Читать книгу Histoire de la police de Paris : 1667-1844 - Horace-Napoléon Raisson - Страница 12
ОглавлениеRAVOT, SEIGNEUR D’OMBREVAL.
Sixième lieutenant-général de police.
Issu d’une de ces anciennes familles parlementaires dont les mœurs graves et austères opposèrent constamment une digue respectable et puissante au corrupteur élan des vices et des excès de la cour, Ravot, seigneur d’Ombreval, d’un caractère appliqué, sérieux et plein de douceur, avait terminé dès l’âge de seize ans ses études au collége que Louis XIV honore encore aujourd’hui de son grand nom: à vingt-et-un ans, il siégeait au Parlement de Dijon, et son amour pour l’étude, son dévoûment à ses devoirs, lui assignaient dès lors un rang distingué parmi la plus honorable magistrature. Dès lors, les passions et les écarts de la jeunesse semblaient avoir chez lui cédé aux honorables et rigides erremens dont sa famille lui fournissait tant de chastes et encourageans exemples.
Amené à Paris par quelques affaires d’importance, d’Ombreval, qui retrouvait à la tête des affaires les condisciples de sa jeunesse, vendit sa charge du Parlement de Bourgogne et se fit admettre à la Cour des aides: de là devait dater sa fortune. Il s’y fit remarquer tout d’abord par son savoir profond, ses connaissances variées et son amour du travail. Six mois après, il était conseiller d’Etat et second adjoint à l’importante intendance de Poitou.
D’Ombreval, au temps de ses exercices, avait été le camarade et l’ami du marquis de Maillebois; la fortune les avait depuis produits dans deux carrières diamétralement opposées. Petit-fils du grand Colbert, Maillebois avait jeté aux orties la robe et le bonnet d’avocat: il était lieutenant-général alors; plus tard il devait devenir maréchal de France. Par ses alliances, par son mérite, par sa position à la cour surtout, Maillebois disposait de beaucoup de suffrages; il avait, pour se servir d’une expression de l’époque, l’oreille du roi, et rien ne lui était plus facile que d’ouvrir un destin brillant au camarade de sa jeunesse. Il résolut d’étayer de son pouvoir un magistrat éclairé et consciencieux dans la route d’honneurs et de renommée trop souvent ouverte à l’impéritie et à l’intrigue; c’était, au res te, se souvenir noblement de son aïeul, que de faire tomber la faveur sur d’Ombreval: Colbert n’eût pas choisi un plus digne successeur à La Reynie.
Le comte d’Argenson avait repris vers ce temps, par une complaisance forcée de cour, les fonctions de lieutenant-général de police, résignées inopinément par Teschereau; il s’agissait de lui trouver promtement un successeur digne et capable. La cour jeta les yeux sur l’ami du marquis de Maillebois, et, le 28 janvier 1714, Ravot, seigneur d’Ombreval, fut nommé lieutenant-général de police.
Nourri de la lecture des grands auteurs de l’antiquité, Ravot d’Ombreval avait, dans sa conscience de magistrat, médité avec fruit Plutarque, Aristote et Platon; il voulut, dans la première place d’administration morale du royaume, réaliser les utopies qu’avaient fait naître en sa jeune tête les divins systèmes de la philosophie antique; il considéra l’époque où il vivait et la jugea bien: c’était une époque d’hypocrisie et de corruption, un temps de désorganisation morale et de dépravation politique; il osa penser qu’une ressource inconnue existait encore, et qu’il y avait possibilité peut-être d’introduire la réforme au corps social par en bas, c’est-à-dire par le peuple. Il se trompait, l’honnête homme, car les principes ne remontent pas: la vertu doit tomber de haut en bas, et ce sont les aristocraties qu’il faut régénérer quand on veut retremper les peuples.
Ravot donna une grande quantité de bons réglemens, imités la plupart des républiques grecques et romaine; ses consciencieuses tentatives n’eurent d’autre fruit, malheureusement, que de divertir les oisifs de la cour et d’exciter les allusions des mauvais plaisans de la ville. Pour mettre un frein à la licence des femmes de mauvaise vie qui pullulaient depuis la régence, on le vit puiser jusque dans les poudreuses annales de la cité, et faire revivre des ordonnances du prévôt de Paris des 8janvier 1414 et 6 mars 1419, dont le texte semblera sans doute curieux à nos lecteurs.
«Il est défendu à toute femme de vie dissolue de
» tenir maison ailleurs que dans les rues marquées
» par l’ordonnance de saint Louis, à peine d’être
» emprisonnée sur la simple dénonciation ou plainte
» de deux voisins ou de deux honnêtes femmes.
