Читать книгу Le diable peint par lui-même - Jacques Collin de Plancy - Страница 10
CHAPITRE V.
ESPIÈGLERIES DE QUELQUES DÉMONS.
ОглавлениеNihil est, Quin malè narrando possit depravarier.
Térence.
Une bouche infidèle, en racontant un fait,Dans un tour de malice imagine un forfait.
—Un soldat, nommé Cadulus, avait habitude de faire dévotement ses oraisons dans l'église de son village. Un jour qu'il priait attentivement, le diable, qui se trouvait en belle humeur, voulut se donner le plaisir de le distraire, s'il était possible. Il se déguisa donc en valet; et, courant à la porte de l'église, il se mit à crier: Cadulus, les voleurs sont chez vous; ils emmènent votre cheval et pillent votre maison; accourez vite, si vous voulez sauver quelque chose… Cadulus ne se remua pas pour cela, pensant, en bon chrétien, qu'il valait mieux achever son oraison, que sauver sa fortune[78].
[78] Majus videlicet damnum deputans orationi cedere, quam sua perdere…
Le diable, étonné d'un pareil flegme, prit la forme d'un ours, grimpa sur le toit de l'église, fit un trou à la couverture, et se laissa tomber devant le nez de Cadulus, pour le troubler au moins par une bonne peur. Mais Cadulus resta immobile, et se moqua du diable à sa barbe. Puis, pour lui jouer à son tour une malice, il s'alla cloîtrer dans un bon monastère. Le diable s'efforça alors de le détourner de sa résolution, en lui criant aux oreilles: Cadulus, où vas-tu? que fais-tu, Cadulus? Le supérieur que tu choisis est un hypocrite; tu attends plus de beurre que de pain, tu auras plus de pain que de beurre; tu t'abuses d'une sotte espérance; tu fais là une niaiserie, Cadulus, etc. Mais, peine perdue, le pieux soldat se fit moine, et mourut dans le capuchon[79].
[79] Bollandi Acta Sanctorum, 21 aprilis. Eadmeri sanctus Anselmus.
—Le bienheureux Pierre le prêcheur, ayant rassemblé le peuple de Florence sur une place publique, se disposait à faire un long sermon touchant les mystères que la foi nous propose. Le diable, témoin invisible de ces saints préparatifs, eut la fantaisie de jouer un tour au saint homme. Il prit donc la forme d'un cheval échappé, et se mit à courir au grand galop vers la place que la foule remplissait, dans l'espoir de disperser les auditeurs, et de déranger, par un effroi subit, la mémoire du frère prêcheur. Mais Pierre ne se troubla point; et, voyant que la foule prenait la fuite, il s'écria: Ne craignez rien, mes frères, je prends sur moi le danger… En même temps il éleva sa main, et fit signe au cheval qu'il l'avait reconnu, et qu'il lui défendait de nuire à personne.
Le diable eut un pied de nez de se sentir découvert; cependant il avait pris un élan trop rapide pour pouvoir reculer. Il traversa donc la place, en passant sur la tête des hommes, sur le sein des femmes, en foulant aux pieds les épaules, les reins et le reste, mais avec une légèreté si miraculeuse, que personne n'en sentit rien. Après cela il disparut. Le peuple s'écria que Pierre avait donné à ce cheval la légèreté d'un coussin, qu'il avait changé ses fers en plumes de duvet; et le bienheureux frère, content d'avoir déjoué la malice du diable, reprit le fil de son sermon[80].
[80] Bollandi Acta Sanctorum, 29 aprilis. Ambr. Tægii B. Petrus mart. ord. prædic. cap. 3.
—Il y avait, dans une église de Bonn, un prêtre remarquable par sa chasteté, sa dévotion et sa bonhomie. Le diable se plaisait à lui jouer des tours de laquais; tellement que, lorsqu'il lisait son bréviaire, cet esprit malin s'approchait aujourd'hui sans se laisser voir, mettait sa griffe sur la leçon du bon curé, et l'empêchait de finir; un autre jour, il fermait le livre, ou tournait le feuillet à contre-temps. Si c'était la nuit, il soufflait la chandelle. Le diable espérait se donner le plaisir d'impatienter son homme; mais le bon prêtre recevait tout cela comme des tribulations, et gardait si bien son flegme, que l'importun esprit fut obligé de chercher une autre dupe[81].
[81] Cæsarii Heisterbach. illustr. miracul. lib. V, cap. 53.
Cassien parle de plusieurs esprits ou démons de la même trempe, qui se plaisaient à tromper les passans, à les détourner de leur chemin, et à leur indiquer de fausses routes, plutôt pour s'en divertir, que pour leur faire aucun mal[82].
