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CHAPITRE II.
FORMES ET MÉTAMORPHOSES.

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Table des matières

Et mutat faciem, varios sumitque colores.

Alciat.

Comme les courtisans, et suivant les humeurs,Le Diable sait changer de forme et de couleurs.

L'Écriture a conservé aux démons le nom d'anges; seulement elle les appelle anges de ténèbres. On en peut conclure que, malgré les cornes, la queue et les griffes que nous leur avons données, les démons conservent encore, un peu altérée sans doute, la forme angélique. Quant à Satan, leur chef, saint Jean l'appelle le grand dragon, et le représente sous la figure d'un serpent ailé[36]. On l'appelle aussi l'ancien serpent, à cause de sa première métamorphose[37]. Milton donne aux démons une beauté sévère et majestueuse, quoique flétrie depuis leur chute. Il y joint une taille si imposante, que Satan a bien quarante mille pieds de haut, à sa mesure.

[36] Apocalypse, chap. 12 et 20.

[37] Genèse, chap. 3.

Selon le poëte Palingène, les démons sont noirs, depuis la pointe des ailes jusqu'à la plante des pieds. Ils ont les dents blanches, et deux défenses de sanglier leur sortent de la bouche. Leur figure est passablement laide; leurs ailes ressemblent à celles des chauves-souris, leurs pieds à ceux des canards. Ils ont une queue de lion, et sont couverts de poils d'ours. Le grand roi des démons est assis sur un trône superbe. Il a sept crêtes et sept cornes sur la tête; les sept cornes portent chacune une tour. Le feu lui sort par le nez, les oreilles, les yeux et la bouche; et sa garde est innombrable[38].

[38] Palingenii Zodiacus vitæ, lib. IX. sagittarius.

Le Diable, qui préside au sabbat, et qui se nomme ordinairement Léonard, s'y présente sous la figure d'un bouc, pâle, triste et noir, avec deux visages, l'un sur les épaules, l'autre sous la queue, comme on le sait de bonne part. Quelquefois il ressemble à un lévrier, ou à un bœuf, ou à un grand oiseau noir, ou à un tronc d'arbre, surmonté d'un visage ténébreux. Ses pieds, quand il en porte au sabbat, sont toujours des pates d'oie[39]. Dans ces rassemblemens de sorciers et de démons, qu'il ne nous est plus donné de voir, les diables subalternes se déguisent en crapauds ou en chats noirs, pour danser le branle avec les sorcières[40]. Au reste, les théologiens permettent aux démons de prendre toutes sortes de formes.

[39] Les experts, qui ont vu le Diable au sabbat, observent qu'il n'a pas de pieds, quand il prend la forme d'un tronc d'arbre, et dans d'autres circonstances extraordinaires.

[40] Leloyer, Delancre, Bodin, Boguet, etc.

—Un choriste de Cîteaux (le frère Herman, d'heureuse mémoire), s'étant légèrement endormi, en chantant les matines, s'éveilla en sursaut, et aperçut deux fesses d'ours qui sortaient du chœur. Cette vision commençait à l'effrayer, quand il vit l'ours tout entier reparaître, et considérer attentivement tous les novices, comme un officier de police qui fait sa ronde… Enfin l'ours sortit de nouveau, en disant:—Ils sont bien éveillés; je reviendrai tout à l'heure voir s'ils dorment… C'était le Diable, qu'on avait envoyé pour contenir les frères dans leur devoir[41].

[41] Cæsarii Heisterbach. Miracul. illustrium. lib. V. cap. 49.

—Un autre moine de Cîteaux dormait aussi de temps en temps, au lieu de psalmodier. Plusieurs démons venaient alors autour de lui, sous des figures de pourceaux, et les frères les entendaient grogner, pendant que le moine ronflait[42].—Un frère convers du même couvent avait pareillement la mauvaise habitude de dormir au chœur. Un jour donc, pendant les matines, ses voisins virent le Diable assis sur sa tête, sous la forme d'un chat noir… Ayant appris cette terrible circonstance, le dormeur se posta désormais sur un tabouret qui n'avait qu'un pied; de manière que, quand le Diable cherchait à l'endormir, il tombait assez lourdement pour se réveiller[43].

[42] Idem. Lib. 4, cap. 35.

[43] Cæsarii ejusdem. lib. IV, cap. 33.

