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III

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QUAND Jasmin Robba se remit de sa stupeur première, il se vit dans un fiacre, assis entre deux policiers. La voiture roulait le long de l’avenue Trudaine. Elle gagna la rue Montmartre, les Halles et les quais. Jasmin Robba croyait rêver.

Que signifiait cette aventure? A qui en avait-on? La police se trompait évidemment. Peut-être s’agissait-il d’un autre Robba. Mais ce nom n’est pas commun. Et puis, quelle apparence qu’il eût un homonyme qui s’appelât justement Jasmin, et qui fût homme de lettres? Non, non, c’est bien à lui qu’on en veut.

Les magistrats se trompent. Il ne faut pas rire; les erreurs judiciaires sont fréquentes.

Jasmin Robba frissonne en songeant au malheureux Lesurques, du Courrier de Lyon.

Et de quoi l’accuse-t-on? D’assassinat, d’abus de confiance, de vol, de crime politique?... Certes, il est innocent. Il n’a pas payé son terme et doit par-ci par-là quelque menue monnaie aux gargotiers du quartier, à sa blanchisseuse et à son tailleur; mais la prison pour dettes n’existe plus. Il ne voit point quel est son crime. L’agneau de la fable n’était pas plus coupable, n’empêche qu’il fut mangé.

Quelle aventure!

Ah! comme il avait raison ce magistrat qui disait: «Si on m’accusait en France d’avoir volé les tours de Notre-Dame, je commencerais par passer la frontière. » On a vite fait d’arrêter un honnête homme, à Paris.

Si du moins il savait ce qu’on lui reproche! Savoir pourquoi on va en prison, c’est une fiche de consolation. On peut essayer de prouver son innocence, préparer un alibi; mais le mystère a quelque chose de terrible.

A tout prix Jasmin Robba veut sortir de cette incertitude, et, avisant le plus âgé des deux agents:

«Savez-vous, monsieur, demande-t-il poliment, savez-vous pourquoi je suis arrêté ?

— Et quand je le saurais? Croyez-vous que nous sommes là pour vous en instruire? Taisez-vous.

— Mais...

— Taisez-vous.

— Pourtant...

— Faut-il vous mettre les menottes pour vous fermer la bouche?

— Les menottes... A moi!...

— Ce serait prudent... Vous avez dû en faire là-bas, mon gaillard?

— Là-bas?... Où ça?...

— Où ça... Il joue l’innocent... Suffit. Assez causé. Nous ne sommes plus à Londres, ici. Tâchez de vous taire.

— A Londres!...»

Jasmin Robba se prit la tête à deux mains. Il n’avait jamais mis les pieds en Angleterre, et l’agent avançait évidemment cette allusion à Londres avec intention.

Pour le coup, c’était à en perdre la raison. Il n’était pas encore remis de cette stupeur nouvelle quand le fiacre s’arrêta dans une cour du Palais de Justice.

Tenu de près par les deux alguazils, Robba descendit de voiture, traversa un long corridor, monta un escalier et se trouva dans une galerie interminable, où des garçons de bureau échangeaient des lazzis avec des gardes de Paris assis sur les banquettes adossées au mur.

Les trois hommes suivirent la galerie et pénétrèrent dans une petite salle dont l’unique fenêtre laissait apercevoir l’abside de la Sainte-Chapelle. Ce joyau de pierre découpait ses dentelles sur le fond d’or rouge du couchant. Une gargouille à tête de furie s’allongeait curieusement, semblant chercher à regarder dans la salle, et Jasmin, comme s’il eût voulu lire dans ses yeux vides le secret de sa destinée, était si bien perdu dans sa contemplation qu’il n’entendit pas une sorte d’huissier appeler: «Jasmin Robba.»

«Mais allez donc!» dit le plus jeune des deux agents en lui donnant une bourrade.

L’autre agent avait disparu.

Jasmin Robba se trouva dans une pièce de moyenne grandeur, meublée sévèrement. Un grand bureau occupait l’espace laissé entre deux hautes fenêtres. Un homme jeune encore, au sourire fin, à l’œil vif, assis, le dos tourné à la lumière, feuilletait avec intérêt divers papiers. Un mince ruban rouge tranchait sur le revers de sa redingote. Il glissa un regard aigu vers l’arrivant.

L’agent s’était assis près de la porte.

«Ah! maintenant, fit Robba avec un soupir de soulagement, je vais peut-être savoir pourquoi l’on m’arrête!

— Veuillez vous asseoir, monsieur.»

Le magistrat lui indiquait du geste un siège placé en face de son bureau. On ne pouvait souhaiter juge plus aimable. Jasmin Robba reprit courage.

«Je suis heureux, monsieur, dit-il, de pouvoir enfin...

— Pardon, monsieur, interrompit son interlocuteur, pardon, je remarque un oubli.»