[82] Cassiani Collat. VII, cap. 32.
—Un baladin avait un démon familier, qui jouait avec lui, et se plaisait à lui faire des espiègleries. Le matin il le réveillait en tirant les couvertures, quelque froid qu'il fît; et, quand le baladin dormait trop profondément, son démon l'emportait hors du lit, et le déposait bien doucement au milieu de la chambre[83].
[83] Guillelmi parisiensis. Partis 2. Princip., cap. 8.
—Pline parle de quelques jeunes gens qui furent tondus par le Diable. Pendant que ces jeunes gens dormaient, des esprits familiers, vêtus de blanc, entraient dans leurs chambres, se posaient sur leur lit, leur coupaient les cheveux bien proprement, et s'en allaient, après les avoir répandus sur le plancher[84]. Ce trait ne paraît d'abord qu'une malice; peut-être est-il moral. Pour peu que l'on connaisse les mœurs dépravées de ces fameux Romains, on se souviendra que chez eux, certains Adonis attachaient beaucoup de prix à leur chevelure, comme les Thaïs[85], les Ninons, les Duthé en attachent à leur teint.
[84] Pline, lib. 16, epit. 27.
[85] On sait que Thaïs fut une prostituée égyptienne, célèbre par ses talens dans le libertinage, et par une beauté extraordinaire. Elle fut convertie par saint Paphnuce. (les Bollandistes.)
—Le vieux monsieur Santois avait un lutin, ou, si l'on veut, un démon familier qui lui jouait de temps en temps des tours assez singuliers. Un jour qu'il voulait prier Dieu dans ses heures, son démon s'approcha avec adresse, et déchira trois fois le feuillet sous la main du bonhomme, mais si proprement, qu'on ne l'eût pas mieux coupé avec des ciseaux. M. Santois étonné, mit ses lunettes, pour examiner la chose plus attentivement; et à la vue de toute la famille, les lunettes sortirent du nez du vieillard, firent, en voltigeant le tour de la chambre, et s'allèrent arrêter dans le jardin, où on les retrouva avec les trois feuillets déchirés[86].
[86] Ce trait est plus longuement rapporté dans le Dictionnaire infernal: Prodiges.
Un autre jour, M. Santois mettait pour la première fois un habit neuf de taffetas plein. L'esprit le lui moucheta à vue d'œil, mieux qu'un brocheur n'aurait pu faire. Que répondre à tout cela?… que l'esprit était en humeur de jouer quand M. Santois voulut lire ses heures, et qu'il aimait mieux les habits mouchetés que les pourpoints unis[87].
[87] La fausse Clélie, tome 2, livre 2.
—Un jésuite, dans la description des mœurs japonaises, dit que, dans ce pays, les pèlerins portent à leur cou de petites planches, sur lesquelles leur nom est écrit, afin qu'ils puissent se reconnaître. Or, voici le motif de cette précaution. Quand les Japonais entreprennent un pèlerinage, ils le font toujours en très-grand nombre, parce qu'aussitôt qu'ils arrivent dans quelque désert, ils rencontrent une troupe de démons, de lemures, de spectres, etc. Cette bande monstrueuse est égale en nombre à la caravane des pèlerins; et chaque pèlerin peut y reconnaître son démon particulier, s'il l'a déjà vu.
Après que ces fantômes ont fait quelque pas avec les pieux Japonais, et qu'ils les ont bien examinés, ils changent tout à coup de forme, et prennent la figure humaine; mais tellement conformée, que chaque diable ressemble trait pour trait au pèlerin qu'il veut accompagner, et que chaque pèlerin voit son image bien exacte dans son diable. Cette métamorphose subite produit d'abord tant de confusion, que l'homme ne pourrait plus se reconnaître, ni se distinguer de son démon, s'il n'avait son nom au cou. On souffre pendant une heure l'espièglerie des diables; mais bientôt, comme les méprises occasionnent des disputes, et comme on n'aime pas long-temps à se voir double, les pèlerins se mettent à genoux, prient le chef des démons de rappeler ses gens: toutes les doublures s'évanouissent aussitôt, et la caravane continue paisiblement sa route[88].
[88] Pauli Sanfidii descriptio rituum et morum quæ in insulâ ad septentrionalem plagam japan servantur, etc. On donne cette extravagance pour ce qu'elle vaut. Paul Sansfoi la raconte très-sérieusement. Le lecteur en fera le cas qu'il jugera à propos.
—On a donné au Diable le nom d'esprit malin; s'il était vraiment méchant, il en porterait l'épithète.