Читать книгу Le diable peint par lui-même - Jacques Collin de Plancy - Страница 3

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«Vous vous occupez d'un travail inutile; la cause de la superstition est perdue; on ne croit plus aux revenans; le Diable est en plein discrédit; et, grâces aux lumières du siècle, la philosophie l'emporte enfin sur les préjugés populaires.» Voilà les objections qu'on me faisait lorsque j'ai entrepris l'ouvrage que je présente au public; et, comme quelques personnes pourraient me les faire encore, j'y répondrai d'avance en peu de mots.

La crainte du Diable et les superstitions ne sont point éteintes. Celui qui voudra montrer de la bonne foi reconnaîtra bientôt que la moitié des personnes qu'il fréquente redoutent, pendant la nuit, les apparitions de fantômes et de spectres, et conséquemment les démons. On remarquera aussi que la plupart des gens dont l'éducation a été négligée ou stérile, consultent tous les jours les cartes et les devineresses, pour en apprendre les choses futures. Or, les sciences divinatoires, si elles pouvaient exister, ne viendraient point de Dieu; et les divinations, aussi-bien que la foi aux visions et aux songes, sont des aveux tacites de l'influence surnaturelle qu'on attribue aux démons.

Assurément, ce grand nombre d'esprits faibles, qui hasardent le fruit de leurs sueurs dans les roues de la loterie, et sur la foi d'un songe insignifiant, ne pensent pas que Dieu s'amuse à leur donner l'idée de prendre tel numéro, qui doit les enrichir, et qui ne sortira pas.

Allez dans les campagnes, vous y verrez peu de morts rester en paix dans leur tombe. Toutes les semaines, dans chaque village, vous apprendrez l'histoire d'un nouveau revenant, qui demande des prières, qui frappe les murs à coups de poing, et qui tire les rideaux, sans se montrer; heureux encore si vous n'êtes pas témoin de quelque scène de possession, ou si quelque magicien ne s'occupe pas de vous ensorceler, ou de vous nouer l'aiguillette!

Toutes ces choses sont bien plus rares que dans le bon temps passé; mais elles existent encore; et c'est aujourd'hui, plus que jamais, le moment d'élever la voix contre la superstition, pour achever de l'étouffer.

Cette entreprise n'est pas aussi aisée qu'on le pense; car, tandis que les amis de l'humanité s'efforcent de lui rendre la paix de l'âme et de détruire les terreurs superstitieuses, il y a des hommes qui semblent avoir pris à tâche de ramener les vieilles erreurs, qui veulent de nouveau replonger les peuples dans la barbarie, et dominer par la crainte. Je ne parlerai point des missionnaires, qui portent le fanatisme dans les provinces, qui troublent les esprits par la peur d'un enfer effroyable, qui présentent de toutes parts le démon déchaîné contre la France, et qui achèveraient la ruine de la religion, si ses bases n'étaient trop solides pour se renverser jamais entièrement[1]. Mais je m'arrêterai un instant sur quelques écrivains, dont la plume avilie n'a su défendre que le mensonge et la fraude.

[1] On sait aussi que plusieurs prêtres refusent la sépulture aux morts, et envoient en enfer ceux qui partent de ce monde sans confession. De pareils abus sont bien les suites du fanatisme et de la superstition la plus brutale.

A leur tête est l'abbé Fiard, ex-jésuite, dont les écrits, imprimés à la fin du dernier siècle et au commencement de celui-ci[2], établissent cette maxime, que le Diable en personne a fait la révolution, qu'il est l'agent surnaturel de tout le mal qui se commet en France, qu'il fut le maître en impiété de Voltaire, de Diderot, etc.

[2] Lettres philosophiques sur la magie;—la France trompée par les démonolâtres du 18e siècle, etc.

Fort heureusement, l'abbé Fiard et ses pâles disciples sont de faibles ennemis pour les vrais philosophes; et, si les fatras de ces fauteurs de la superstition sont admirés des bigots, ils n'obtiennent que la risée des gens d'esprit, qu'ils endormiraient si on avait le courage de les lire sérieusement.

Mais les ouvrages superstitieux se multiplient tellement, qu'on peut redouter leurs funestes effets sur les esprits faibles. On ne parlera que de quelques-uns; on nommera d'abord les Révélations de sœur Nativité, que le lecteur ne connaît sûrement pas, qui vivent néanmoins depuis deux ans, et qui expliquent en trois volumes (édition compacte) comment sœur Nativité a vu positivement l'enfer et le purgatoire; comment elle a prédit et révélé, il y a vingt-huit ans, les crimes de la révolution et tout ce qui s'en est suivi; comment il faut rétablir les dîmes et autres bonnes choses du temps d'autrefois; et comment on n'a publié ces susdites révélations et prophéties qu'après qu'elles ont été justifiées par l'événement, pour ne pas donner à mordre aux incrédules…

L'ouvrage, que M. le comte de Sallmart-Montfort a fait paraître à petit bruit, il y a trois ans[3], est encore un livre de prédictions. Mais, au moins, l'auteur a-t-il eu la bonne foi de le publier avant l'événement. Il est vrai que, comme il annonce la fin du monde et la venue de l'antéchrist, il n'y avait pas de temps à perdre[4].

