Читать книгу Description des maladies de la peau observées à l'hôpital Saint-Louis - Jean-Louis Alibert - Страница 6
TROISIÈME SECTION.
Des Causes diverses qui contribuent au développement des Maladies de la peau.
Оглавление§. XXII. APRÈS avoir considéré les Maladies cutanées sous les points de vue les plus divers, j’ai cherché à me faire une idée juste de leurs causes physiques et manifestes. Parmi ces causes, il faut sur-tout assigner les alimens dont la mauvaise qualité affoiblit les propriétés vitales de la peau, et la dispose à tous les genres d’altération. Quand les alimens sont indigestes et mal-sains, la transpiration s’intercepte;; les vaisseauxhalans ttombent dans l’atonie. Nous recevons souvent à l’hôpital Saint-Louis des personnes du peuple qui ont long-temps enduré la famine, ou qui ne subsistent habituellement que d’une nourriture dépravée, lesquelles sont couvertes de la Dartre scabioïde, affection que l’on confond avec la Gale, et dont, malgré sa fréquence, on a peu encore étudié la nature. D’une autre part, les hommes livrés aux excès de la boisson, qui se gorgent de mets trop succulens ou trop épicés, ont le système dermoïde tourmenté par des éruptions inflammatoires. N’est-il pas d’expérience journalière que ceux qui abusent des liqueurs spiritueuses, ont le teint enflammé par des papules ou par des taches purpurines qui accusent le mauvais genre de vie auquel ils s’abandonnent? Il paroît constant que les hommes qui font un emploi fréquent de poissons marins ou de viandes salées, sont particulièrement sujets à l’Éléphantiasis. Il est, en un mot, impossible de dire quelle dégénération peut imprimer au tissu cellulaire l’excès, le défaut ou le choix pernicieux des alimens. Dans le temps affreux de la terreur, où la disette fut une des nombreuses calamités de la France, on mangea beaucoup de chair d’animaux morts. On observa qu’il en survint des hydropisies, des altérations cutanées de tous les genres.
§. XXIII. J’ ai déjà démontré les modifications que peut imprimer aux Maladies cutanées l’action des saisons et duclimat. On doit en conclure, ce me semble, que les diverses vicissitudes de l’air sont une des causes les plus ordinaires de ces maladies. Un froid humide diminue l’exhalation. Si cet effet arrive soudainement, la matière de l’excrétion stagne dans les petits vaisseaux de la périphérie du corps, suscite des affections herpétiques, des œdèmes, universels, etc. Nous avons fréquemment observé ce phénomène chez les individus qui dorment pendant la nuit dans les rues ou dans les champs. L’affection érythémateuse que l’on désigne ordinairement sous le nom d’engelures, n’est-elle pas le résultat du froid vif qui règne dans l’atmosphère? On sait aussi que le système dermoïde des personnes qui s’exposent aux ardeurs du soleil, subit des altérations différentes. Les gens qui travaillent à la moisson, ou qui, pendant les chaleurs de l’été, vendent des subsistances dans les promenades publiques, contractent, à la face, une dartre croûteuse, qui a une sorte d’aspect érysipélateux, et que j’ai décrite avec le plus grand soin: ils éprouvent des pustules, des phlyctènes, etc.; il leur survient différentes efflorescences sur la peau.
§. XXIV. Il est une troisième cause, qui influe d’une manière très-puissante sur la génération des maladies cutanées; c’est le défaut d’exercice. Rien n’est plus propre à affoiblir le système dermoïde, qu’un repos excessif et prolongé. Les individus dont la vie est constamment sédentaire, tels, par exemple, que les gens de lettres, les savans, certains ouvriers, etc. sont sujets à mille affections herpétiques: plusieurs d’entr’eux ont des ceintures dartreuses très-rebelles aux moyens de guérison. Le système vasculaire s’affoiblit par le repos; il se manifeste des varices aux jambes; la peau de la face devient terreuse et bouffie, etc. J’ai constamment remarqué ce phénomène dans les hommes et les femmes qu’on nous envoie des maisons de force à l’hôpital Saint-Louis, pour subir le traitement que reclame leur état. C’est dans les prisons, en effet, que s’engendrent et s’entretiennent perpétuellement la Gale, le Prurigo, la Dartre scabioïde, et autres affections de cette nature.
§. XXV. Les veilles prolongées, les travaux immodérés, etc. ne sont pas moins funestes au système dermoïde. Les hommes épuisés par d’énormes fatigues, ont des ulcères qu’on ne vient à bout de guérir que par le secours d’un repos absolu. Cette remarque est constante. Ceux qui sont employés à la garde des villes, ou qui passent les nuits dans les édifices publics, contractent des Dartres inguérissables. On envoie très-souvent, dans les hôpitaux, des soldats affectés de certaines éruptions, qu’on prend mal-à-propos pour le résultat de la Gale, et que de simples bains émolliens parviennent bientôt à appaiser; mais ces éruptions ne tardent pas à reparoître aussi-tôt que ces individus reprennent un exercice pénible.
