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VII

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En rentrant, il trouva sur sa table un volume contenant la Gazette des Tribunaux de l’année 1847.

Cette histoire l’intéressait trop maintenant pour qu’il ne voulût pas en connaître immédiatement tous les détails.

Il commença donc sans tarder la lecture des débats de l’affaire Torquenié, jugée en1847, par la cour d’assises de Rennes.

Voici quel était l’acte d’accusation:

«Le25avril, à cinq heures du matin, un charretier de Bourrée, qui se rendait à Bonnières, trouva dans un fossé de la route, près de l’endroit appelé le Trou du chat, le cadavre d’un jeune homme qu’il reconnut aussitôt pour le vicomte Marcellin de Mortrée.

» Le charretier mit le cadavre sur sa voiture et le transporta à Bonnières. La justice, aussitôt prévenue, fit les constatations légales. Le corps était vêtu d’un pantalon et d’une chemise. Un de ses pieds était nu, l’autre chaussé d’un soulier dont les lacets étaient dénoués.

» Il n’avait sur lui ni bijoux ni argent. On trouva seulement dans l’une des poches de son pantalon un petit livre relié en bleu: un volume de roman.

» Il avait été frappé au front d’un coup de feu qui avait dû occasionner une mort immédiate. Le projectile fut retrouvé dans la plaie. C’était une balle ronde comme celles des anciens fusils de munition de fort calibre.

» Ce que l’on connaissait de la vie et des habitudes du jeune vicomte Marcellin excluait toute idée de suicide. Resté orphelin de bonne heure, possesseur d’une grande fortune, il avait tout ce qui peut rendre l’existence facile et heureuse. Son caractère était, il est vrai, assez bizarre. Il avait une façon de vivre, de s’habiller, de parler qui étonnait parfois ceux qui n’étaient pas dans son intimité. Mais rien ne pouvait faire supposer qu’il eût quelque motif d’attenter à ses jours. Enfin, on n’a trouvé auprès de son corps aucune arme ayant pu servir à commettre un acte de désespoir, et le lieu où il a été découvert ainsi que le désordre de ses vêtements, achevaient d’éloigner toute supposition d’une mort volontaire.

» Il était donc bien évident que la justice se trouvait en présence d’un crime. Restait à déterminer la façon dont le meurtre avait été commis et à découvrir l’assassin.

» Une longue et difficile instruction a permis d’arriver à ce double résultat.

» Le plan du terrain, où le corps du vicomte de Mortrée a été trouvé, fut soigneusement relevé. Le corps gisait dans une partie de la route assez découverte. Un peu plus loin, commençaient des taillis formant ce qu’on nomme le Bocage et placés plus haut que le chemin. Ces taillis furent examinés. On découvrit dans un buisson plusieurs branches brisées, comme si à cet endroit quelqu’un avait fait un effort pour passer.

» Il était facile de reconstituer la scène du meurtre. L’assassin avait dû se placer dans ce fourré pour attendre la victime. Le vicomte de. Mortrée avait été tué au moment où il franchissait le fossé. Un de ses pieds était encore engagé dans les ronces du talus et la tête avait été plonger dans le ruisseau. Des recherches minutieuses amenèrent la découverte, dans un champ voisin, du soulier qui manquait à l’un des pieds du jeune vicomte. Il devenait évident qu’il avait dû fuir précipitamment à travers champs, à peine vêtu, et qu’il avait été tué dans cette fuite. L’inspection du cadavre fit supposer que la mort remontait à une heure environ. C’était donc vers quatre heures du matin que le vicomte de Mortrée avait été tué.

Mais d’où venait-il? Pourquoi courait-il dans la campagne à cette heure matinale? Qui pouvait avoir intérêt à l’assassiner?

