Читать книгу La vie et les oeuvres de Jean Lemaire de Belges - Jean-Auguste Stecher - Страница 8
VI.
ОглавлениеLe10octobre1503s’éteignait de langueur Pierre II de Bourbon à Cluny, près de Mâcon. On fit des funérailles de roi à ce grand seigneur qui avait été régent du royaume. Il n’y eut pas moins d’émoi, de vénération parmi les poètes et les artistes qu’il avait généreusement encouragés. Lemaire. son ancien serviteur, fut un des premiers à payer sa dette de reconnaissance. Il composa rapidement, dans le style à la mode, Le temple d’Honneur et de Vertus. «C’était l’œuvre, dit Lemure (II, 460) d’un des poètes les plus renommés et les plus recherchés dans l’ancien Bourbonnais.» Sur le conseil de Perréal, il l’adresse au cousin du défunt, à Louis de Luxembourg, comte de Ligny qui, lui-même était malade à Lyon. Peut-être ne fit-il qu’approprier et compléter une allégorie autrefois méditée à Villefranche et que G. Cretin, passant par là, encouragea vivement. Dans la dédicace qu’il fit «peu de jours avant le trespas de Monseigneur le comte de Ligny» il lui écrit: «Plaise vous donc, mon très redoubté seigneur, avant que entamer la principale matière, prester benigne oreille aux louenges non adulatoires du prince trespassé, lesquelles louenges bien méritées ie iadis frequantant sa maison et ses pays ouyz mettre en avant aux pastoureaux champestres en leurs termes ruraulx et couvers.»
Ligny fut si flatté de la dédicace qu’il retint «l’acteur entre ses plus privez et secretz domestiques.» On sait de quelle splendeur cette maison était entourée. C’était ce beau gentilhomme qui, quelques mois auparavant, avait si brillament reçu Philippe le Beau à Lyon. Mais Lemaire vit mourir son jeune protecteur «seiché par une langueur longue et lente» dès le31décembre de la même année1503. «Il lui avoit de son propre mouvement assigné son lieu avec estat competent et promesse de la première prébende vacante en sa ville de Ligny (en Barrois), disant que le repos luy estoit nécessaire pour mieux labourer, et le bruit continuel de court contrait e.»
Lemaire dut donc de nouveau suspendre sa grande œuvre. En attendant, il fit imprimer «ce petit traictié consolatoire» à Paris, chez Michel Lenoir, et l’offrit à Anne de Beaujeu à qui Ligny avait compté le présenter. Ce fut l’objet d’une dédicace plus pompeuse et qui semblait plus digne de la sévère et savante princesse. A l’instar de Théocrite et surtout de Virgile et de Mantouan, «en termes ruraulx et couvers» il fait chanter Tityrus au nom du Beaujolais, Galatée, Amyntas, Mopsus, Eglé, Argus et Mélibée, pour représenter l’Auvergne, Clermont, le Foretz, la Marche, Gyen et Bourbon. En des vers déjà gracieux et qui ont mérité de servir de spécimen dans nos Chrestomathies du XVIe siècle, il célèbre Pan (Pierre II) Aurora (Anne) et leur fille Flourette (Suzanne de Bourbon). Il déplore en passant le meurtre de Louis de Bourbon, prince-évêque de Liège. La prose qui encadre les vers est encore bien lourde. Elle sert à vanter Dante, Pétrarque, Boccace, Froissart, Alain Chartier, Chastelain, Robertet et Octavien de St-Gelais. Parmi les entités allégoriques, on remarque Raison, qui se ressent déjà du souffle de la Renaissance, puis Entendement surnommé angelique, à cause de Fourvière, sans doute. «Il se retira sur une saincte montaigne, située au plus pres de la très fameuse cité de Lyon sur le Rosne: en la summité de laquelle les Rommains iadis domminateurs de Gaule instituèrent ung grant temple manificque a lhonneur du bon prince Octavien Auguste: duquel on voit encores les ruynes et vieilles structures.»
Est-ce cette préoccupatiou de Rome qui avait provoqué les éloges de G. Crétin «monarque de la rethoricque françoyse»? Il signa ce Temple dHonneur par une devise (De peu assez) à la leçon rhétoricale des flamands et des wallons. Antérieurement il avait songé à signer: Penser, Penser, Penser, Dire.
M. Charles Fétis signale un grand progrès dans la Plaincte du Désiré composée l’année suivante en souvenir du comte de Ligny, le fils du malheureux connétable de St-Pol. Le poète décrit sa ville préférée «là où une douce et paisible rivière septentrionalle se plonge et perd en un grant et impetueux fleuve oriental.» Dame Peinture invite Marmion de Valenciennes, Jehan Fouquet, Roger Van der Weyden, Hugo Van der Goes et Jean van Eyck:
Peintres prudens, le defunct vous aymoit:
Mettez Nature auprès de luy dolente.
Dame Réthoricque, à son tour appelle à la rescousse Molinet, Cretin, Robertet, St-Gelais et les musiciens Agricola, Hilaire, Evrart, Conrad, Pregent, pour célébrer le gentil chevalier, protecteur de Bayard. Dans la Peroration à Madame, le poète fait hommage de son œuvre à l’auguste fille de Maximilien: «Par lhonneur de sa louable mémoire, il vous plaist, en me recueillant, restaurer la dure perte que jay faict à son trespas, ie vostre plus que treshumble et tresobeissant serviteur.» C’est une offrande «par manière de primices»: il n’a encore pu faire que cela.
Le poète commence à se révéler:
Fortune folle est aveugle et bendée
Plustost glissant que nest la clère ondée,
Preste à monter, plus prompte à dévaler,
Soudain laissant, et tard appréhendée
Dont pour monstrer ta vertu bien guidée,
Fais quelle soit en autre exploict gardée:
Car qui bien sault on le void reculler.
Cette fin par proverbe nous ramène au naturel Gaulois et nous éloigne de Molinet. Non moins naturel est ce distique:
Car hault louer, conduit par art experte,
N’accroist les faicts de triumphe avestuz.
Le chantre de la concorde s’annonce déjà, quand il dit de la guerre:
Dont en la fin les grans roys et les princes
En ont la honte et les peuples le coust.
Quidquid delirant reges, plectuntur Achivi.