§. XXVI. Le défaut de propreté occasionne ordinairement plusieurs maladies de la peau. En effet, les matières hétérogènes qui se déposent sur le système dermoïde, et qui, pour la plupart, proviennent du mucus animal destiné à le lubrifier, empêchent la transpiration de s’exécuter. Alors il se forme des croûtes ou des écailles sales sur les jambes, les cuisses, les épaules, etc. Les paysans pourtant ne sont pas sujets aux mêmes inconvéniens que le peuple des villes; ils sont contraints à un si grand exercice, et ils vivent tellement en plein air, qu’ils éprouvent moins les inconvéniens de la malpropreté. Il seroit donc convenable que le peuple des villes fît un plus fréquent usage des bains, et les Législateurs ne devroient jamais perdre de vue ce point important d’hygiène publique.
§. XXVII. Dans les longues études que j’ai faites à l’hôpital Saint-Louis, j’ai eu occasion d’observer à loisir l’influence puissante des professions et des métiers, sur les affections déplorables qui sont l’objet de cet ouvrage. Il semble, en effet, que ce qu’il y a de plus utile dans l’ordre social tourne à notre détriment, et que l’homme trouve des écueils dans les moyens les plus féconds de son industrie. Combien de personnes se livrent à des professions mécaniques qui irritent physiquement le système dermoïde! Beaucoup d’artisans manient, par état, des substances très–malfaisantes; beaucoup travaillent dans des souterrains, et sont journellement exposés aux plus fatales émanations; d’autres sont en proie au froid, à l’humidité, au feu, au soleil; certains font de grands exercices dans le marcher; certains restent constamment dans les mêmes lieux. J’ai ajouté des faits inconnus à ceux recueillis par Ramazzini, qui avoit déjà traité ce sujet d’une manière très-philosophique.
§. XXVIII. Parlerons-nous de la contagion! quelle source abondante de maladies pour la peau humaine! mais aussi, que de phénomènes obscurs à dévoiler! Chaque affection cutanée a, pour ainsi dire, sa voie de communication. J’ai expérimenté à l’hôpital Saint-Louis, que rien ne diffère davantage que la manière dont les exanthêmes se propagent. Si la Petite-Vérole et la Vaccine peuvent se développer par l’introduction du pus dans les vaisseaux absorbans, il n’en est pas de même de la Gale, que j’ai essayé vainement de faire naître par inoculation. Au surplus, le mécanisme de la contagion est particulièrement expliqué par l’état physiologique de la peau. On sait aujourd’hui que la gravité d’un exanthème, dépend plutôt de l’individu qui reçoit le viras, que de celui qui le donne; en sorte qu’une peau saine et vigoureuse est souvent plus apte à l’infection, qu’une peau foible et sans énergie. On peut, par exemple, comparer le vaccin à un grain de blé, qui fructifie avec d’autant plus de force, qu’il est ensemencé dans un bon terrein. Faut-il s’étonner que la diathèse scorbutique nuise quelquefois à son développement dans l’économie animale? Durant le cours des recherches que j’ai eu occasion d’entreprendre à l’hôpital Saint-Louis, j’ai éclairci d’autres points de doctrine non moins essentiels: j’ai prouvé que les Dartres les plus superficielles sont, en général, les plus contagieuses. Celles qui attaquent à-la-fois le système dermoide et les viscères intérieurs, ou qui sont profondément invétérées dans l’économie animale, ne se transmettent point d’une personne à l’autre, ou du moins c’est avec une difficulté extrême; et il faudroit d’ailleurs que leur invasion fût favorisée par des causes prédisposantes. On avoit cru également que le Prurigo se communiquoit par le simple contact: mes expériences ont bien démontré l’inexactitude de cette assertion. J’ai étudié la Teigne, la Plique et beaucoup d’autres maladies, sous le même aspect. J’avoue toutefois qu’il est une foule de problêmes relatifs au phénomène de la contagion, que je suis loin d’avoir résolus: pour y parvenir, il faut des circonstances que je n’ai pas rencontrées.