—Une sainte fille du douzième siècle se fit recluse à Aix-la-Chapelle, pour avoir vu une troupe de Diables assis sur les épaules d'une troupe de moines, avec des visages de singes et des figures de chats; et, ce qui est encore plus horrible, elle remarqua que cette procession était précédée d'une bande de démons, déguisés en dogues hideux, qui conduisaient les moines comme des aveugles, ayant, moines et dogues, des colliers de fer et des chaînes au cou[44].

[44] Cæsarii suprà citati, miracul. lib. V, cap. 50.

—Quand les jésuites portèrent la foi dans l'Asie, un pauvre homme de l'île d'Ormus (à l'entrée du golfe Persique), s'étant décidé à embrasser le christianisme, vit une troupe de démons, sous des figures de chats et de rats en colère. C'était la nuit; il pensa qu'on venait peut-être lui tordre le cou. Il appela du secours à grands cris, en faisant le signe de la croix, et tous ces démons s'évanouirent[45].

[45] Epistolæ indicæ; epist. Gaspari Belgæ ad fratres Ormutii 1549.

—Un jurisconsulte, dont on n'a conservé ni le nom ni le pays, ayant envie de voir le Diable, se fit conduire par un magicien dans un carrefour peu fréquenté, où les démons avaient coutume de se réunir. Il aperçut bientôt un grand nègre assis sur un trône élevé, entouré de plusieurs soldats noirs armés de lances et de bâtons. Le grand nègre, qui était le Diable, demanda au magicien qui il lui amenait?—Seigneur, répondit le magicien, c'est un serviteur fidèle.—Si tu veux sincèrement me servir et m'adorer, dit le Diable au jurisconsulte, je te ferai asseoir à ma droite… Mais le prosélyte, trouvant la cour infernale plus triste qu'il ne l'avait espéré, fit un grand signe de croix; et les démons s'évanouirent[46].

[46] Legenda aurea. Jac. de Voragine. Leg. 64.

—Olibrius, gouverneur d'Antioche, fit mettre sainte Marguerite en prison, parce qu'elle était chrétienne. Marguerite, s'y trouvant seule, pria le ciel de lui faire voir le Diable. Tout à coup parut devant elle un énorme dragon, qui ouvrit la gueule pour la dévorer. Cette gueule était si grande, que la jeune fille ne sut d'abord à qui recourir; de façon que le dragon, allongeant sa mâchoire supérieure sur la tête de Marguerite, et sa langue sous ses pieds, l'avala d'un seul trait, et probablement debout. Mais, avant qu'il eût pu la digérer, Marguerite fit le signe de la croix; aussitôt le dragon se creva par le milieu du ventre, la laissa bien portante dans sa prison, et disparut on ne sait comment[47]. Mais bientôt il se remontra sous la figure d'un homme; Marguerite le reconnut, le saisit au collet, le jeta à terre, lui mit le pied sur le front, et ne le lâcha qu'après lui avoir rendu malices pour malices[48].

[47] Os super caput ejus ponens, et linguam subter calcaneum porrigens, eam protinùs deglutivit. Sed dùm eam absorbere vellet, signo crucis se munivit, et ideò draco, virtute crucis, crepuit; et virgo illæsa exivit. Après cela, l'auteur de la légende fait cette réflexion, extrêmement rare dans son livre, que ce passage peut bien être un conte frivole: Illud autem quod dicitur de draconis devoratione apocriphum et frivolum reputatur. (Legenda opus aureum, etc. Jac. de Voragine, auctum à Claudio à Rotâ. Leg. 88.)

[48] Ce dernier trait prouve assez qu'on se trompe historiquement, quand on représente Ste Marguerite montée sur un dragon.

—Du temps de Philippe-le-Bel, un frère convers, s'étant mis en campagne de grand matin, aperçut le Diable qui venait à lui en courant, sous la figure d'un arbre couvert de gelée. Il fit le signe de la croix, et le Diable disparut, non sans laisser après lui une odeur de soufre et de fumée puante. Le frère continua sa route; mais il était dit qu'il ne la ferait pas sans peine; car, pendant tout son voyage, qui dura une journée, le diable se remontra à lui sous la figure d'un cheval échappé; puis sous les traits d'un soldat maigre et noir; ensuite sous la forme d'un petit moine tout rond; un peu après sous celle d'un pourceau; puis sous celle d'un âne; et, après avoir causé plusieurs frayeurs à son homme, l'esprit malin se changea en tonneau, passa sur le ventre du frère, s'enfuit en riant aux éclats[49], et ne reparut plus[50].

