il céderait à prix raisonnable, l’autre, une faïence ancienne, d’une admirable conservation. Il surgit un nombre infini d’objets du XVe siècle, venus de tous les points de France et de Navarre.

L’antichambre de Jasmin Robba ne désemplissait pas. Il ne recevait personne. On l’assaillait quand même. Les domestiques avaient beau faire, l’hôtel était pris d’assaut.

Dans le nombre des plus obstinés solliciteurs, il s’en trouva un qui parla si haut, insista si fort qu’on se décida à prévenir Robba.

«Il y a là, dit le domestique, un homme qui prétend qu’il ne délogera pas d’ici, que monsieur lui doit tout, que monsieur l’entendra et que...

— Son nom?

— Gaillet.

— Gaillet? Connais pas. C’est un fou.

— Il n’en a pas l’air. Si j’osais, je dirais même à monsieur que nous avons cru comprendre qu’il est de la police.

— De la police! Gaillet!... Attendez donc. Gaillet... En effet, je me rappelle ce nom-là. Parbleu! Faites entrer ce brave homme.»

Le domestique sortit et, presque aussitôt, Jasmin Robba vit paraître un individu dans lequel il reconnut tout de suite un des deux agents qui l’avaient arrêté au cabaret de la Flèche d’Or. Sans rancune et bon enfant, il lui tendit la main.

«Je vous remets, mon ami.

— Monsieur me remet? J’en suis bien aise. Je n’osais pas me présenter, me disant: «Ce monsieur ne voudra peut-être pas me reconnaître.

— Vous n’osiez pas vous présenter. Je croyais au contraire que vous insistiez...

— Pas précisément. J’ai manifesté le désir d’assurer monsieur de mon attachement à sa personne, voilà tout.

— Je le connais pour l’avoir déjà mis à l’épreuve involontairement.

— Monsieur n’a pas eu à se plaindre? Vous n’êtes Pas fâché ?...

— Fâché ! peste, non. Vous m’avez arrêté le plus heureusement du monde. Et que puis-je pour vous, mon brave?

— Monsieur, je vais vous expliquer la chose. Nous avons eu une petite prime, mon collègue et moi, pour vous avoir découvert.

— Une petite prime? Dix mille francs!

— En effet, c’est une somme, mais si vous croyez, Monsieur, que l’on donne comme ça dix mille francs de récompense à deux pauvres agents! Ce serait gâter le métier. On ne fait pas fortune dans la police, allez. Aussi, monsieur, quand j’ai su votre histoire et que j’ai vu votre nom dans tous les journaux, je me suis dit: «Minute! je vais me présenter chez monsieur Robba, pour lui demander une place.

— Une place!

— Oui, monsieur, une place dans votre château, avec vous, où vous voudrez.

— Eh bien! et la Préfecture?

— La Préfecture! Je la lâche.

— Mais vous êtes deux à qui je dois le bonheur de mon arrestation. Votre collègue n’a pas eu la même idée?

— Oh! l’autre! ce n’est pas un homme distingué. C’est un vulgaire policier. Vous savez comme il vous a traité ? Sans moi il vous aurait mis le cabriolet. On a beau être innocent, ça n’est jamais flatteur. Mais je le laisse pour ce qu’il est. Moi, je cherche de la considération: je veux me faire un avenir. J’aurais beau rester dans la police, j’arrêterais même le diable et son train, je serais toujours pauvre et mal vu dans mon quartier. Que monsieur me prenne avec lui, il sera content de mes services.

— Que savez-vous faire?

— Je connais mon métier.

— D’accord, mais vous ne pourrez guère l’exercer dans ma seigneurie.

— Je ne tiens plus à arrêter personne. Je demande une place, une bonne place.

— Vous soumettrez-vous aux usages de rigueur à Pierrefonds? Vous n’ignorez pas ce qu’ils seront, puisque vous lisez les journaux.

— Dame! Je ne suis pas instruit, instruit; mais pour ce qui est de la bonne volonté et du dévouement, vous pourrez compter sur moi.

