Читать книгу Jasmin Robba - Henri de Noussanne - Страница 7

IV

Оглавление

Table des matières

Robba se retrouva dans la galerie aux côtés de l’étranger qu’il suivait sans comprendre.

En arrivant en pleine lumière dans la cour du Palais de Justice, il regarda sir Harry Crampell, cet inconnu qui l’avait embrassé sur les deux joues.

«Je vous en prie, monsieur, expliquez-moi...

— Tout à l’heure, répondit l’Anglais d’une voix calme.

— Mais pourtant...

— Tout à l’heure.»

Robba se demandait à la fin s’il n’était pas le jouet de quelque mystification diabolique. Il prit le parti d’attendre et examina son compagnon.

Grand, les favoris à l’anglaise, les cheveux et les sourcils grisonnants et très épais, le regard perçant, le sourire bon, sir Harry Crampell portait avec distinction les vêtements d’un parfait gentleman.

Il conduisait Robba sans tourner la tête vers lui. Sa voix à elle seule était un mystère. L’accent en avait quelque chose de très provençal et de très anglais à la fois: l’accent d’un Anglais méridionalisé ou d’un Méridional anglicanisé.

Un coupé attelé de deux magnifiques trotteurs, noirs de la croupe aux naseaux, stationnait au ras du trottoir.

«En voiture! dit Crampell.

— Dans ce...

— Sans doute.

— Mais, monsieur, de grâce, expliquez-moi...

— Tout à l’heure.»

Ils s’installèrent en voiture; le cocher lança son attelage au grand trot dans la direction de la place de la Concorde.

Le coupé roulait à travers les rues, comme Robba à travers ses rêves.

Tout ce qui lui arrivait était par trop extraordinaire. Que trouverait-il au bout de cette aventure?

Et sans qu’il pût donner de réponse à ce point d’interrogation, la route filait pailletée des derniers reflets du soleil couchant, qui disparaissait en incendiant de pourpre le Trocadéro, le Champ de Mars et tout le fond de l’horizon où la Seine s’en allait, ruban d’argent moiré de rouge.

A l’intérieur de la voiture, nul bruit. Robba s’était résigné. Il se préparait à faire une cigarette. L’étranger remarqua son mouvement et lui tendit un étui d’or aux incrustations de pierreries.

Robba, que rien n’étonnait plus, y prit un minuscule cigare de Havane, l’alluma sans mot dire, en remerciant d’un signe de tête, et continua de rêver dans un nuage de fumée fleurant le macouba.

Il se revit, ce matin tiède, éveillé dans sa chambrette par un rayon du soleil qui baignait les toits de vagues de lumière rose; il se revit travaillant, paisible, dans la salle de la Bibliothèque, et rencontrant ensuite ses amis au cabaret de la Flèche d’Or. Puis la série des événements qui le stupéfiaient encore: son arrestation, la sûreté, l’interrogatoire, l’arrivée de sir Harry Crampell, l’accolade et cette course...

Le coupé montait l’avenue des Champs-Élysées. Où allait-on?

Et cet original qui versait au nom de la justice anglaise quatre cents livres pour sa capture, l’embrassait soudain, ne soufflait mot et l’entraînait, Dieu sait où ! que voulait-il?

«Pas de doute! se dit Robba, cet homme est fou, fou à lier. Soit! il est fou, mais pourquoi s’en prend-il à moi? comment me connaît-il?... Enfin, attendons.»

Le coupé dépassa l’Arc de Triomphe et s’arrêta au milieu de l’avenue Kléber, devant un magnifique hôtel dont la porte cochère s’ouvrit pour lui livrer passage.

La voiture entra et stoppa au pied d’un large perron aux balustres de marbre blanc, dans une cour pavée de Mosaïques.

Les deux hommes descendirent, et Robba, sur un Signe de son compagnon, gravit l’escalier et s’engagea dans le vestibule où deux valets de pied, d’une correction superbe, regardaient, impassibles, l’hôte pauvrement vêtu qui accompagnait leur maître.

Sir Harry Crampell, précédant Robba, l’entraîna jusqu’à une salle à manger, lui offrit un siège et lui dit:

«Vous devez avoir faim!

