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V
ОглавлениеJasmin Robba rêva longtemps, suivant sa pensée qui vagabondait à travers l’irréel, l’âme bercée par des harmonies étranges.
Quand il rouvrit les yeux, la lune montait lentement, blanchissant l’azur profond. Quelle heure était-il?.
Le temps avait fui sans que son vol s’entendit dans l’hôtel silencieux.
Jasmin eut quelque peine à se ressaisir. Il se leva, étendit les bras, secoua la tête... Non... il ne rêvait pas.
Alors?...
Un coup léger frappé à la porte du fumoir lui fit tout à fait reprendre pied dans la réalité.
«Entrez!» cria-t-il d’une voix forte, comme pour se bien convaincre lui-même qu’il n’était pas une ombre emportée dans un songe bleu.
La porte s’ouvrit et un domestique s’avança en disant:
«Je n’ai pas osé me présenter plus tôt, mais si monsieur avait besoin de mes services, je...
— Merci. Quelle heure est-il?
— Minuit.
— Que faites-vous debout à cette heure?
— J’attends que monsieur veuille bien me donner ses ordres pour son coucher.
— C’est juste.»
Et Jasmin Robba ajouta in petto, en riant tout bas:
«Je ne sais pas même où va coucher l’héritier de mon oncle.»
Il suivit le valet à travers le dédale des galeries et des escaliers brillamment éclairés malgré l’heure tardive, passa par des salons en enfilade et arriva devant une porte en bois de citronnier; le domestique ouvrit et s’effaça pour le laisser entrer.
C’était là l’appartement du maître. Rien n’y manquait.
Le luxe était de bon aloi.
Çà et là des meubles d’ébène recouverts de soie bouton-d’or, capitonnés de velours noir; un lit bas, une peau d’ours sur le parquet du même bois que les portes; des sièges de formes élégantes et commodes dispersés sans ordre apparent. Une pendule en cuivre, ciselée par Benvenuto Cellini, ornait la haute cheminée, en compagnie de deux buires de Murano.
Par les fenêtres ouvertes entrait le parfum des jasmins et des chèvrefeuilles qui festonnaient la façade de l’hôtel.
Le cabinet de toilette attenant, la salle de bains avec sa large cuve de marbre, promettaient à Robba leurs délices.
Il poussa un long soupir de satisfaction.
«Qu’attendez-vous? demanda-t-il au valet qui restait immobile.
— Ne dois-je pas déshabiller monsieur?
— Allez vous coucher, mon ami; je n’ai besoin de personne encore pour me mettre au lit. Demain vous aurez soin de m’envoyer dès la première heure les meilleurs fournisseurs du boulevard.»
Le valet de chambre disparut.
Robba s’accouda à la fenêtre. Des senteurs exquises montaient toujours du jardin. Caché dans le feuillage d’un seringa en fleurs, un rossignol se mit à chanter.
Jasmin fut pris du désir intense de se plonger au sein de cette nuit lumineuse et parfumée. Une porte dissimulée derrière une tenture à moitié relevée donnait sur un escalier descendant au jardin. Il l’ouvrit et fut presque aussitôt sous les grands arbres. Il alluma un cigare et parcourut les allées fleuries, écoutant, ravi, le murmure des ruisselets qui couraient vers les bassins brodés de nénuphars où les étoiles se miraient. Leurs douces lueurs faisaient étinceler les fusées cristallines des jets d’eau.
Jasmin s’assit sur un banc de gazon au pied d’un catalpa géant et suivit, avec un intérêt croissant, les légères spirales de fumée bleuâtre qu’il envoyait béatement en hommage à la lune. Elle semblait accepter cet hommage et sa bonne face ronde souriait. Ce sourire éclairait les nuages légers qui flottaient tels qu’un voile diaphane, et ces nuages prenaient des aspects fantastiques. Jasmin voyait se profiler sur le ciel les tourelles élancées d’un fier château aux ogives brodées ainsi qu’une fine guipure, et aux portes fleuronnées. Une nuée de pages superbement vêtus tourbillonnaient au haut des degrés du perron d’honneur. Les palefrois piaffaient d’impatience, les seigneurs se...
Soudain Robba recule ébloui: une radieuse apparition se détache sur le fond sombre de la haute porte sculptée. C’est une femme très jeune et belle à miracle. Ses cheveux sont retenus sur son front par un bandeau de perles; sa robe blanche, bordée d’un galon d’or et serrée à la taille par une cordelière, enveloppe un corps souple et élégant. Sa bouche ressemble à une grenade ouverte, et son regard enchante.
