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II
AVENTURE NOCTURNE.

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Table des matières

–Tu crieras «Vive la Messe!» et «Vive le Pape!» ou tu seras baptisé à neuf avec la bonne bière que voici!

–Qu’est-ce à dire, maroufles? Allons, au large! sinon je vous fais pendre à votre rentrée au château!

–Oh, oh! voilà un jeune merle qui siffle bien haut!

–Il insulte les troupes de S.M. Catholique!

–Apprends que la potence est faite pour les hérétiques de ton espèce!

–Sus au butor!

–Mettez à l’air les tripes de ce porc!

–Haro sur le parpaillot!

–Mort au suppôt du diable!

Une douzaine d’épées, tirées à l’instant du fourreau, formèrent comme un buisson lumineux dans la zone éclairée par les fenêtres de la taverne du Roi de Castille; l’homme ainsi provoqué, se débarrassant de son manteau, s’était lestement adossé à la muraille pour éviter d’être entouré et avait dégainé à son tour sans daigner répondre un mot de plus. Mais, autant que la pénombre où il se trouvait permettait d’en juger, il ne semblait pas de carrure à soutenir longtemps un assaut qui eût exigé la force d’un hercule, et l’issue de l’aventure n’était guère douteuse. Les brutales exclamations de triomphe qui se mêlèrent presque aussitôt au froissement des épées et aux jurons des assaillants indiquèrent, en effet, que leur victime était déjà touchée. Le gentilhomme continuait à ferrailler avec adresse et vigueur, mais l’affaire s’était engagée dans des conditions trop défavorables pour que sa résistance pût se prolonger longtemps; il sentait ses forces fuir avec son sang et s’attendait à recevoir d’instant en instant le coup de grâce, lorsqu’un choc d’une violence extrême dispersa tout à coup le groupe de ses persécuteurs, culbutant les uns dans la fange du ruisseau, refoulant les autres, qu’une grêle de coups fit battre en retraite sous l’arcade du cabaret, tandis qu’une voix sonore s’élevait dans l’obscurité:

–Holà, mes maîtres! douze contre un, n’avez-vous pas honte?

Alors, on vit, sous les fenêtres de la taverne, debout, campé en pleine lumière, les bras croisés, un homme de proportions athlétiques. Il était seul, sans manteau, vêtu d’un justaucorps de cuir, et coiffé d’un feutre à larges bords; à son côté pendait une longue et lourde épée qu’il n’avait point jugé utile de tirer du fourreau.

–Quel est ce rustre? s’écrièrent les soudards, qui se remirent de leur panique quand ils ne virent en face d’eux qu’un ennemi solitaire. A la rescousse!

–Si c’est du fer qu’il vous faut, répondit l’inconnu sans s’émouvoir et en faisant simplement un geste de la tête, j’en ai là pour tout le monde: chacun sait que La Rapière n’a jamais manqué à sa clientèle!

–La Rapière! répétèrent les soldats,–et ce nom refroidit visiblement leur ardeur; quelques-uns rentrèrent en se frottant les côtes, les autres rengaînèrent en murmurant des explications qui rappelèrent l’attention du nouveau venu sur celui que son intervention avait dégagé à point.

–Êtes-vous blessé, monsieur? lui dit-il en s’approchant.

L’homme n’avait point bougé; il s’accrochait plutôt qu’il ne s’adossait à la muraille.

–Dieu me pardonne, c’est monsieur du Harnel!

–Lui-même, qui vous a toute sorte d’obligations de l’avoir tiré des mains de ces drôles. mais qui ignorait jusqu’à présent que Pierre Lardinois et La Rapière ne fissent qu’un.

–Gardez cela pour vous, messire. Il n’est pas utile que le secret de cette dualité transpire: l’épée du bretteur ferait tort à l’aune du drapier.

–Je vous dois la vie, je serai discret.

–Votre parole me suffit. Voyons les crevés de votre peau… Appuyez-vous sur moi et approchons des fenêtres… Bien!… Deux estafilades au bras; ceci n’est rien… Une entaille dans les côtes, c’est plus sérieux; mais elle a bien saigné, votre pourpoint en est tout mouillé. Il faut vérifier cela. Le logis de Matapan est à deux pas d’ici et je m’y rendais: pourrez-vous marcher jusque-là?

–Je l’espère, et cependant la tête me tourne.

–C’est l’effet de la saignée; mais alors pas de mouvements, et laissez-moi faire!