— Certes, l’heure de mon dîner est passée depuis longtemps.»

L’Anglais pressa le bouton d’une sonnerie électrique. Un maître d’hôtel parut. Sir Harry donna un ordre. Aussitôt le dîner fut servi. L’Anglais mangeait comme quatre. Robba buvait pour ce que son hôte mangeait, de sorte qu’au dessert il devint de plus en plus exubérant et interrogatif. Par contraste, sans doute, l’étranger était de plus en plus taciturne.

«Je vous en supplie, monsieur, dites-moi si...

— Tout à l’heure... après le dîner.»

Le repas s’acheva en silence. Alors sir Harry se leva et d’un geste invita Robba à le suivre.

Ils traversèrent plusieurs appartements princièrement meublés. Dans chaque pièce, l’inconnu attirait l’attention de l’artiste:

«Voici le grand salon... la bibliothèque... la galerie de tableaux... le... le fumoir. Voulez-vous fumer?

— Avec plaisir, dit Robba.

— Eh bien! fumons.»

Ils firent le tour du fumoir. Robba se jeta sur une ottomane. Il allait s’y étendre.

«Pas encore, dit Mr. Crampell.»

Il le poussa vers la fenêtre.

Malgré la nuit venue, on entrevoyait divers bâtiments, des arbres de haute futaie, et un jardin grand comme un parc.

«Maintenant... la cour... le jardin... les serres... le pavillon... Est-ce joli? demanda l’Anglais.

— Magnifique!

— Tant mieux! tout cela... tout... c’est à vous!»

Robba le regarda plus inquiet; la plaisanterie se prolongeait.

— A moi?

— Oui.

— Prenez garde, monsieur, si j’allais le croire!

— Mais rien n’est plus vrai, tout ce que vous voyez est votre propriété.»

Robba eut un sourire triste.

«Pauvre homme,» pensa-t-il.

Et tout haut il ajouta très sérieux, pour dire comme lui:

«Oui, oui, je sais, tout cela, tout est à moi... Je suis chez moi... Je suis propriétaire et voici ma propriété. Du temps que j’étais roi de la lune, j’avais encore bien d’autres propriétés plus grandes et plus belles...»

Mr. Crampell l’interrompit:

«Je vous prie de ne pas vous moquer de moi!»

Robba continuait à l’envelopper du même regard attristé !

«Vous vous trompez, dit l’étranger, qui en comprit la signification, je ne suis pas fou!

— Mais...

— Allumez donc votre cigare... Je vais vous expliquer... »

Et l’Anglais commença:

«Vous êtes Jasmin Robba... Votre père était Mistral Robba... Le père de votre père, Jean Robba et le frère de Jean Robba, Philippe Robba.

— Mon grand-oncle est encore vivant?

— Non. — Philippe Robba, tout jeune, était ce que vous appelez en France un cerveau brûlé. Votre grand-père s’occupait de ses études... Lui ne faisait rien... il s’amusait. Il disparut, un jour, de la maison paternelle, et gagna Marseille. A Marseille, il s’engagea sur un bâtiment de commerce. Il avait plus d’instruction qu’un simple matelot. Il monta en grade, et eut mille aventures. Bref, il devint très riche... Il fréta des vaisseaux, acheta des terres, exploita des mines. Il devint encore plus riche. J’ai eu le bonheur de le rencontrer il y a quarante ans, quand, au saut du paquebot, je mourais de faim à Bombay. J’avais vingt ans. Il possédait déjà une énorme fortune. Son âge était le double du mien. Il cherchait pour le seconder un homme actif et probe. Mon air lui agréa. Il m’accueillit, m’occupa; je lui dois tout. Pendant près d’un demi-siècle, j’ai vécu sous ses ordres, étant d’abord son employé, puis son bras droit, puis son ami.

J’ai soixante-deux ans, monsieur. Votre grand-oncle est mort l’année dernière à quatre-vingts ans passés.»

Jasmin commençait à croire. Il eut un éblouissement; il se prit la tête à deux mains et fit signe à l’Anglais de ne pas continuer.

«Attendez! attendez!... Au nom du ciel, un instant...

— Soit!...»

Sir Harry Crampell se tut.

