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IV
EXPLICATIONS

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Table des matières

Les illuminations intimes de la salle d’armes n’étaient guère moins délictueuses, aux termes des réglements de police, que l’audacieux luminaire qui brillait encore aux fenêtres du cabaret castillan, car le couvre-feu était sonné depuis plusieurs heures, lorsque maître Pierre Lardinois déboucha de la ruelle des Reigneaux, soutenant de son bras robuste les pas mal –assurés de son compagnon. Mais soit que le prévôt fermât volontairement les yeux sur certaines infractions, soit que ses agents ne se souciassent point de s’aventurer en ces régions dangereuses, soit enfin que les passions qui grondaient en ce moment eussent relâché la discipline communale, personne n’était là pour constater la contravention, et l’on entendait encore les voix avinées de quelques soudards retardataires beuglant à faux des refrains interrompus par des hoquets. C’était d’ailleurs tout ce que l’on entendait. Le reste de la ville semblait plongé dans un complet sommeil, et la lune, qui glissait curieusement sa face blême et joufflue entre les pignons dentelés de la halle échevinale et la flèche en poire du vieux beffroi, n’apercevait de toutes parts que maisons aux yeux clos.

–Monsieur, dit le je bourgeois après s’être assuré d’un coup d’œil qu’il n’était point suivi, en échange du petit service que le hasard m’a permis de vous rendre tout à l’heure, je serais aise que vous m’accordassiez une explication franche sur un point qui me touche infiniment.

–A tout autre que l’homme qui m’a sauvé la vie, maître Lardinois, je refuserais net; mais à vous.

–Il suffit, monsieur le comte. C’est un paiement: soit, je l’accepte pour tel, et je vous présente mon compte. Depuis tantôt quatre ans que j’ai l’honneur de vous rencontrer régulièrement à l’hôtel de Beaurepaire, vous n’ignorez pas que les gens du quartier, et aussi les personnes de votre monde, ont répandu plus d’une fois le bruit de votre mariage avec l’une de mes sœurs de lait.

–En effet, mais…

–Veuillez me laisser achever, je vous prie. Depuis un an, c’est-à-dire depuis que la mort de monsieur le baron de Beaurepaire,–Dieu ait son âme!–a privé ses enfants de leur protecteur naturel, ces bruits, auxquels je n’avais jamais ajouté foi, ont pris une nouvelle consistance et l’on va jusqu’à dire que la dame douairière, votre tante, n’attend que l’échéance de ce triste anniversaire pour réaliser ses projets. Le hasard m’a fait entendre à l’instant une conversation qui semble ne plus laisser de doute à cet égard. Je désire savoir de vous-même si j’ai bien compris et s’il est vrai que votre mariage avec mademoiselle Anne de Beaurepaire soit chose décidée.

–C’est chose décidée.

–Du consentement de mademoiselle de Beaurepaire?

Le gentilhomme hésita.

–Répondez nettement, monsieur, vous l’avez promis!

–Il est vrai que mademoiselle de Beaurepaire a eu quelque peine à se déterminer, mais enfin.

–Bien. Je sais à quoi m’en tenir. Maintenant, monsieur, c’est à votre honneur de gentilhomme que je vais faire appel. Ecoutez-moi bien, car je n’ai pas coutume de parler à la légère et il s’agit ici de choses graves qui doivent influer en bien ou en mal sur l’existence de plusieurs personnes qui me sont chères, . et sur la vôtre aussi, monsieur. Madame la douairière,–dont Dieu me garde de mal parler,–poursuit avec une obstination aveugle des projets qu’elle a conçus depuis trop longtemps pour les envisager avec l’impartialité désirable, et dont elle serait, je n’en doute pas, la première à se repentir quand il serait trop tard pour y remédier. L’affection qu’elle vous a toujours portée a contribué à la leurrer et à l’empêcher de voir les choses comme elles sont. Votre union avec l’une des filles de son époux a été le but constant de ses efforts; elle serait déjà accomplie, si celui-ci n’y avait mis un obstacle que la mort a malheureusement écarté. Depuis un an, ces instances sont devenues une véritable persécution contre la pauvre Anne. Vous savez le reste. Mais ce que vous ignorez sans doute encore, c’est que mademoiselle de Beaurepaire aime mon frère Raoul et en est aimée, et que tous deux ont échangé des serments que Dieu a entendus.

–Enfantillages, maître Pierre, dont l’amour sérieux aura raison, et qui ne sauraient me faire renoncer au bonheur d’être l’époux d’une si charmante personne!

–Enfantillages! répéta Pierre d’une voix irritée, en croisant les bras sur sa poitrine et en s’arrêtant brusquement. Enfantillages! Par Notre-Dame, messire, vous n’êtes point chatouilleux, ou bien vous oubliez que ces «enfants» s’aiment depuis tantôt dix-neuf ans! Mais c’est là votre affaire. La mienne est de vous prévenir que vous allez commettre une félonie et causer de grands malheurs… Ces «enfants» s’aiment, vous dis-je, et devant Dieu le véritable époux d’Anne de Beaurepaire, c’est Raoul Lardinois!

–Et celui de la belle Magdeleine, sa jumelle, n’est autre que maître La Rapière, ci-présent, n’est-il pas vrai? risposta son compagnon avec ironie.

–Ceci me regarde seul, maître comte!

–De même que le soin de mon honneur et de mes intérêts me regarde seul aussi.

–Soit! Mais si vous persistez après ce que je viens de vous dire, j’aurai le droit de penser qu’il pourrait être en meilleures mains. Au reste, je sais ce que je voulais savoir, et… nous voici devant votre demeure. Dieu vous garde, messire, et surtout qu’il vous inspire!

Les deux hommes étaient alors dans la rue de l’Abbiette, devant une maison de confortable apparence, mais qui n’avait rien d’un hôtel, car le sieur du Harnel, bien que de bonne lignée, était loin de posséder une fortune princière comme celle de la fiancée qu’il convoitait. Ils échangèrent un froid salut, puis l’un heurta à sa porte, pendant que l’autre s’éloignait pensif.

Spada la Rapière

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