Le robuste bourgeois enleva le blessé dans ses bras, comme s’il se fût agi d’un enfant, et, s’éloignant à grands pas, disparut avec son fardeau dans les ténèbres d’une ruelle voisine, pendant que les soudards reprenaient leur orgie autour des tables du Roi de Castille.

Le lieu témoin de cette algarade était un des endroits les plus mal famés de Lille, appelé la place Comines, et sis en un quartier séparé du reste de la ville par un canal boueux bordé de noires bicoques servant d’usines à des teinturiers. Un des ponts étroits qui franchissaient l’eau formait l’une des issues de ce carrefour, lequel constituait ainsi un chemin de traverse pour gagner un autre quartier mieux habité, celui de l’Abbiette, où se tenaient, disait-on, les conciliabules des protestants. Le sire du Harnel, qui était «de la vache à Colas», comme on disait alors, habitait l’Abbiette; c’est ce qui expliquait sa présence dans ces parages et la malheureuse inspiration qui avait failli le conduire au ciel par la plus courte voie.

Il faut dire qu’on était alors au mois de septembre1572, et que la nouvelle des massacres qui venaient d’ensanglanter la France, en se répandant partout, avait surexcité les haines religieuses et les passions politiques au lieu de les éteindre. Le contre-coup de ces sombres évènements s’était fait très vivement sentir dans les Flandres: bien que les Pays-Bas ne relevassent point à cette époque de la couronne française, la propagande réformiste n’y était pas moins active qu’ailleurs, et les antagonismes religieux s’y compliquaient de rivalités locales avivées et entretenues par les divers partis qui convoitaient la possession d’une si riche proie. Il y avait, notamment, la faction espagnole qui représentait le pouvoir légal et régulier, le comte de Flandre n’étant autre que S.M. Catholique; il y avait le parti du prince d’Orange, lequel tenait pour la religion réformée; il y avait aussi le parti français, peu regardant sur la question de doctrine, mais désireux avant tout de renouer la vieille tradition et de retourner à la suzeraineté du roi de France en décernant le comté de Flandre au duc d’Alençon; enfin, à Lille même, deux autres partis moins nombreux, mais tout aussi remuants, commençaient à se manifester: l’un, patronné par le Magistrat lui-même, prétendait tenir la ville et la châtellenie en dehors des luttes du moment, qui paralysaient le commerce, et en faire une sorte de territoire neutre; l’autre, celui des Malcontents, composé surtout de nobles irrités de ne plus avoir de sécurité dans leurs propres châteaux, ne parlait de rien moins que de tenir la campagne et de frapper indistinctement sur tous les assaillants.

Les choses étant ainsi, il n’y avait donc pas lieu de s’étonner si la ville, naguère paisible après le soleil couché, présentait sur certains points l’aspect tumultueux et vibrant qui est comme le prélude des guerres civiles.

La place Comines, sorte de carrefour interlope et biscornu où aboutissait un écheveau de ruelles borgnes, était l’un de ces endroits-là, par la raison qu’il était peu hanté par les sergents de la prévôté, qu’il était aussi facile à défendre que favorable à l’escapade, qu’il était enfin amplement pourvu de tavernes et de ribaudes.

On avait mené grand train, ce soir-là, au Roi de Castille, l’un des vide-pots préférés des mercenaires espagnols qui tenaient garnison dans le château au nom du roi Philippe. De loin on voyait les quatre petites fenêtres cintrées du cabaret flamboyer comme des étoiles jaunes dans l’obscurité de la nuit; et à mesure que l’on approchait, on distinguait derrière le réseau de plomb du vitrail les détails caractéristiques d’une orgie soldatesque, agrémentée de refrains bravaches et gaillards.

La vogue du Roi de Castille semblait avoir effarouché pour le moment ses concurrents, car les autres cabarets de l’endroit, hermétiquement clos, étaient déjà plongés dans le sommeil mélancolique des auberges sans clientèle; seule, une lanterne lointaine piquait d’une paillette rougeâtre la brume qui commençait à s’élever des canaux voisins: elle brûlait silencieusement au bout d’une potence de fer, au fond de la cour des Reigneaux, ruelle qui débouchait à côté de la taverne espagnole, et servait d’enseigne à un établissement bizarre, objet d’horreur pour les bourgeois paisibles, lieu fameux parmi les hommes de guerre, les jeunes gentilshommes, les miliciens convaincus, les coupe-jarrets, malandrins et truands de tout acabit: c’était la salle d’armes de Matapan, le plus illustre spadassin de toutes les Espagnes, que l’on considérait généralement comme un espion à demeure, envoyé de Madrid à Lille pour une foule de raisons étrangères à l’art de l’escrime.

Spada la Rapière

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