Читать книгу Histoire de la police de Paris : 1667-1844 - Horace-Napoléon Raisson - Страница 11
ОглавлениеPHILIPPE TESCHEREAU, SEIGNEUR DE LINIÈRES,
Cinquième lieutenant-général de police.
Il s’agissait de trouver un successeur à d’Argenson dans la charge dont il venait de se démettre. Cette nomination devint un sujet de discorde dans le conseil de régence. Philippe d’Orléans désirait avec ardeur qu’une de ses créatures demeurât à la tête de la police de Paris; le duc de Bourbon, d’un autre côté, excité simultanément par le duc de Villeroy, gouverneur du jeune Louis XV, et par l’abbé Fleury, son précepteur, tenait à ne voir élever à ce poste qu’un personnage connu par son dévoûment exclusif au trône et à l’héritier de la couronne. Plusieurs conférences eurent lieu sans qu’on pût s’entendre au sein du conseil. Les humeurs s’aigrissaient, les menaces commençaient à se mêler aux refus et aux demandes: ce que n’avaient pu faire l’abandon du pacte de famille, la ruine du système ni le mécontentement général, une simple nomination aux fonctions de lieutenant de police allait le déterminer, lorsque le duc d’Antin, choisissant, en habile conciliateur, un mezzo-termine, proposa pour candidat à cette place si enviée un homme qui devait convenir aux deux partis: c’était Jean-Baptiste Teschereau, seigneur de Linières. Il fut agréé, et le comte d’Argenson eut un successeur le 10 du mois de juillet 1720.
Teschereau appartenait à une honorable famille de robe. Lui-même, après de brillantes études au collège des Jésuites, s’était consacré avec ardeur à la connaissance des lois et n’avait pas tardé à se faire un nom au barreau. Le talent du jeune orateur avait attiré sur lui l’attention de la duchesse d’Orléans, mère du régent: elle avait voulu le voir et se l’était fait présenter. La facile élocution de l’avocat, son attitude réservée, le timbre flatteur de sa voix, avaient favorablement disposé la princesse en sa faveur, et elle voulut tout d’abord l’attacher à son service. Teschereau refusa cette faveur, et, comme la princesse insistait, «Daignez m’excuser, madame, dit-il d’un accent ferme et modeste, je me sens porté d’inclination à être toute ma vie le plus humble de vos serviteurs, mais je ne me pourrais jamais résoudre à être attaché à votre maison comme domestique.» La princesse n’était pas habituée à de tels refus: la réponse du jeune légiste, mi-athénienne et mi-spartiate, l’étonna cependant sans l’irriter. La duchesse d’Orléans était une Allemande fort vive, fort bavarde, fort médisante et fort vaine, mais bonne au fond, sensible, droite et plus éclairée qu’une princesse n’avait coutume de l’être alors. Après quelques momens de silence, elle se prit à rire en vraie folle, et tendant sa main à baiser à Teschereau, «Vous avez raison, Robin, lui dit-elle avec son accent tudesque, un homme de quelque valeur ne doit avoir pour maître que le roi. Je suis de votre avis, et je vous prouverai que vous venez de mériter une place dans mon amitié.»
Trois semaines après, Teschereau était nommé conseiller à la Cour des aides.
Ce fut dans cette position que la faveur du roi l’alla chercher pour le revêtir des fonctions de lieutenant de police; mais jamais le vers du poète,
«Tel brille au second rang,» ne reçut une application plus exacte. Orateur éloquent, magistrat éclairé durant la première partie de sa carrière, Teschereau devait se montrer, sous la nouvelle influence qui venait de changer sa fortune, sec, dur, hautain et plein d’àpreté. Il crut que le premier mérite d’un lieutenant de police était d’avoir l’abord sombre et sinistre; que ses qualités ordinaires devaient être une sévérité hargneuse, un puritanisme pédantesque. Il se figura que l’urbanité et l’élégance de mœurs, dont il avait été jusque là un modèle, devenaient incompatibles avec l’exercice de sa charge suprême; et, comme il arrive d’ordinaire, en voulant éviter ce qu’il considérait comme un écueil, il tomba dans l’excès et l’exagération de ce qui ne saurait jamais être une qualité. Teschereau se trompa; nombre de ceux qui l’ont remplacé sont tombés dans la même erreur. Toujours est-il qu’il se fit plus d’ennemis par sa forme dure et hautaine que par la sévérité des réglemens de police qu’il essaya de remettre en vigueur avec plus de zèle que de succès.
Teschereau eut un autre tort plus grave, ce fut de vouloir établir un système dans une immense machine dont le principal mérite est de n’en souffrir aucun. Le hasard, en effet, est le véritable dieu de la police: c’est pour son fronton que semble faite l’inscription diis ignotis, et les trésors qu’elle épand de ses mains impures n’ont servi jamais à prévenir ni à signaler une conspiration, depuis l’intrigue de Porto-Carrero, sous la régence, et la conjuration des Marmouzets, sous Louis XV, jusqu’aux conspirations au petit pied que nous voyons se renouveler incessamment de nos jours.
Teschereau voulut donc augmenter ses moyens d’action. Ses prédécesseurs avaient sagement parqué la délation aux deux rayons les plus éloignés de l’échelle, les gens de cour et les laquais, car, là il n’y avait rien à gâter; Teschereau s’appliqua à étendre la corruption de haut en bas; il voulut traiter les faubourgs de Paris comme Versailles, et mit toute son ambition à savoir ce que faisaient au même moment le roi voluptueux à l’Œil-de Bœuf et le misérable artisan dans son ménage, Teschereau rêvait la divinité dans la police.
Cette soif de tout savoir, de tout faire relever de son tribunal le força d’employer toutes sortes de gens; aussi fit-il dans tous les états une sorte de presse de délateurs, comme l’Angleterre fait dans l’urgence une utile presse de matelots. Sous les enseignes de la police, il enrôla des perruquiers et des chantres, des cochers de fiacre et des raccoleurs, des filles publiques, des portefaix, des commis, des chanteurs; il autorisa l’ouverture de lieux de prostitution, de tripots infâmes, de salles d’armes et d’une foule d’établissemens équivoques, où, comme en autant de souricières et d’observatoires, ses estafiers fixèrent leur domicile et attirèrent tout ce que Paris renfermait de vice et de corruption. Certes, tout cela était bien immoral, bien immonde; mais cela paraissait utile, on le disait, on le criait, et les gens simples ou irréfléchis finissaient par le croire. Comme si, pour empêcher la corruption, il était urgent de l’étendre! comme si l’on pouvait sans danger faire de la police homœopathique!
Teschereau, toutefois, fit quelques réglemens utiles, tant il est vrai qu’il est aisé au magistrat investi d’un grand pouvoir de se rendre recommandable par quelque institution protectrice; mais il fut loin de rendre à la cité les services éminens qu’elle avait reçus de ses prédécesseurs.
Dans ce rapide aperçu de la marche et des progrès de la police de la capitale, nous voici arrivés au règne de Louis XV ou plutôt au moment où le prince commence à se dégager des lisières qu’à tenues jusque là la main incertaine du régent (1722). Nous entrons dans une ère nouvelle, où se vont rencontrer à chaque pas des améliorations importantes et où les hommes investis de l’autorité de la police vont se montrer enfin plus que des magistrats, mieux que des édiles: des citoyens!