Et s’adressant à l’agent:

«Vous avez laissé monsieur les mains libres?

— Il n’a pas fait de résistance, monsieur; nous n’avons pas cru devoir l’attacher, expliqua l’homme, s’excusant.

— Vous avez eu tort.»

Puis, gracieusement à Robba, ahuri:

«Vous vous nommez Jasmin Robba, monsieur?

— Oui.

— Fils de Mistral Robba et de Marie-Maria Roberties, décédés.

— Oui.

— Né à Saint-Andéol?

— Oui.

— Homme de lettres?

— Oui..

— S’il vous plaisait d’ajouter quelques mots à ces réponses un peu brèves, je me mets à votre entière disposition, monsieur, pour recueillir vos déclarations sur l’affaire dans laquelle vous êtes impliqué. Je suis le chef de la sûreté.

— Monsieur, j’ignore de quoi l’on m’accuse, j’ignore pour quelle raison je mérite les menottes. On m’a arrêté. Je suis victime d’une erreur folle. Votre police est mal faite. Elle me prend pour un autre.»

Le chef de la police sourit, et de plus en plus charmant:

«Bien dit, le ton est juste... Je vous fais tous mes compliments. Vous êtes d’une jolie force... Voulez-vous un conseil d’ami?... Dites-moi tout. Vous êtes sujet français. Après que vous serez livré à la police anglaise, nous n’aurons plus sur vous aucun pouvoir, et vous regretterez, je crois, de ne pas m’avoir écouté. Telle explication que vous donnerez peut changer les choses de tournure, empêcher d’accéder à la demande d’extradition...

— On m’extrade?

— Cela ne tardera guère.

— Je suis donc poursuivi par l’Angleterre?

— Vous avez été recherché et arrêté à la requête officieuse de l’ambassade anglaise. Je dis: officieuse, ne voulant rien vous cacher. On a désiré sans doute éviter de trop attirer l’attention, tant la capture était importante. J’ignore jusqu’ici quels sont vos crimes. Vous voilà pris. Vous avez tout intérêt à vous confier d’abord à la justice de votre pays. Parlez. Je ne suis pas un juge d’instruction. Vous n’avez rien à craindre. Est-ce l’agent qui est là qui vous dérange? Il va sortir... Sortez, Gaillet, et dites à l’huissier d’introduire, dès qu’il arrivera, M. Crampell, qu’on a prévenu par téléphone.»

L’agent sortit.

«Je vous écoute, monsieur, continua le chef de la sûreté.

— Je voudrais avoir quelque chose à vous dire, monsieur, car vous avez une façon d’interroger des plus encourageantes, mais je n’ai rien à avouer.

— Peste! c’est donc par fantaisie que votre tête est mise à prix?

— Ma tête est mise à prix!...»

Le magistrat chercha un papier et lut:

«Une somme de quatre cents livres sera mise à la disposition de la préfecture si Jasmin Robba est découvert dans les quarante-huit heures.»

«Ce billet est d’hier soir. Vous valez quatre cents livres sterling, en argent de France, dix mille francs. Un beau denier... Vous voyez, je vous dis tout. J’espère que maintenant vous allez parler.»

Jasmin Robba commençait à devenir fou. Il regardait le magistrat et sentait dans son crâne les idées, les mots et les choses mener une sarabande échevelée.

Un coup discret fut frappé à la porte, qui s’ouvrit sans bruit.

«Sir Harry Crampell!» annonça l’huissier.

Un étranger, l’air d’un Anglais, entra, raide, gourmé, toucha du bout de ses doigts gantés la main que le chef de la sûreté lui tendait, et, regardant autour de lui:

«Robba? dit-il d’un ton sec.

— Voici l’homme.»

Et le chef de la sûreté montra l’accusé, affaissé sur sa chaise.

Sir Harry Crampell tira de sa poche un portefeuille, y prit un chèque qu’il laissa tomber sur le bureau, et d’un pas automatique marcha vers Robba, lui prit les deux mains et le mit debout. Jasmin s’abandonnait, inerte; il renonçait à comprendre.

«Vous êtes Jasmin Robba? interrogea l’Anglais en l’attirant face au jour.

— Oui, monsieur... De quoi m’accusez-vous?

— Né à Saint-Andéol, de Mistral Robba?

— Je l’ai déjà dit.

— Petit-neveu de Jasmin-Philippe Robba?

— Petit-neveu de?... Ah! oui... Un frère de mon grand-père qui partit tout jeune à l’étranger.

— Justement... C’est donc vous... Enfin!»

Et tandis que le chef de la sûreté restait cloué de stupeur dans son fauteuil, sir Harry Crampell noua ses grands bras au cou de Robba et l’embrassa cordialement.

Jasmin Robba

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