» Le comte Marcellin de Mortrée vivait très retiré au château des Marnes. Depuis la mort de ses parents, survenue alors qu’il était encore tout jeune, son caractère avait pris une teinte de profonde mélancolie. Il demeurait étranger aux plaisirs de son âge. Les écuries et le chenil du château restaient vides. C’est à peine si parfois on le rencontrait monté sur un petit cheval noir plein de feu. Il allait le plus souvent au pas, la tête penchée, l’air triste. Parfois aussi on le voyait passer à travers les landes désertes, qu’il parcourait d’un galop furieux, comme s’il eût senti le besoin de calmer par cet exercice violent des idées trop exaltées ou des passions trop ardentes.

» Un jour, dans une de ces courses folles, il lui arriva un accident. Son cheval buta contre une touffe de genêts, il perdit les étriers et fut projeté si violemment en avant qu’il se cassa le bras. Le garde-chasse du comte de Trémeillan le trouva une heure après à demi évanoui dans la lande. Il appela deux ou trois paysans qui passaient et, comme on se trouvait plus à proximité du château d’Albrays que de celui des Marnes, le garde-chasse fit conduire le blessé chez lui. Il habitait une petite maison, située près de la grille du parc. Le vicomte de Mortrée resta deux jours chez le garde-chasse, puis, lorsque le premier pansement fut fait, on le transporta à son château.

» Quand il fut guéri, il alla voir le garde-chasse pour le remercier. On remarqua que, depuis, ses visites furent assez fréquentes. Autrefois, dans ses promenades, il n’approchait jamais du château d’Albrays. Personne ne s’en étonnait dans le pays, car on savait qu’une haine profonde séparait les deux familles de Mortrée et de Trémeillan. Maintenant, au contraire, on rencontrait souvent le vicomte Marcellin sur la partie de la route près de laquelle s’ouvrent les avenues du château d’Albrays. On le voyait disparaître parfois sous les profonds ombrages du parc.

» Les paysans qui travaillaient dans les champs et les petites gens du pays ne furent pas les seuls à remarquer les promenades plus fréquentes de Marcellin de Mortrée et la direction nouvelle qu’il leur donnait.

» Le garde-chasse qui l’avait recueilli se nommait Jean Torquenié. C’était un jeune homme de vingt-quatre ans environ. Il avait épousé, deux années auparavant, une jeune fille d’une remarquable beauté, dont il était très épris, et qui était la sœur de lait de la comtesse de Trémeillan. Torquenié, d’un caractère jaloux et violent, n’avait pas tardé à voir avec un secret déplaisir le jeune vicomte venir rôder du côté du château. Une ou deux fois, alors qu’il partait pour ses tournées matinales, il avait rencontré Marcellin de Mortrée.

» Un jour qu’il était rentré chez lui plus tôt que de coutume, il avait même aperçu le cheval du vicomte attaché à une haie près de sa maison, et, en entrant dans la cuisine, il avait trouvé le jeune homme assis devant la cheminée. Marianne, sa femme, préparait du vin chaud au vicomte, parce qu’il avait été surpris par la pluie et que ses habits étaient mouillés. Au moment où Torquenié était entré, il avait remarqué un geste de surprise de sa femme, et un mouvement de dépit du vicomte Marcellin, et, après le départ de ce dernier, il avait vivement reproché à Marianne d’avoir reçu ce jeune homme chez elle.

» Le caractère de Marianne Torquenié pouvait justifier jus qu’à un certain point les appréhensions du garde. Elle était excessivement jolie, et, de plus, très légère et très coquette. Avant son mariage, elle avait eu plusieurs intrigues qui avaient quelque peu compromis sa réputation, si bien que, lorsque Jean Torquenié annonça l’intention de l’épouser, ses parents firent pendant quelques mois une vive résistance avant de consentir au mariage.