Jasmin Robba fit plusieurs fois le tour du fumoir, s’accouda à la fenêtre, revint vers son compagnon et, d’une voix fébrile, murmura:

«Continuez...

— Votre grand-oncle, reprit l’Anglais, était bon; mais le sentiment de la famille lui manquait. Il ne s’est jamais marié. Il avait rompu avec les siens quand il quitta la France. Il n’a pas cherché à les associer à son immense fortune. Il avait des idées étranges, vous en aurez la preuve. J’abrège, il ne s’inquiéta point de sa famille, non par méchanceté, mais plutôt par bizarrerie et négligence. Son existence pleine d’entreprises gigantesques ne lui laissait guère le temps d’être sentimental. Cependant, à son lit de mort, il s’est souvenu des siens:

«Votre grand-oncle a légué sa fortune entière à ses parents de France.

— Je suis le seul.

— Je le sais; je vous ai cherché et je vous ai trouvé. On m’avait informé que vous habitiez Paris; mais vous meniez une vie étrange. Il était difficile de vous découvrir. J’ai pensé aux annonces dans les journaux. Ce moyen d’attirer votre attention m’a semblé long et incertain. J’ai des relations avec l’ambassade d’Angleterre. Un mot de l’ambassadeur avec promesse d’une prime a mis la police de Paris sur pied, et en moins d’un jour on vous a découvert. Mais il y a eu quiproquo. On m’a pris pour un haut fonctionnaire de la justice, vous, pour un criminel de marque, et l’on vous a quelque peu malmené.

«C’est ma faute, je vous en fais mes excuses.

«Il ne me reste plus qu’à vous demander si vous acceptez la fortune de Philippe Robba, à vous laissée par testament sous des conditions spéciales que je vais vous communiquer.

— Si j’accepte! s’écria Robba frémissant.

— Ne vous hâtez pas trop, observa sir Harry Crampell, de sa même voix calme. La fortune aide au bonheur; mais elle ne le fait pas seule, et mieux vaut mille fois rester toujours pauvre que de sortir d’une ornière pour, un peu plus loin, sombrer dans un nouvel abîme.

— Je ne comprends pas.

— Vous allez comprendre. La fortune de votre oncle est une des premières du monde. Elle s’élève à plus de cinq cents millions; les revenus assurés dépassent vingt-cinq millions. Votre oncle, qui était un grand, très grand esprit, s’est tenu ce raisonnement: «L’argent n’a de valeur et d’utilité que celles qu’on lui donne. Il nuit souvent à celui qui le possède, et, pour quelques-uns, c’est un grand malheur que d’être riche.

III

«JE NE COMPRENDS PAS.» (Page 28.)


«Je ne connais aucun des parents qui peuvent me rester. Sauront-ils user de l’énorme fortune que je leur lègue? Mon vieil ami Crampell sera leur juge. S’ils sont dignes d’être richissimes, je leur laisse tout ce que je possède; sinon tout ira aux œuvres pies.»

«Votre oncle m’a donc choisi comme exécuteur testamentaire, et il a décidé que, pendant deux ans, les revenus de sa fortune seraient à la disposition de ses héritiers. Vous héritez seul. Suivant l’emploi que vous ferez de ces revenus, vous serez constitué possesseur du capital entier ou totalement dépouillé.

«Acceptez-vous?

— Parbleu! cria Robba, bien que cette restriction le rendît soucieux.

— Réfléchissez, monsieur. Vous me donnerez demain matin votre réponse définitive.

«Souvenez-vous que tout dans la vie est affaire de proportion; cinquante millions ne sont rien quand on peut en avoir cinq cents; enfin il vaut mieux n’être jamais riche que redevenir pauvre.

— C’est possible, mais j’en courrai le risque.

— Soit. Je reviendrai donc demain pour la forme. Vous êtes chez vous, et je suis votre hôte. N’oubliez pas que je suis encore plus votre ami, mais que, dans deux ans, je serai votre juge.»

Et sir Harry Crampell, lui ayant serré la main, sortit.

«Dans deux ans, murmura Robba, qui souriait à une mystérieuse pensée, dans deux ans... j’aurai vécu comme Charles VIII ou François Ier

Jasmin Robba

Подняться наверх