» Fait défense à toutes personnes de leur louer des
» maisons ailleurs, sur peine d’amende et de la perte
» des loyers, et à ces femmes de mauvaise vie, d’en
» acheter, sur peine de la perte de leur argent et
» des maisons. Ces mêmes réglemens font aussi défense
» à toutes personnes de se mêler de fournir
» des filles ou femmes, pour faire péché de leurs
» corps, sur peine d’être tournées au pilori, marquées
» d’un fer chaud et mises hors de la ville;
» et à toutes femmes dissolues, d’avoir la hardiesse » de porter à Paris ni ailleurs de l’or et de l’argent
» sur leurs robes, ni chapeaux, ni aucunes
» boutonnières d’argent blanches ou dorées, des
» perles, des ceintures d’or ni dorées, ni aucuns
» habits fourrés de gris, de menu-vair, d’écureuil,
» ni d’autres fourrures honnêtes. Leur fait aussi
» défense de porter des boucles d’argent à leurs
» souliers, le tout sous peine de confiscation et
» d’amende arbitraire. Ordonne que dans huit jours
» elles quitteront ces sortes d’ornemens; et après
» ce temps passé, enjoint aux sergens, sur peine de
» privations de leurs offices, de les arrêter en quelque
» lieu que ce soit, excepté dans les églises; de
» les amener en prison au Châtelet, pour leur être
» leurs habits ôtés et arrachés, et elles punies selon
» l’exigence du cas.»
Le nouveau règlement qu’il rédigea, en conservant toutes ces dispositions, ne servit guère qu’à augmenter le nombre des rieurs; celui des femmes perdues ne diminua pas, et de satiriques chansons furent adressées de toutes parts au magistrat qui voulait remettre en honneur la chasteté si peu de temps après la régence: il y avait anachronisme en effet.
Ce mauvais succès dans une partie si importante de l’administration qui lui était confiée ne découragea pas Ravot d’Ombreval. Un gentilhomme provençal avait été assassiné à la sortie d’un tripot dans une voiture de place: le lieutenant de police ordonna dès le lendemain qu’aucune espèce de voiture à deux ou à quatre roues, qu’aucune brouette, chaise à porteur, vinaigrette, etc., ne pourrait stationner à l’avenir sur la voie publique sans que son propriétaire eût obtenu une autorisation préalable, dont le prix, applicable aux hôpitaux, se trouverait représenté par un numéro placé sur la caisse de la voiture. On a beaucoup amélioré, depuis, la police et l’administration des voilures; mais ce n’en est pas moins à Ravot d’Ombreval que fut due cette amélioration, qui devait être la clé de toutes les autres.
Ravot pensait avec raison que l’appât des jeux de hasard, mis à la portée du peuple, est une source dangereuse de vices et de dépravation: il les défendit tous, et son rigorisme alla si loin qu’il enjoignit à ses exempts d’arrêter sur les boulevarts et jusque dans les fêtes foraines toute espèce de bateleurs exploitant un système quelconque de loterie, ceux même qui sur un cylindre garni d’une aiguille font tirer ce que le peuple appelle des oublies. Le maréchal de Richelieu, qui ne négligeait aucune occasion de ridiculiser la spartiate sévérité du lieutenant de police, disait assez plaisamment à ce sujet à Louis XV que d’Ombreval se montrait plus que jamais ennemi des plaisirs.
L’intention de Ravot d’Ombreval était, aux derniers jours de son administration, d’organiser un service de fanaliers, ou porteurs de fanaux. Cette création aurait pu sans doute produire d’utiles et précieux résultats, participante qu’elle aurait été du wachtmann et du constable; l’originalité, malheureusement, que l’on reprochait aux mesures du lieutenant de police depuis son réglement sur les filles et sa prohibition des plaisirs, entachait de ridicule ses intentions les plus sérieuses. Les merveilleux de l’Œil-de-Bœuf et les petits-maîtres de la place Royale brodaient incessamment à qui mieux mieux sur ce canevas fragile. Ravot d’Ombreval comprit que la toge du magistrat n’était plus chez lui environnée du respect sans lequel elle n’est rien qu’une vaine parade: il offrit au roi sa démission, et Louis XV l’accepta, non sans manifester le vif regret qu’il éprouvait de le voir s’éloigner d’un poste qu’il avait rempli avec de si droites intentions, une probité si sévère, et dans lequel il avait rendu d’éminens services par son exemple et son bon vouloir.
Ravot d’Ombreval fut décoré du cordon noir et se hâta de quitter Paris pour se retirer dans une délicieuse retraite qu’il avait acquise aux environs de la ville de Meaux. La Brie se nommait alors le Paradis des parvenus. Les financiers et les fermiers-généraux peuplaient cette heureuse province de palais et de somptueux châteaux. Ombreval, parmi ces habitations élégantes, fut dès lors renommé pour son luxe à la fois, sa magnificence et son exemplaire hospitalité.
Là, Ravot termina ses jours en philosophe et en sage, entouré d’un cercle d’amis de choix, colligeant une noble et vaste bibliothèque, sans souci des affaires publiques, sans regret des décevantes gracieusetés de cour et tenant pour devise constante l’inscription gravée au fronton de sa porte, toujours ouverte: Cor magis patet.