» A partir du moment où le vicomte de Mortrée commença ses fréquentes visites du côté du parc de Trémeillan, il fut facile de voir que le caractère et les manières de Jean Torquenié changèrent. Il avait toujours eu une nature très vive. Il se montra plus irascible encore. Il s’emportait contre sa femme en reproches amers, mais sans oser toutefois faire une allusion directe aux visites du vicomte Marcellin. Il se plaignait de la froideur de Marianne. Il prétendait qu’elle ne l’avait jamais aimé. Un jour, un homme de Bourrée le trouva dans le chemin de la forêt. Il avait son fusil entre ses jambes et se cachait la tête dans ses deux mains. Interpellé par cet homme, il leva son visage et le paysan remarqua que ses yeux étaient remplis de larmes de rage. Il lui demanda en plaisantant ce qu’il avait. D’un ton farouche, Jean Torquenié enjoignit à l’homme de continuer son chemin.

» Quelques instants après, une vieille femme qui allait faire du bois passa près de lui. Elle remarqua aussi l’air sombre de Torquenié et, le plaisantant, elle lui dit:

»–Eh! Jean, qu’est-ce que tu attends? Est-ce un lapin ou un vicomte?

» Il se redressa furieux et, étreignant son fusil, il répondit en frappant la terre du pied:

»–Ton vicomte, je voudrais le voir là-dessous, mauvaise vipère.

» Enfin un autre témoin, Pierre Desplas, tondeur de chevaux, étant venu travailler au château, fut logé pendant quelques jours dans la maison du garde. Il couchait dans une chambre au-dessus de celles des époux Torquenié et fut réveillé la nuit par une altercation violente qui s’éleva entre eux. Il n’entendit pas bien toutes les paroles qu’ils échangèrent. Mais il a affirmé que Torquenié était dans un tel état de fureur qu’il poussait des hurlements semblables à ceux d’un loup.

» Il disait que sa vie serait désormais un tourment de "tous les jours, qu’il ne pouvait plus supporter la froideur et l’indifférence de Marianne, e, qu’elle le trompait, qu’elle le martyrisait et que, si cela durait, il ferait un mauvais coup. Le témoin a confirmé par serment l’exactitude de ces dernières paroles, qui ont été répétées à deux reprises.

La jalousie de Jean Torquenié était connue de tout le pays. Aussi quand le vicomte de Mortrée fut trouvé assassiné, un matin, sur la route, une vague rumeur désigna Jean Torquenié comme pouvant bien être l’auteur du crime.

» La justice hésita pourtant quelques jours avant de suivre les indications de l’opinion publique. Les antécédents de Jean Torquenié étaient bons. Le comte de Trémeillan avait toujours rendu justice à la probité et au dévouement de son garde. Il est vrai que, dans le pays, –son humeur brusque lui avait fait peu d’amis; mais l’extrême sévérité qu’il déployait à l’égard des braconniers pouvait contribuer à éloigner de lui bien des gens.

» Cependant la rumeur publique fut bientôt si forte, elle accusa si hautement Torquenié que la justice dût diriger son enquête de ce côté. Quinze jours après le crime, une perquisition fut faite chez le garde du comte de Trémeillan.

» Marianne était au lit avec une fièvre violente, soignée par une des vieilles servantes du château surnommée la Terreuse.

» Jean Torquenié était absent.

Le juge prit la Terreuse à l’écart.

»–Depuis combien de temps Marianne a-t-elle cette fièvre? demanda-t-il.

»–Depuis quinze jours à peu près. Ça lui a pris tout d’un coup au matin. Elle a donné à tout le monde de grandes inquiétudes.

» Cette femme fut invitée à mieux préciser le jour auquel remontait la maladie de Marianne. Après avoir cherché dans ses souvenirs, elle indiqua le26avril au soir, le lendemain, par conséquent, de la mort de Marcellin de Mortrée. Les armes du garde furent examinées. Les trois fusils de chasse qu’il possédait étaient de trop petit calibre pour contenir la balle qui avait frappé le jeune vicomte. Mais on trouva au fond d’une armoire une carabine courte au canon de laquelle le projectile s’adapta parfaitement et qui avait encore une forte odeur de poudre.

