Читать книгу La vie et les oeuvres de Jean Lemaire de Belges - Jean-Auguste Stecher - Страница 7
V.
ОглавлениеPar tout ce qu’on vient de rappeler, il est facile de pressentir que le jeune clere de finances n’eut garde de se laisser absorber par les soucis de la comptabilité. A Villefranche comme à Lyon, il s’enivrait de plus en plus des promesses de la Renaissance. Dès1500, il y est formellement enrôlé, car il songe à construire un poème en prose, un peu comme Tite-Live émule de l’auteur de lEnéide, pour démontrer «avec la dignité de l’histoire «que tout vient de Troie par Rome. Il est temps de refondre les légendes du moyen âge. «Au moyen desdits escripts imparfaits et mal corrigez, s’est ensuivy, que toutes peintures et tapisseries modernes de quelque riche et coustengeuse estoffe quelles puissent estre, si elles sont faictes après le patron desdites corrompues histoires, perdent beaucoup de leur estime et reputation entre gens sçavans et entenduz. Laquelle chose doit trop desplaire a tous cœurs rempliz de generosité: attendu que la glorieuse resplendissance presques de tous les Princes qui dominent auiourd’huy sur les nations occidentalles, consiste en la rememoration véritable des haults gestes Troyens. «Ne croirait-on pas entendre le flamand Maerlant préludant, lui aussi, à sa critique naïve?
Le coup de clairon est donné; Mercure, le dieu des ingénieux trouveurs, déclare à Marguerite dAutriche: «en ce temps heureux, que toutes sciences sont plus esclarcies que iamais, ie stimulay et enhardis l’entendement de Iean le Maire de Belges, environ l’an XXVII. de son aage qui fut l’an de grace Mil cinq cens, à ce quil osast entreprendre ce labeur: et luy ay administré toutes choses à ce servans et conuenables par lespace de neuf ans.»
«Ce n’est pas son coup d’essay, dit l’abbé Sallier (Mém. de l’Acad. des Inscriptions. B.L. t. 13, p.595), mais le premier objet qu’il poursuit.» En vérité, on pourrait ajouter que c’est au fond l’objectif de toute sa vie. Est-ce qu’il n’entendait pas sans cesse son ami Champier parler «d’Austrasie ou France orientale?»
Si Lemaire se croit historien et critique, il se sont bien plus encore littérateur et styliste. Son opus majus ne prépare pas seulement la Franciade de Ronsard mais, comme le reconnait Dubellay, toutes les tentatives de la Pléiade. Il prétend donc «esclarcir en ce langage françois que les Italiens par leur mesprisance accoustumée appellent Barbare (mais non est) la tresvenerable antiquité du sang de nosdits Prince de Gaule tant Belgique comme Celtique.» En sorte que Les Illustrations ont en outre pour objet une œuvre pacifique et par là-même très humaniste: l’union des peuples issus de Troie. Le Belgien, venu d’un pays où Germains et Gaulois ont été associés depuis des siècles et des siècles. triomphe déjà dans ses rêves idylliques, en dépit de la sournoise diplomatie qui l’enveloppe. Il n’est pas seul d’ailleurs, à cette aube de la Renaissance, à mêler la poésie à la politique. Louis XII et Maximilien, au milieu des calculs les plus mesquins et des roueries les plus stupéfiantes, parlent d’une façon convaincue des origines troyennes et des fraternités chrétiennes. Pas un contrat à cette époque, dit Leglay, (Négociations diplomatiques, Préface) où l’on ne semble vouloir la paix uniquement pour faire la guerre européenne aux barbares de la Turquie.
Dès ses premiers efforts de plume Lemaire est en harmonie avec les idées dirigeantes du temps. Prêche-t-il la paix au milieu de la guerre et l’union en croisade des rivaux les plus acharnés, ce n’est rien de plus que ce que Marguerite d’Autriche écrit à son père: «Quant à faire la guerre contre les Turcs et Infidèles, dont èsdits articles est faict mencion, semble aussy, Monseigneur, que dès maintenant il se peult bien conclure, pour l’executer quant les princes chrestiens auront paix.» Il ne faut pas que cette balbutie d’une langue en transformation nous trompe: si les tournures paraissent enfantines, si l’enveloppe mythologique nous fait rire, le tout recouvre un fond très sérieux et très actuel.
Malheureusement l’homme ne valait pas l’artiste. La fermeté du caractère, le souci de l’ordre, la prudence la plus élémentaire même faisait défaut. Enfin, après bien des hésitations, le goût de l’étude l’emporta, et pour y être plus libre il quitta le service de Villefranche et se fit précepteur des deux enfants du seigneur de Saint-Julien au château de Balleure, non loin de Mâcon (Vers1501?). Claude, l’un de ces élèves, parla plus tard avec attendrissement des beaux livres que «son bon précepteur, maistre Jean»lui avait fait rassembler. Plus tard encore le fils de ce Claude, Pierre de St-Julien, Doyen de Chalon-sur-Saône et auteur de l’antiquité et origine des Bourgongnons, dit que Lemaire «homme de grande lecture et de très diligent labeur, avait laissé au château paternel plus d’un vieux roman.»On entrevoit la vie un peu incohérente d’un poète qui eût pu dire comme Marot:
Sur le printemps de ma jeunesse folle
Je ressemblois l’arondelle qui volle,
Puis ça, puis là.