Robba voudrait l’inviter à descendre avec lui dans le riant parterre.
Il murmure à mi-voix les vers délicieux de Ronsard:
Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avait déclose
Sa robe de pourpre au soleil,
A point perdu, cette vêprée,
Les plis de sa robe pourprée
Et son teint au vôtre pareil...
Il s’agenouille pour lui offrir la main, et ce mouvement, le réveillant, fait évanouir la merveilleuse apparition... La lune continue à sourire et le rossignol à chanter.
IV
UNE RADIEUSE APPARITION SE DÉTACHE SUR LE FOND SOMBRE. (Page 34.)
«Je suis fou, ma parole, dit Robba en riant. Mais après tout, pourquoi ce rêve ne serait-il pas réalisé ? Pourquoi à coups de millions n’évoquerais-je pas un monde disparu, une société douée d’autres grâces que les nôtres et de vertus chevaleresques dont les poèmes seuls gardent le souvenir? Pourquoi ne serais-je pas un suzerain au petit pied?... Je ferai jouer sur mon théâtre des mystères et des soties, et mes carrousels rendront désertes les pistes d’Auteuil et de Longchamp... Pourquoi pas?»
Il reprit, monologuant, le chemin de l’hôtel.
«J’étonnerai Paris, je bouleverserai le monde, je serai bon à tous, je serai aimé et heureux...»
Il se coucha et s’endormit en caressant ce rêve.
Sa première pensée, au réveil, fut pour ses amis.
Ses amis!...
Quel effarement sera le leur lorsqu’ils apprendront sa surprenante fortune! Le voir disparaître entre deux argousins et le retrouver dans un palais! Ils partageront ses plaisirs comme ils ont vécu ensemble les mauvais jours. Tous, il les appellera tous: Lamberquin, le fin chroniqueur; Delval, le chantre harmonieux; Deschaumes, le puissant artiste; Arbel, le poète délicat; Fauvel, l’inventeur qui deviendra célèbre quand il ne manquera plus de pain...
Robba s’habilla hâtivement, entra dans son cabinet où se trouvait un coffre-fort dont sir Harry Crampell lui avait remis la clef. Il l’ouvrit et appuya la main sur ses yeux: des liasses de billets, des piles d’or, des coffrets pleins de joyaux s’entassaient dans les compartiments du meuble. Ces trésors étaient siens... Mais les paroles de sir Harry Crampell lui revinrent à l’esprit: «La fortune n’a de prix que par l’usage qu’on en fait» ; et, dans son cœur, Robba, que la misère avait gardé bon, se jura de s’en servir pour le bien de tous.
A ses amis, d’abord!
Il détacha d’une liasse cinq billets de mille francs, et, redevenu le fantaisiste bohême d’antan, il joignit à chacun d’eux l’invitation suivante:
«Monsieur... voudra bien se tenir prêt, demain à six heures, à monter dans la voiture qui l’ira chercher chez lui de la part de «Jasmin ROBBA.»
Mettant le tout sous enveloppe, il écrivit les noms et adresses de ses fidèles camarades, et, quand les cinq plis furent portés à la poste, il éclata de rire!
Quel émoi pour ses amis invités de cette façon!
Il fit joyeusement sa toilette. Eusuite il voulut revoir à la lumière du jour l’hôtel et ses dépendances, surtout le jardin, ce jardin enchanté... Il avait encore dans les yeux l’apparition de son rêve de la nuit.
Le soleil du matin dorait les arbres et les pelouses; mais le gracieux fantôme n’était plus là.
Oui, ce parc, cet hôtel, tout était magnifique; cependant, Jasmin Robba souhaitait autre chose. Il vivrait au moins deux ans selon son cœur, il vivrait dans une féerie. Et l’emploi qu’il ferait ainsi de ses premiers millions ne serait pas banal. Nul ne le blâmerait. Et qu’importe après tout! Il aurait contenté son envie.
C’est dit, le château qu’il désire sortira du sol qu’il touchera de cette baguette magique: l’or. Force lui sera pourtant d’attendre. Un château ne se construit pas en un jour. Mais si, sans plus tarder, il s’installait dans l’une de ces royales demeures que nous a léguées le passé.
Soudain, il poussa un cri de joie.
«J’ai trouvé !...»
Il se tut. Au détour de l’allée déserte sir Harry venait d’apparaître, se dirigeant vers lui.