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VII
LE GUET-APENS.

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–Méfie-toi, mon fils! De mauvais bruits m’ont été rapportés par mes traîneurs d’épée, et tu sais si ma police est bien faite. Il y a quelque vipère sous roche, crois-en ma vieille expérience. La dame de Beaurepaire n’est pas femme à te pardonner tes menaces, tu en acquerras la preuve à tes dépens, si tu n’y prends garde. Oh! je ne parle pas du petit comte, tu ferais de son pourpoint un tamis, les yeux bandés; mais la dame est riche, le godelureau est traître, et le pavé de Lille ne chôme pas de bons drilles disposés à vendre du fer pour de l’or. Notre-Seigneur Jésus a été trahi pour trente écus, souviens-t’en, mon fils.

Ainsi parlait maître Matapan à son disciple favori, peu de jours après la scène violente dont l’hôtel de Beaurepaire avait été le théâtre.

L’aparté avait lieu à la tombée de la nuit, dans un angle de la salle d’armes encore déserte. Pierre semblait soucieux. Il connaissait le sérieux des avertissements de son maître, qui n’avait guère coutume d’intervenir dans les affaires d’autrui, si ce n’est pour les acheminer plus sûrement à quelque bon duel; et il savait que l’étrange affection née de l’enthousiasme professionnel de Matapan pour son plus brillant élève pouvait seule motiver l’exception faite en sa faveur. La situation méritait donc toute son attention, non qu’elle lui inspirât des craintes, mais parce que la machination dirigée contre lui indiquait à l’évidence que la douairière, loin de renoncer à ses projets, méditait les moyens de les mettre sûrement à exécution, fût-ce au prix d’un meurtre.

–Merci, maître, répondit-il en serrant la main de Matapan. Tant vaut l’avertisseur, tant vaut l’avertissement. Je serai sur mes gardes.

–Et bien tu feras.

Quelques habitués s’étant montrés dans la. cour, Pierre tira son masque de sa poche et s’en– couvrit le visage. Le maître se mit en devoir de revêtir la cuirasse de cuir noir dont il se servait lorsqu’il daignait enseigner lui-même, et la salle ne tarda pas à reprendre peu à peu son animation ordinaire.

Pierre, ou plutôt La Rapière,–car il n’était connu que sous ce pseudonyme de la clientèle de l’établissement,–avait fait merveille ce soir-là: il avait fertaillé seul contre deux, contre trois, puis contre cinq adversaires, et avec une telle supériorité qu’il avait eu un succès fou. Aussi, quand il se disposa à sortir, assez avant dans la nuit, son maître radieux vint lui serrer cordialement les deux mains en lui murmurant de nouveau à l’oreille:

–Ouvre l’œil!

Pierre l’assura par un geste d’intelligence qu’il n’avait point oublié son premier avis et lui montra une fine chemise de mailles qu’il venait de passer sous son vêtement, et une dague défensive appelée «main gauche» qu’il avait ajoutée à son épée favorite. Celle-ci était une arme qu’il avait fait forger tout exprès pour lui, avec des perfectionnements que lui avait suggérés sa passion et son expérience, de l’escrime. Les lames de bataille étaient alors uniformément longues, lourdes et mal équilibrées pour le combat à pied; Pierre s’était préoccupé de ces désavantages et avait réussi à les corriger. La lame qu’il avait inventée était plus longue encore que les autres, mais il l’avait combinée de telle sorte que tout le poids fût vers la base, dans ce que l’on appelle le talon de l’épée; vers le tiers de sa longueur, son fer, large et côtelé, se rétrécissait subitement, ce qui lui donnait de la légèreté sans lui rien ôter de sa force, et cette seconde partie, affilée des deux côtés, se terminait par une robuste pointe presque quadrangulaire et extrêmement aiguë. Telle était cette rapière par excellence, objet de l’admiration des fervents de saint Georges, qui avait valu à Pierre Lardinois son belliqueux surnom.

La protection de cette arme redoutable n’était point surperflue, comme on va le voir, car son propriétaire allait avoir, plus tôt qu’il ne le pensait, à recommencer avec des adversaires moins courtois les prodiges de force et d’adresse accomplis tout à l’heure avec les clients de Matapan.

Pensif et préoccupé de l’avenir, Pierre suivait à pas lents les bords de la fangeuse rivière qui séparait le quartier de l’Abbiette de celui de la Halle échevinale, lorsqu’il fut tiré de sa rêverie par un choc soudain. A cette heure nocturne et dans ces lieux ordinairement déserts, il venait d’être coudoyé violemment et avec une préméditation manifeste.

–Rustre! butor! s’écria l’homme qui l’avait heurté.

–Rustre et butor toi-même! répondit Pierre irrité. Tâche de surveiller ta langue en même temps que tes coudes si tu ne veux aller t’assurer là-dedans si les mixtures des teinturiers ont aussi bon goût que bon teint!