» Marianne n’avait pas semblé entendre ce qui se passait autour d’elle ni comprendre le but des perquisitions opérées chez le garde. Elle parut trop faible pour être interrogée.

En ce moment, Jean Torquenié rentra. En apercevant les magistrats, il pâlit vivement. Un cri de surprise sortit de ses lèvres. Le procureur du roi lui dit le soupçon qui pesait sur lui et l’engagea à se justifier en donnant l’emploi de son temps pendant la nuit du 24avril. Le garde tomba sur une chaise, mit sa tête dans ses deux mains et ne répondit pas. On lui représenta la carabine trouvée dans l’armoire, en lui faisant remarquer que la balle qui avait tué le vicomte Marcellin était exactement de même calibre.

» Il affirma seulement qu’il ne s’était pas servi de cette arme depuis deux ans et que, la dernière fois qu’il l’avait employée,–c’était pour tuer un loup,–il l’avait soigneusement nettoyée. Il n’expliqua pas comment elle se trouvait maintenant noire de poudre. On lui demanda de montrer les balles dont il se servait pour cette carabine. Il dit qu’il ne savait ce qu’elles étaient devenues.

» Quant à l’emploi de son temps pendant la nuit du25avril, il ne put donner à cet égard aucune indication précise. Il affirma seulement que les quelques tournées de nuit qu’il avait faites depuis quinze jours s’étaient toutes terminées bien avant le matin.

» Les réponses embarrassées de cet homme, ses explications insuffisantes et cette grave découverte faite chez lui de l’arme qui semblait avoir servi à commettre le crime, confirmaient les soupçons que faisaient peser sur lui tous ceux qui connaissaient son caractère ombrageux et violent.

» Cependant les preuves n’étaient pas assez certaines pour qu’il fût possible de commencer une instruction criminelle. Il fallait, d’ailleurs, attendre que Marianne fut rétablie pour l’interroger. Pendant ce temps, la justice fit une nouvelle enquête et dirigea de tous côtés ses actives recherches afin de retrouver l’assassin du vicomte Marcellin.

» Sur ces entrefaites, Marianne Torquenié mourut. Il était difficile d’admettre qu’elle eût succombé à la fièvre, peu grave en somme, qui depuis trois semaines la tenait au lit. Cette mort subite et qui ne paraissait pas naturelle, attira encore sur la maison du garde l’attention du public et celle de la justice. Jean Torquenié, craignant les révélations de sa femme, n’avait-il pas supprimé par un nouveau crime un témoin dont la déposition aurait pu être accablante?

» On fit l’autopsie du corps. Le médecin délégué à cet effet conclut formellement à l’empoisonnement par le phosphore. Le corps était positivement imprégné de cette substance toxique. La malheureuse femme avait dû en absorber des quantités considérables.

» Cette fois, il n’était plus possible d’hésiter. Qui pouvait avoir intérêt à ce crime, si ce n’est Jean Torquenié? Il fut arrêté et conduit à Rennes.

» Pendant de longues semaines, il continua à nier son double crime. Il reconnut que les visites fréquentes du vicomte de Mortrée lui donnaient de l’ombrage, mais qu’il était sûr que Marianne était innocente et que, fût-elle coupable, jamais il n’aurait eu la lâcheté de tuer un homme désarmé comme on tue un gibier au coin d’une haie et d’empoisonner une pauvre femme qu’il aimait tendrement.

» Il persista pendant longtemps dans ce système de dénégation absolue.

» Enfin, un jour, tourmenté sans doute par le remords, il demanda à être conduit devant le juge qui était chargé d’instruire cette difficile affaire. Là, il fit des aveux complets. Il se reconnut coupable du meurtre du vicomte Marcellin de Mortrée. Il dit que la jalousie l’avait poussé à se débarrasser de lui. Il avoua enfin qu’il avait empoisonné sa femme avec du bouillon dans lequel il avait jeté des boules de phosphore qui servaient à détruire les rats et les mulots.

» En conséquence, etc.

Un cas de folie

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