[49] Un tonneau qui rit aux éclats doit être une chose bien étonnante!

[50] Gaguin, règne de Philippe-le-Bel. M. Garinet, Histoire de la magie en France. Monstrelet, Shellen, etc.

—Un autre frère convers, dans le douzième siècle, vit le Diable sous les traits d'un cochon; et, un instant après, il l'aperçut encore sous la figure du prieur de son couvent[51].

[51] Cæsarii miracul. lib. V, cap. 48.

—Une jeune femme de la ville de Laon vit le diable sous la forme de son grand-père, puis sous celles d'une bête velue, d'un chat, d'un escarbot, d'une guêpe et d'une jeune fille[52].

[52] Cornelii gemmæ, cosmocriticæ, lib. II, cap. 2.

—Saint Benoît vit le Diable sous la figure d'un merle noir, qui s'envola au signe de la croix[53]. Le démon qui accompagnait Agrippa, se montrait sous l'apparence d'un chien noir[54]. Le pape Sylvestre II et l'enchanteur Faustus avaient pareillement des barbets, qui n'étaient que des démons[55]. Le Diable qui gardait la porte de Simon le magicien, ressemblait à un dogue danois[56].

[53] Legenda aurea. Jac. de Voragine. Leg. 48.

[54] Voyez les niaiseries que débite là-dessus Paul Jove. Wierius, qui fut disciple d'Agrippa, dit que ce grand homme avait beaucoup d'affections pour les chiens; qu'on en voyait toujours deux dans son étude, dont l'un se nommait monsieur, et l'autre mademoiselle, etc.; et l'on a prétendu que ces deux chiens étaient deux diables déguisés. Si Crébillon eût vécu dans le quinzième siècle, on en eût dit autant de ses chiens. S. Roch est bienheureux d'être dans la légende, car le sien serait aussi un démon.

[55] Platine, et l'histoire du docteur Faustus.

[56] Cedrenus et St. Clément d'Alexandrie.

—Dans un monastère de l'ordre de Cîteaux, le Diable apparut un jour à un novice, sous la figure d'une queue de veau, qui semblait marcher comme une couleuvre. Cette queue, après avoir tiraillé le novice par son scapulaire, sans trop l'effrayer, lui sauta au nez, et s'évanouit brusquement… Un autre jour, le même moine vit un autre diable sous la figure d'un œil, gros comme le poing[57].

[57] Miracul. Cæsarii Heisterb. lib. VI.

—Saint Grégoire-le-Grand rapporte que le Diable se transforma un jour en laitue, et qu'une jeune religieuse le mangea en salade; ce qui eut de graves suites. La religieuse n'avait pas dit son benedicite: elle se trouva possédée du démon. Le saint homme Equitius la délivra. La légende dorée observe que, dans les exorcismes, on demanda au Diable pourquoi il était entré dans le corps de la jeune vierge, et que le Diable répondit:—Je n'y suis point entré; j'étais assis sur une laitue; elle m'a mordu et avalé[58]. Cette circonstance dément un peu saint Grégoire.

[58] Legenda, opus aureum Jac. de Voragine, auct. à Claud. à Rotâ. Leg. 130.

—Un capucin entra dans un cabaret sans la permission du prieur, et se mit à boire sans avoir fait préalablement le signe de la croix. Le Diable, qui le guettait, se jeta dans son corps, sous la forme d'un demi-setier de vin, et rendit le capucin si pesant, qu'il fallut dix hommes pour l'emporter[59]. Il fut délivré par saint Dominique.

[59] Qui vix à fratribus decem fuit deportatus. (Legenda aurea, 108, de sancto Dominico.)

—Le commentateur de Thomas Valsingham rapporte que le Diable sortit du corps d'un diacre schismatique, sous la figure d'un âne; et qu'un ivrogne du comté de Warwick fut long-temps poursuivi par un esprit malin, déguisé en grenouille. Leloyer cite quelque part un démon qui se montra, à Laon, sous la figure d'une mouche ordinaire.

—De tous les diables qui tentèrent saint Antoine, les plus apparens s'approchaient de lui, avec toutes les grâces des plus belles femmes, ou sous les formes les plus riches et les plus séduisantes. Il en vit un se transformer plusieurs fois en lingot[60].

[60] St. Athanase, vie de St. Antoine, et les dialogues de St. Grégoire-le-Grand.

