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IV

–Mon histoire, la voici en deux mots, dit l’étranger après s’être recueilli quelques instants:

Mes parents étaient de fort honnêtes gens de ce pays, mon père s’appelait Pierre Torquenié.

–Vous êtes Jean Torquenié! s’écria Armand.

–Oui, fit l’inconnu avec surprise… vous me connaissez?

–J’ai entendu parler de votre histoire, qui a fait du bruit autrefois, dit le jeune avocat en quittant sa pose indifférente. Vous avez assassiné le vicomte de Mortrée et vous avez empoisonné votre femme…

–Oui, c’est pour cela que j’ai été condamné, fit l’homme avec amertume. Si vous connaissez cette histoire, il est inutile que je vous la raconte.

–J’en connais, en effet tous les détails, dit Armand.

Et, après un silence, il reprit:

–Je vous préviens même que vous aurez grand’peine à me prouver votre innocence; car je sais mieux que personne que cette affaire a été admirablement instruite, que le juge a bien fait son devoir et qu’il a obtenu du coupable des aveux complets.

–Le juge!. s’écria l’homme en s’agitant tout à coup d’une façon extraordinaire. Le juge!. Ah! monsieur, si vous saviez quel était l’homme qui m’a interrogé!. Si vous saviez les tortures qu’il m’a infligées. oui, les tortures, entendez-vous. Et pourtant, je me suis défendu, j’ai résisté, j’ai lutté. Mais que voulez-vous que fasse un malheureux qui souffre pendant six mois dans le secret d’une prison, qu’on accable de mauvais traitements, qu’on interroge tous les jours, en le retournant de toute façon, jusqu’à ce qu’il perde la tête. Ah! si les murs de la prison avaient pu parler! Si les jurés avaient assisté, dans ce cabinet sombre que je revois encore, que je n’ai jamais cessé de revoir à toute minute de ma misérable vie, s’ils avaient assisté à ce qui se passait entre moi et le bourreau qui m’interrogeait,–on comprendrait comment, à bout de forces, j’ai pu avouer, quoique innocent, inventer un crime que je n’avais pas commis, me livrer enfin sans défense, affolé de douleur, ayant presque perdu la raison!…

–Taisez-vous, malheureux, dit Armand avec un mouvement d’indignation. Je ne souffrirai pas que devant moi vous insultiez votre juge!

–Ah! vous êtes sans pitié, s’écria Jean Torquenié en se tordant les mains, vous me chassez, vous refusez de m’entendre… C’est bien, monsieur, acheva-t-il en se levant, j’irai chez un autre homme de loi… On m’avait dit que vous autres avocats, vous étiez des cœurs généreux; que, quand un homme venait vous supplier de le défendre en vous démontrant son innocence, vous ne refusiez pas de lui prêter votre appui. Lorsqu’en sortant du bagne, je me suis mis en route pour demander justice aux hommes qui m’ont condamné, je ne me doutais pas que le premier obstacle viendrait de celui dont la mission est de défendre les malheureux.

Jean Torquenié dit cela avec une sorte de dignité souffrante qui avait quelque chose de très émouvant. Mais Armand semblait de pierre. Ce jeune homme, dont le cœur était plein de générosité, qui avait toujours rêvé le dévouement, qui n’avait embrassé cette profession d’avocat que dans le beau désir de donner à sa vie un but utile, restait comme un marbre devant l’homme qui l’implorait.

Évidemment, pour qu’il se montrât aussi inexorable, il fallait qu’il eût des raisons bien puissantes d’être convaincu que cet homme mentait.

–Adieu, monsieur, dit ce dernier d’un ton d’indicible douleur.

Armand détourna les yeux avec une sorte de dégoût.

Mais tout à coup l’homme, prêt à partir, s’arrêta brusquement.

Un cri sortit de sa gorge, il étendit le bras vers un portrait qui était suspendu contre un panneau dans un cadre sombre et parut agité d’une émotion extraordinaire.

–A! le voilà, le voilà! s’écria-t-il, le misérable qui m’a torturé, qui m’a déshonoré, qui a perdu ma vie, qui a peut-être tué mon enfant!… A! le bourreau! puisse-t-il vivre encore!…

En disant ces mots, il adressa au portrait un geste d’effrayante menace.

Mais Armand s’était élancé sur lui et, lui saisissant le bras qu’il serra avec force.

–Silence, misérable! s’écria-t-il, livide de colère.

Et mettant sa robuste main sur l’épaule de Jean Torquenié, comme s’il eût voulu le contraindre à s’incliner devant celui qu’il venait d’outrager:

–Cet honnête homme était mon père! s’écria-t-il avec feu.

L’ancien forçat se dégagea de cette étreinte et, regardant le jeune homme en face:

–Votre père!… s’écria-t-il avec une sorte d’égarement… Ah! il est mort?… C’est bien… Je comprends maintenant pourquoi vous m’avez repoussé, pourquoi vous avez été dur pour moi… Vous êtes cruel comme votre père… Ah! soyez maudit comme lui!

Torquenié adressa au portrait un dernier geste de rage et sortit à grands pas, comme un fou, sans se retourner.

Un cas de folie

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