Читать книгу Un cas de folie - Henry Cauvain - Страница 5

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III

Il venait à peine de s’asseoir en face de son bureau lorsque la porte s’ouvrit et l’homme parut.

Baptiste se retira après l’avoir fait entrer.

L’inconnu s’arrêta un instant sur le seuil. Il regarda autour de lui d’un air qui avait quelque chose d’égaré.

Il paraissait avoir besoin de se remettre. Il venait sans doute de loin, et avait marché vite et longtemps, ainsi que l’attestait la poussière dont il était couvert.

Armand lui fit signe de s’asseoir. L’homme ne parut pas remarquer cette invitation.

–Asseyez-vous, mon ami, dit le jeune avocat, que ces allures étranges étonnaient.

L’homme retira alors lentement le chapeau déformé qu’il avait sur la tête. Il essuya son front baigné de sueur, posa son bâton dans un coin et vint s’asseoir près du bureau d’Armand.

Il voulut parler, mais aucune parole ne sortit de sa gorge. D’une main tremblante, il desserra la corde roulée qui lui servait de cravate.

Il fit un signe qui voulait dire: J’ai soif.

Il est probable que si un pareil personnage était venu tomber chez un autre avocat qu’Armand d’Arçay, il eût été vivement éconduit. Mais Armand était jeune, il avait un cœur d’or, cet homme était son premier client, et puis enfin il y avait là quelque chose de bizarre et de mystérieux qui piquait sa curiosité.

Il se leva, alla vers une petite table où étaient placés un plateau et des verres, et rapporta à l’homme un verre où il avait vidé la moitié d’un carafon d’eau-de-vie.

L’inconnu avala cela d’un seul trait et un faible: merci! sortit de ses lèvres.

–Maintenant, mon ami, fit Armand, dites-moi ce qui vous amène chez moi.

L’homme fit un nouvel effort pour parler. Cette fois il prononça des paroles distinctes, mais sa voix était si basse et si usée qu’Armand dut se pencher vers lui pour entendre ce qu’il disait.

–Monsieur, commença l’inconnu, je viens vers vous pour que vous me fassiez rendre justice. Il ne s’agit pas ici d’une affaire ordinaire. Je ne suis pas un paysan qui vous demande de plaider contre un voisin. Je ne suis pas non plus, comme vous pourriez le croire, d’après ces pauvres vêtements, je ne suis pas un mendiant qui a eu maille à partir avec la gendarmerie.

Je suis, monsieur, un honnête homme qui vient de passer vingt ans de sa vie au bagne et qui veut une réparation pour son honneur. Je suis un innocent qui veut sa réhabilitation.

La voix sourde de l’inconnu s’était éclaircie; il avait prononcé ces derniers mots avec fermeté, en se redressant et en appuyant avec énergie son poing fermé sur le bord du bureau de l’avocat.

Armand était assez ému de ce début, encore plus intrigué de savoir quel était cet homme et quelle histoire il allait lui conter. Malgré sa jeunesse et son inexpérience, il savait que tous les criminels ont pour invariable coutume d’affirmer leur innocence et d’accuser les juges qui les ont condamnés.

Mais ici cette affirmation avait une netteté et une autorité singulières.

D ailleurs, l’inconnu sembla prévoir le soupçon du jeune avocat.

–Je veux, monsieur, lui dit-il, que vous vous intéressiez à ma cause. Je vous supplie de me croire… Si vous ne pouvez m’entendre, dites-le moi. J’irai chez un autre avocat. Mais il faut que j’obtienne justice. En arrivant dans cette ville, sans prendre le temps de me reposer, après une marche de dix lieues sous un soleil brûlant, sans boire ni manger, bien que je tombe de faim et de soif, sans même m’informer aux environs si une pauvre petite fille que j’ai laissée avant de partir pour le bagne est vivante ou morte, je me suis fait indiquer la maison d’un avocat. On m’a montré votre demeure, je n’ai pas demandé votre nom, je suis accouru et me voici… Ce jour que j’attends depuis vingt ans, entendez-vous, monsieur, depuis vingt ans! ce jour est arrivé. Il me semble maintenant que je vais pouvoir prouver mon innocence… que je vais retrouver mon bonheur… que toutes mes souffrances seront oubliées. Oui, monsieur, oui, vous pouvez tout cela. Vous pouvez me rendre plus que la vie. Écoutez-moi, je vous en prie, prenez pitié de moi. Ne me traitez pas comme un misérable vagabond. Oui, je vous jure que sous ces vêtements de pauvre, sous cet aspect repoussant et sinistre, il y a un honnête homme, monsieur, et cet honnête homme vous implore à genoux.

Et, en disant ces mots, l’inconnu joignit ses mains sur le bord de la table et y appuya son front pâle.

Armand le contempla un instant avec attention.

Il se sentait ému: Néanmoins, il ne voulait pas se laisser entraîner. Il essayait de rester froid devant cette douleur qui pouvait n’être qu’une comédie bien jouée.

Il avait été élevé dans un tel respect de la magistrature, le souvenir de son père restait devant ses yeux comme une si haute personnification de l’inflexible justice, qu’il ne pouvait admettre la possibilité d’une erreur judiciaire.

L’inconnu se leva et regarda fixement le jeune avocat. Il lut dans ses yeux le doute, ou tout au moins la défiance.

Il poussa un soupir et secouant sa tête, qui était toute blanche:

–Ah! monsieur, dit-il avec découragement, les malheureux ont bien de la peine à inspirer confiance!. D’ailleurs, reprit-il, je n’ai jamais douté des difficultés que je rencontrerais. Je sais que tous les criminels se disent innocents. Au bagne, mes compagnons juraient que les juges s’étaient trompés en les condamnant.

–Je le sais, dit Armand d’un air qui signifiait qu’il se tenait en garde contre une trop facile confiance.

–Mais je vous jure qu’ils se sont trompés pour moi, s’écria l’inconnu. Je vous jure, monsieur, que je suis un innocent, un malheureux, et que j’ai droit à votre pitié.

–Eh bien! racontez-moi votre histoire, dit Armand en se renversant dans son fauteuil.

Un cas de folie

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