[3] De la Divinité, de l'homme, des différentes religions, idées sur la fin prochaine et générale du monde.

[4] Suivant les calculs de monsieur le comte, le monde finira en 1836.

Un autre écrivain a donné, l'année dernière, une Explication de l'Apocalypse, qui entre un peu dans le système de M. le comte de Sallmart-Montfort, et qui prouve victorieusement que l'antéchrist est en chemin, que le monde va finir, parce que tous les fléaux avant-coureurs, prédits dans l'Apocalypse, sont déjà tombés sur la France, et que les démons y font sous main leur commerce. D'autres théologiens de la même force rapportent déjà des miracles modernes, et des aventures de possédées, qui font frémir.

M. le comte de Fortia-Piles s'est mis aussi dans la ligue des suppôts de l'erreur; et, après avoir bien regretté les temps féodaux, il gémit de voir le Diable un peu oublié, attendu que la peur de cet être indéfinissable avait plus d'effet sur LE PEUPLE que toutes les peines[5]… «Je ne vois pas, ajoute-t-il avec douleur, qu'on prenne beaucoup de moyens pour rétablir cette crainte salutaire, dans une classe qui, depuis trente ans, a offert plus de crimes que les deux siècles précédens[6]…»

[5] Nouveau dictionnaire français… publié en 1818 et 1819, en 12 cahiers in-8.

[6] Cette dernière calomnie est si absurde, qu'elle ne mérite pas de réponse: qu'on lise seulement, dans Gilbert, la peinture qu'il a faite du dix-huitième siècle, on y verra des mœurs bien plus affreuses que les nôtres.

Il y a des imposteurs, qui paraissent au moins partager les superstitions et les erreurs qu'ils prêchent aux autres hommes, et qui affichent en eux la crainte du Diable, lorsqu'ils le présentent comme un épouvantail. M. de Fortia-Piles ne croit pas au Diable, ne le craint point; il laisse voir son opinion là-dessus; et il a le cœur assez franc pour proposer au peuple la peur du Diable comme un moyen de vertu!… C'est comme s'il disait: «Je suis un homme d'esprit et un honnête homme; je n'ai pas besoin de frayeurs pour me bien conduire. Mais vous, qui êtes des brutes, je vais vous épouvanter. Alors vous vous laisserez mener où l'on voudra, et vous serez de bonnes gens, bien estimables[7]…»

[7] On n'ose pas s'arrêter plus long-temps sur les ouvrages de superstition et de fanatisme qui paraissent maintenant. La nomenclature en serait trop longue, puisque les romans même sont souvent aujourd'hui des livres de controverse. Ceux qui ont lu les Parvenus de madame de Genlis savent qu'elle prône les extases, les visions, les prophéties, les pèlerinages, etc.

Mais la plus forte preuve de l'opposition que les dévots entretiennent contre les lumières, c'est une nouvelle brochure, qui paraît depuis peu de jours, sous le titre de Contre-poison du Dictionnaire infernal, ou Réalité de la Magie et des Apparitions… Je suis fâché que le pieux auteur de ce pamphlet burlesque le publie un an après le Dictionnaire infernal. En s'annonçant plus tôt, il aurait pu se flatter d'en empêcher le succès; et alors il eût été de mon devoir de défendre mon ouvrage. Aujourd'hui que le Dictionnaire infernal est presque totalement épuisé, j'attendrai que le public ait porté son jugement sur les cent dix ou douze prodiges, anciens et modernes, que M. Simonnet raconte avec tant d'énergie dans sa brochure. Si on s'en occupe, je pourrai répondre plus longuement, et faire voir, en quelques pages, les absurdités qu'il a recueillies si lentement et avec tant de soin.

Jusque-là, je dirai seulement que j'ai lu le pamphlet en question, et que j'y ai reconnu quelques traits qu'on verra aussi dans le Diable peint par lui-même. Mais l'auteur du Contre-Poison du Dictionnaire infernal a traduit avec mauvaise foi, et il a souvent tronqué ses miracles pour en ôter le ridicule; je prierai donc le lecteur de comparer mes traductions aux originaux; ce qui sera d'autant plus facile, que j'ai cité très-exactement. On verra par là que je ne cherche qu'à répandre sincèrement la vérité.

Après avoir passé un an sur le Dictionnaire infernal, si M. Simonnet veut exercer pareillement sa critique sur le Diable peint par lui-même, je lui souhaite bon courage. Mais comme j'ai recueilli des traits qui présentent les démons sous un aspect un peu moins noir que le Contre-Poison, et que M. Simonnet voudra sans doute encore les rembrunir, je lui rappellerai ces deux vers de l'Art poétique (chant troisième):

Souvent, sans y penser, un écrivain qui s'aime

Forme tous ses héros semblables à soi-même.

Le diable peint par lui-même

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