— Il faudra parler l’ancien langage.

—- Monsieur, je connais l’argot.

— Eh bien! puisque vous avez le don des langues, on vous fera travailler. Quel est l’emploi qui vous conviendrait?

— Celui que vous voudrez, monsieur; mais, à vrai dire, j’en aimerais un qui donne un peu de considération.

— J’ai votre affaire. Vous avez l’air d’un gaillard solide?

— Oh! monsieur, pour ce qui est des bras, c’est comme pour le dévouement, je n’ai pas mon pareil.

— Vous sauriez manier l’épée à deux mains?

— A trois mains, tant qu’on voudra.

— Sapristi!... Vous avez du courage?

— Pour ce qui est du courage...

— Le cœur solide?

— Pour ce qui est du cœur...

— Vous verriez brûler un homme à petit feu?...

— Peuh! on en voit bien d’autres dans la police.»

Jasmin Robba se redressa et, très sérieux:

«Allez, mon ami, je vous nomme bourreau.

— Plaît-il?

— Je — vous — nom-me — bour-reau.

— Bourreau!

— Oui, bourreau de Pierrefonds. J’ai le droit d’avoir un bourreau sur mes terres, ce me semble. J’y exerce le droit de haute et basse justice.

— Et qu’est-ce que je ferai? balbutia l’agent Gaillet.

— Vous commencerez par vous habiller tout de rouge. Nous verrons après.

— Je serai logé ?

— Logé dans une maison isolée, mystérieuse, à la porte couleur sang de bœuf.

— Et les appointements?

— Excellents.

— Est-ce que j’aurai de la considération?

— Malheureux! vous serez un personnage historique. Allez en paix, Gaillet, mon ami, et tenez-vous aux ordres de messire Lamberquin, lequel vous stylera. »

Du geste, Jasmin Robba congédia son homme dont la mine ahurie était du plus réjouissant effet.

On juge du bruit que fit le récit de cette entrevue qui courut les journaux le soir même. La curiosité redoubla. On attendait avec impatience le commencement de l’étrange vie de Jasmin Robba dans Pierrefonds transformé.

Le Tout-Paris se promettait d’être des fêtes de Pierrefonds, mais Robba formula dès le premier jour une loi inflexible: pour franchir le seuil du château, il faudrait, si l’on était femme, se vêtir à la mode d’Anne de Bretagne ou de Diane de Poitiers, porter un bonnet de perles ou une ferronnière de diamants; si l’on était homme, se parer du costume des riches seigneurs de la plus belle cour du monde en ce temps-là ; savoir par le menu les us et coutumes, les modes, et s’y conformer. La moindre infraction à ces règles entraînerait l’expulsion immédiate du délinquant. Les seigneurs ne devraient employer vis-à-vis des dames que les procédés et le langage de la courtoisie la plus raffinée. Les femmes auraient la meilleure part, puisqu’il leur resterait le droit d’être coquettes.

De divers côtés il s’ouvrit des cours dits préparatoires à Pierre fonds. On étudia l’histoire du XVe et du XVIe siècle comme on ne l’avait jamais fait. Ronsard devint le livre de chevet de toutes les belles curieuses; les couturiers furent sur les dents; la Bibliothèque Nationale fut assiégée de demandes, le cabinet des estampes pris d’assaut. On s’arracha de mauvaises reproductions des toilettes du temps, et certains industriels firent une fortune rapide.

Lamberquin, grand organisateur, bras droit de Robba, serait le gardien du paradis. Mais il laisserait difficilement entrer, et mettrait dehors, sans merci, ceux dont l’éducation XVe siècle pécherait par quelque endroit.

En attendant, on travaillait, jour et nuit à Pierrefonds. Avant quinze jours maintenant, le seigneur prendrait possession du manoir.

V

ROBBA, LES MAINS TENDUES, ALLA AU DEVANT DE FAUVEL. (Page 63.)


Jasmin Robba

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