–C’est bien là langage de drapier… Gardez vos fanfaronnades pour vos pareils, maître Lardinois, à moins que vous ne préfériez vous réserver pour insulter les femmes!

–Ah1béni soit Dieu de vous avoir remis sur mon chemin, messire! Nous avons des comptes à régler ensemble.

–Moi! des comptes à régler avec vous? Vous vous gaussez, jeune homme! Je ne dois pas une aune de drap à votre respectable père, et quant à vous, de quoi vous mêlez-vous?

–Vous m’entendez fort bien, monsieur du Harnel...

–Allez au diable!

–C’est ainsi? En garde, donc!

–Oh, oh! Un guet-apens?

–En garde, vous dis-je, si vous n’êtes pas un lâche!

–Holà! à l’aide! On m’assassine!

«Voilà! voilà! tenez bon!» répondirent plusieurs voix, pendant que l’on entendait dans l’ombre le piétinement d’une course précipitée. Une demi-douzaine d’estafiers arrivaient, les uns par le bord de l’eau, les autres débouchant à point nommé de la ruelle de l’Éperon-Doré qui conduisait au centre de la ville, de manière à cerner les deux antagonistes. Pierre, se rappelant les recommandations du maître d’armes, avait déjà dégainé dague et rapière; mais son adversaire, qui en avait fait autant, loin de l’assaillir, se tenait soigneusement hors de portée, rompant coup sur coup pour donner à ses auxiliaires le temps d’arriver. Pierre, les sentant déjà sur ses talons, fit un bond en avant, allongea au juger une foudroyante estocade qui atteignit son antagoniste en plein corps, et par une série de voltes savantes vint faire face successivement aux deux groupes d’assaillants en s’écriant:

–Nous nous retrouverons, monsieur! Ceci n’est qu’un acompte!

Puis s’adressant aux sacripants qui l’attaquaient:

–Vous a-t-il payé cher, mes maîtres?

–Juste ce que vaut une peau de bourgeois, répondit l’un d’eux en lui poussant un traître coup dans les jambes.

–Alors, vous êtes volés! répliqua Pierre en ramassant le fer par un contre-en-cercle et en ripostant par une grêle de coups de pointe et de taille qui firent en un clin d’œil le vide autour de lui.

–Chargez, chargez, marauds que vous êtes! cria de loin le comte blessé, qui s’était assis sur une borne.

–Venez-y donc vous-même! repartit l’un des malandrins. Brambille, Simon et Carcassault sont déjà par terre… Il est enragé, ce bourgeois-là!

–Bon! Je te reconnais, toi, dit Pierre en continuant son assaut furieux; tiens, Lamberne, voilà les coupés que tu n’as jamais pu comprendre!

L’homme qui avait parlé tomba en disant:

–Trahison! c’est La Rapière!

Le sobriquet connu de tous les bretteurs fit son effet ordinaire: les deux derniers champions s’écartèrent d’un bond et abaissèrent leurs épées en demandant excuse.

–Le gentilhomme nous a trompés, alléguèrent-ils; sauf votre agrément, maître, il va payer sa tromperie. Un coup pour chacun des bons compagnons qui geignent là, est-ce trop?

–Non, ce n’est pas trop, répondit Lardinois, mais le félon m’appartient, il ne doit mourir que de ma main.

–Qu’il soit donc fait suivant votre désir, maître!

Et ils se mirent en devoir de secourir leurs blessés, pendant que le sire du Harnel s’éloignait péniblement en rasant les murs. Pierre rengaina et reprit la route de sa maison, l’œil au guet et la main sur la garde de son épée.

Un mois plus tard, les bonnes gens de la rue Esquelmoise apprirent une série d’événements simultanés qui défrayèrent pendant plusieurs semaines leurs commérages quotidiens du soir, sous l’auvent, à l’heure où on a coutume de se délasser des travaux de la journée par quelques propos intimes entre voisins. Ces évènements étaient de conséquence: d’abord le beau Pierre Lardinois avait disparu mystérieusement tout à coup, et, à la suite de cette disparition de son fils aîné, que tout chacun regardait comme son successeur naturel, le vieux Lardinois avait cédé son commerce et quitté la vieille maison gothique de ses pères pour aller vivre en paix dans un autre logis; la demoiselle Anne de Beaurepaire et le jeune Raoul Lardinois étaient entrés le même jour en religion, l’une au monastère dit «de la Noble-Famille», l’autre au grand couvent des Dominicains de la Basse-Rue. Et il n’était bourgeois ni compagnon, matrone ou fille qui ne déclarât que c’était là grand dommage, et qui n’attribuât à l’orgueilleuse douairière la responsabilité de ces fâcheux incidents,–ce qui prouve qu’il y a quelque chose de vrai dans le proverbe latin: Vox populi vox Dei.

Spada la Rapière

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