—Un démon se présenta un jour devant saint François, sous la figure d'une bourse pleine, laquelle bourse se métamorphosa en couleuvre, quand on voulut la ramasser[61].

[61] Legenda aurea, 144.

—Un religieux assez simple, étant à l'article de la mort, ne cessait de regarder le ciel de son lit. On lui demanda ce qui l'occupait? Il répondit qu'il voyait au-dessus de sa tête le Saint-Esprit sous la forme d'un pigeon blanc, et le Diable sous l'habit d'un chat noir, qui guettait la sainte colombe. Heureusement le pigeon blanc s'alla poser sur un crucifix, et mit le chat noir en défaut[62].

[62] Cæsarii Heisterbach. miracul., lib. VI.

—Pierre le Vénérable raconte que le Diable entra un jour dans un monastère de l'ordre de Cluni, sous la forme d'un vautour. Un moine, qui dormait pour digérer son dîner, frappa les yeux du démon. Il s'en approcha doucement, saisit une grande hache qui se trouvait là, et se disposa à couper le pied droit du religieux, qui dépassait le bois de son lit. Le moine eut le bonheur de s'éveiller sur l'entrefaite, et vit en l'air, au-dessus de son pied, un vautour armé d'une hache… Quoiqu'un pareil phénomène soit assez curieux, le dormeur éveillé n'y trouva rien de plaisant, et se hâta de faire le signe de la croix. Là-dessus le vautour mit bas les armes, et s'en alla comme il était venu[63].

[63] Petri Venerab. de miraculis, lib. I. cap. 14. Histoire de la magie en France.

—Une dame mondaine, et qui prenait plus de soin de parer son corps que d'orner son âme, fut vue par un saint prêtre, escortée de démons déguisés en blaireaux et en marmottes, lesquels démons étaient en outre montés par d'autres esprits malins transformés en singes qui riaient de la bouche[64].

[64] Pia hilaria Angelini Gazæi, in supplem. post Cæsarium lib. V. cap. 7.

—Saint Dominique, voulant convertir des dames hérétiques, leur fit voir le Diable, pour les détourner du service d'un si vilain maître. C'était dans une église; aussitôt qu'il eut commandé à l'ange apostat de paraître, on vit tomber de la voûte un horrible chat noir, qui ressemblait à un chien. Il avait de grands yeux enflammés, une langue longue, large, rouge et pendante, un postérieur extrêmement laid, qu'il montrait continuellement, en faisant ses cabrioles. Après avoir sauté quelque temps devant les dames, il saisit la corde de la cloche, et remonta dans le grenier de l'église avec la légèreté d'un singe. Comme il laissait après lui une mauvaise odeur de grillade, les dames se convertirent, en se serrant le nez[65].

[65] Legenda aurea, 108; de S. Dominico.

—Quand le Diable se montre aux Indiens, il le fait toujours avec quelque noblesse; et il est facile de le voir, pour tous les gens du pays. Il ne faut pour cela que l'en prier pendant deux ou trois jours, et lui faire un petit sacrifice. Alors il paraît, sous la figure qu'on l'invite de prendre, resplendissant d'or et de pierres précieuses, accompagné d'une belle cour, entouré d'un grand nombre de jeunes filles séduisantes, escorté de plusieurs régimens de cavalerie, et d'une troupe innombrable d'éléphans richement ornés. Il offre aux malheureux tout ce qu'ils désirent, recommande l'aumône, et ordonne aux Indiens opulens de donner des festins aux misérables[66].

[66] Epistolæ indicæ Francisci Xavier, Ignatii à Loyola et aliorum de societate Jesu. P. Ém. Teiscera ad fratres. Goæ 1560.

—Ces figures diverses, que prennent les démons pour se faire voir aux hommes, sont multipliées à l'infini, comme on le verra dans la suite. En attendant, on remarquera que, quand ils apparaissent avec un corps d'homme, ce qui est assez ordinaire, on les reconnaît aisément à leurs pieds de bouc ou de canard, à leurs griffes et à leurs cornes, qu'ils peuvent bien cacher en partie, mais qu'ils ne déposent jamais entièrement. Cæsarius d'Heisterbach ajoute à ce signalement, qu'en prenant la forme humaine, le Diable n'a ni dos, ni derrière, ni fesses: de sorte qu'il se garde bien de montrer ses talons. (Miracul. lib. III.)

Le diable peint par lui-même

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