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CHAPITRE III.
LE BON DIABLE.—PETIT ROMAN[67].

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Conscia mens recti famæ mendacia ridet.

Ovide.

Le vulgaire insensé te prête sa malice:Fais le bien, en dépit de l'humaine injustice.

[67] Ex Cæsarii Heisterb. miracul. illustr., lib. V, cap. 36; et Shellen, de mirandis à Diabolo.

Charles de Luzzen, jeune militaire allemand, d'une famille riche et noble, cherchait un domestique, sans en pouvoir trouver à son gré, lorsqu'un démon se présenta devant lui, sous la figure d'un jeune homme extrêmement bien fait, et lui offrit ses services. Il avait les traits si gracieux et la voix si douce, que Charles le retint de suite; et ce démon commença à servir son nouveau maître avec tant de soin, tant de complaisance, tant de fidélité et tant d'enjouement, qu'on en était tout étonné. Jamais Charles ne montait à cheval, ou ne mettait pied à terre, sans trouver son serviteur à son poste, ayant un genou en terre, et lui tenant l'étrier. En général, l'aimable démon montrait toujours une grande gaieté, beaucoup de discrétion, et une prévoyance plus qu'humaine.

Un jour que le jeune guerrier et son valet, ou plutôt son ami, voyageaient ensemble à cheval, comme ils côtoyaient les rives d'un grand fleuve, Charles tournant la tête aperçut plusieurs de ses ennemis mortels, qui venaient à lui.—Nous sommes perdus, dit-il au démon; voici mes ennemis qui me poursuivent, et le fleuve m'empêche de les éviter. Ou je périrai sous leurs coups, ou je serai leur prisonnier.

—Ne craignez rien, répondit le fidèle serviteur, je connais les gués de ce fleuve; suivez-moi seulement, nous le traverserons sans danger.—Personne n'a osé jamais se hasarder dans ce torrent, répliquait Charles… Mais déjà le démon y pousse son cheval et le passe heureusement. Le maître suit l'exemple de son valet, et tous deux parviennent sans mésaventure à l'autre bord.

Les ennemis qui étaient à leur poursuite arrivèrent alors sur la rive du fleuve: Il n'y a que le Diable qui puisse traverser une onde si rapide, s'écrièrent-ils, en voyant ce qui venait de se passer; et ils se retirèrent sans imiter l'imprudence de Pharaon.

Quelque temps après, la femme de Charles fut attaquée d'une maladie mortelle. Les médecins l'abandonnèrent, en disant, avec la plus rare bonne foi, que les ressources de l'art ne pouvaient la sauver. Le démon entendant ces paroles, et remarquant qu'elles affligeaient sincèrement le jeune époux, lui dit:—Si ma maîtresse buvait du lait de lionne, elle serait bientôt guérie.—Hélas! répondit Charles, où pourrions-nous avoir de ce lait?—Laissez-moi faire, répondit le bon serviteur, je vous en apporterai…

Il sortit en même temps, et rentra au bout d'une heure avec un grand vase plein de lait de lionne. On en lava le corps de la malade, on lui en fit boire: ce qui la ranima si parfaitement, qu'au bout de quelques jours elle fut en état de quitter le lit.

Le jeune militaire, enflammé de la plus vive reconnaissance, ne cessait de remercier son précieux valet, que pour lui demander où il avait pu trouver si vite un lait si rare?—Dans les montagnes de l'Arabie, répondit-il.—Mais nous en sommes éloignés de plusieurs mois de chemin?—N'importe, en vous quittant, j'ai volé en Arabie, j'ai pénétré dans l'antre d'une lionne, j'ai éloigné ses petits, j'ai tiré le lait de ses mamelles, et je suis revenu à la hâte.

—Qui es-tu donc, s'écria Charles stupéfait?—Ne vous embarrassez point de cela; je suis votre serviteur.—Tu me deviens de jour en jour si cher, que je veux te connaître!—Eh bien! je suis un de ces anges qui sont tombés du ciel…—Un démon!… Mais, si cela est vrai, pourquoi sers-tu si fidèlement un mortel?—Je me suis trouvé autrefois parmi les anges rebelles, sans prévoir les conséquences de ma faute; j'ai péché par inexpérience: c'est pourquoi il m'est permis de venir quelquefois chez les enfans des hommes; et le plaisir de leur être utile me console un peu de ma disgrâce…

—Cependant, répliqua Charles, je n'ose plus profiter de tes services…—N'ayez point de vaines frayeurs; et comptez que, si vous me laissez près de vous, il ne vous arrivera jamais le moindre mal, ni de ma part, ni de la part de mes compagnons d'exil.—Je ne puis m'y résoudre; mais exige ce que tu voudras pour ta récompense, fût-ce la moitié de mes biens: je la donnerai de bon cœur à celui qui m'a sauvé de la mort, et qui m'a rendu ma femme.

—Puisque je ne peux plus être avec vous, répondit tristement le démon…, je ne demande pour mes faibles services… que cinq sous…; et il eut à peine reçu cette modique somme, qu'il la rendit à son maître.—Reprenez-les, lui dit-il, achetez-en une petite cloche; j'en fais présent à l'église de ce pauvre village: le dimanche, au moins, elle avertira les fidèles de l'heure des saints offices… Adieu!…

En achevant ce mot il disparut.—Qui pourrait citer un pareil trait en l'honneur des hommes?… Ce n'est pourtant pas la millième des bonnes actions du Diable.

Le diable peint par lui-même

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