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LA mansarde de Jasmin

Robba est petite et si basse qu’il pourrait en essuyer, avec ses cheveux, le plafond taché par l’eau noire qui suinte du toit.

L’ameublement est réduit à sa plus simple expression:

Sous la fenêtre à tabatière, un lit de fer dont les draps chiffonnés pendent en désordre; dans un coin, une malle qui sert en même temps de divan; sur une tablette, une cuvette et un pot à eau ébréchés, et, le long des murs, la plus étrange décoration qui se puisse voir: une bande de calicot fait le tour de la mansarde. Isidore Deschaumes, un ami de Robba, y a peint, à droite, le Printemps et l’Automne; à gauche, l’Hiver et l’Été.

Le Printemps est symbolisé par un ciel poudré de soleil, un jardin plein de fleurs. Dans le fond se dressent les tourelles d’un château du XVe siècle. L’air est embaumé du suave parfum des roses France, des senteurs délicates des muguets et des violettes, et de l’odeur pénétrante des lis et des tubéreuses.

De belles dames se promènent dans ce jardin, en devisant joyeusement. Leurs justaucorps, brodés de perles, étincellent au soleil; leurs traînes fourrées d’hermine, selon la mode du temps, balayent le sable fin, et les pages, un genou en terre, leur offrent des fleurs qu’elles payent d’un sourire.

L’Été, c’est encore le même château dont le soleil dore les ogives. Au premier plan, un carrousel; les chevaux volent, les armes scintillent, la reine du tournoi couronne le vainqueur dont le visage resplendit de fierté.

L’Automne, c’est la forêt pleine de mystère, traversée par les chasseurs en pourpoint brodé d’or, les écuyers, les varlets, les meutes féroces, les chevaux ardents, le cerf aux abois.

L’hiver ouvre à deux battants la porte de la salle d’honneur du château. Les murs disparaissent sous les boiseries sombres, délicatement fouillées par un artiste inconnu; les grands bahuts de Venise, aux incrustations multicolores, peuplent les angles; la longue table, chargée de victuailles de toutes sortes, occupe le milieu, et les dressoirs, pliant sous le poids des fruits et des pâtisseries, sont rangés à l’entour. Un tonneau de vin généreux est ouvert par le haut dans un coin. A l’opposé, s’entassent en pyramides des flacons poudreux de Chypre, de Malvoisie, etc., etc., etc...

Et, dans l’immense cheminée, un chêne flambe, pendant qu’au dehors la tempête fait rage, plaque la neige aux vitraux et fait pleurer les gargouilles.

Le ménestrel se chauffe, attendant le souper. La malette à la ceinture, la vielle suspendue au cou par un ruban de soie aux couleurs de sa dame, il dira tout à l’heure les hauts faits d’Olivier et d’Aïol de Saint-Gilles, les larmes de Bayard, ce fameux cheval des fils Aymon, les vertus d’Isoline, les prouesses de Parceval et de Lancelot.

Et Jasmin Robba, assis sur son lit, les jambes pendantes, déjeune d’une cigarette en regardant le tableau du Printemps. Il est le jeune page à l’habit de velours incarnat; sa «dame» lui sourit de ses lèvres roses et de ses yeux qui semblent un coin du ciel.

Ce soir, il dînera de quelques rogatons et d’un morceau de pain dur. Présidant la longue table au-dessus de laquelle flotte un nuage de fumées odorantes, il se fera servir par l’écuyer tranchant un cuissot de chevreuil, fouillera de sa dague les flancs de ce pâté doré et l’arrosera d’un délicieux Falerne dont l’échanson remplira son hanap de vermeil...

Cependant, les arbres sont des taches vertes et bleues; les fleurs, des taches roses, jaunes et blanches; les chevaux, des chimères; les femmes sont lilas et les hommes sont rouges. Qu’importe? Cette toile omnicolore parle une langue que Jasmin Robba comprend.

Il n’a pu payer son terme, et le propriétaire est sans entrailles; mais Robba roulera dans un vieux journal son château à ogives où rit la lumière, sa forêt ombreuse, ses étangs poissonneux, ses pelouses ensoleillées, et s’en ira chercher un toit plus hospitalier. Il ne cessera point de vivre de rêves. L’imagination est une magicienne et Robba est ensorcelé.

Littérateur auquel il n’a manqué que du caractère et du bon sens, il est peu à peu tombé dans la bohème.

Au physique, une tête de Christ brun sur un corps maigre, légèrement au-dessus de la moyenne; le teint est pâle, l’œil enfoncé dans l’orbite, la barbe encadre le visage, soyeuse et fournie. Jasmin Robba a un air d’apôtre. Apôtre! il l’est, du reste. N’est-il pas prêtre de cette religion qui s’appelle l’art? Mais ce prêtre est un contemplatif.

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ET JASMIN ROBBA, ASSIS SUR SON LIT, DÉJEUNE D’UNE CIGARETTE... (Page 4.)


Aujourd’hui, cantonné dans le culte du passé, épris du moyen-âge, il appelle à grands cris une Renaissance nouvelle, et, dans l’attente d’une ère chimérique, se tient en dehors de la lutte de l’existence, se croyant au-dessus; pérore, songe et vit de privations, pauvre d’argent, riche de rêves, heureux au demeurant, car il a le regard clair, la voix franche et le cœur bon.

Jasmin Robba

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