§. XXIX. Les progrès de l’Histoire Naturelle, et son union intime avec la Médecine, font qu’on apprécie mieux, depuis quelque temps, l’action des insectes dans la production des maladies cutanées. On n’ignore pas, de nos jours, que beaucoup d’exanthêmes sont dus à l’irritation que peut causer leur présence dans le système dermoide. On a presqu’entièrement reconnu la nature de l’acarus, qui provoque l’éruption de la Gale. Dans les temps chauds, il survient, dans l’atmosphère, des nuées de mouches qui donnent lieu à des phénomènes non moins redoutables. On a vu quelquefois la totalité de la peau acquérir une tuméfaction extraordinaire. Ce qui est fort remarquable, c’est que chaque animalcule exerce, pour ainsi dire, un genre d’altération qui lui est propre. Les mêmes effets ne sauroient résulter de la piqûre des abeilles, des frelons, des cousins, des chenilles, des scorpions, etc. Les insectes nuisent généralement à la peau, par la morsure qu’ils y opèrent, par le venin qu’ils y répandent, par les œufs qu’ils y déposent. On en voit qui se nichent et perpétuent leur séjour dans cet organe: c’est ce qui arrive, sur-tout dans les régions de l’Afrique, de l’Asie et de l’Amérique, où la température brûlante de l’air se mêle parfois à l’humidité constante des lacs, et des fleuves bordés d’épaisses forêts. MM. Humboldt et Bonpland ont observé, dans la partie haute de l’Orénoque, une espèce d’acarus, qui laboure l’épiderme, en causant des démangeaisons insupportables: ils parvenoient à le détruire à l’aide d’une pommade faite avec les fleurs de soufre et la graisse de caïman. Je reviens aux faits que mon expérience particulière a recueillis. J’ai cru devoir diriger mes recherches sur le genre d’altération qu’impriment au systême dermoïde, les poux qui se développent en nombre incalculable dans certaines maladies, sans que l’œil puisse assigner le siège de leur résidence, ou le lieu précis de leur sortie. Je me suis occupé de la nature de ces insectes, conjointement avec M. Latreille, l’un des plus exacts Entomologistes de Paris; et j’ai déjà eu occasion de dire ce que je pensois de cet accident terrible de la nature humaine, vers lequel Cœlius-Aurelianus, et d’autres maîtres de notre art, a voient aussi porté leur attention. Je démontrerai que cette affection n’attaque jamais les personnes robustes et vigoureuses, et que la génération de ces dégoûtans animalcules, tient à une foiblesse radicale et constitutionnelle de la peau, comme le développement des vers, dans le conduit intestinal, tient également à un défaut d’énergie dans les propriétés vitales de cet organe.
§. XXX. La triste influence des affections de l’ame sur les altérations du système dermoide est trop manifeste, pour qu’on puisse la contester. On a dit judicieusement, que ces altérations étoient, le plus souvent, l’apanage des hommes flétris par des chagrins, ou abattus par de longues infortunes. Si les animaux sont moins sujets que nous aux maladies cutanées, c’est qu’ils sont exempts d’une multitude de causes qui les produisent et les fomentent: leurs passions ne sont exposées à aucun trouble qui les exalte d’une manière continue. Lorsqu’un individu est vivement agité par la crainte ou par la douleur, l’éclat de sa peau se ternit; ses joues deviennent flasques, livides ou jaunes. Je publierai, dans ce Recueil, le portrait d’un malheureux serviteur, qui voyant son maître conduit au supplice ignominieux de l’échafaud, fut universellement couvert d’une Dartre furfuracée. J’ai vu une femme dont la peau fut soudainement marquée d’une éruption papuleuse, par la simple annonce d’une nouvelle fâcheuse. Dans ces occasions, il se déclare même des exanthêmes, dont on ne sauroit trop définir la nature, parce que leur aspect n’est pas toujours le même. On connoît les taches rouges qui déparent la face de ceux qui se livrent à des mouvemens habituels de fureur, etc.: j’offrirai en conséquence les différens traits que j’ai pu réunir à ce sujet.
§. XXXI. Quand on parcourt l’histoire des peuples, on trouve les plus grands rapports entre leurs maladies et leur genre de vie. L’influence des mœurs et des causes politiques, ne sauroit donc être méconnue par les praticiens philosophes. Si l’on jette un coup-d’oeil sur les nations civilisées, on verra que les anciens Grecs avoient à peine apperçu ces dégradations du système dermoïde, sans doute à cause de la sévérité du régime qu’ils observoient. Le célèbre M. Willan fait remarquer que, du temps d’Homère, elles devoient être peu communes, puisque cet immortel poète n’en fait presque pas mention: il décrit seulement, d’une manière confuse, les excrétions dégoûtantes qui souillent la peau des indigens. Hérodote, Thucydide, Diodore de Sicile, ne parlent de ces maladies que comme de quelques fléaux rares, répandus çà et là, et qu’ils ne connoissoient que par tradition ou par renommée. Ils s’imaginoient qu’elles étoient l’apanage des Barbares, corrompus par le luxe: de là vient que les Perses en redoutoient si fort l’introduction dans leur pays. Les Romains, avec leur pureté austère, se croyoient également hors de leur atteinte. Ces honteuses éruptions étoient reléguées, chez eux, parmi les animaux et les esclaves. Mais la dépravation s’accrut: on négligea les exercices du Champ de Mars; on s’abandonna à la paresse, à l’oisiveté, à la débauche, à l’ivrognerie; et de là une source bien féconde de maladies cutanées. Ni les Germains, ni les Gaulois, ni les Bretons laborieux et guerriers, n’avoient contracté ces déplorables affections avant le commerce des Sarrasins. Les peuples, en se mêlant, ont fait un cruel échange de maux. On gémit sur le triste sort de l’humanité, quand on songe que le mal affreux qui attaque les plus précieux organes de la reproduction et de la vie, a dû peut-être son introduction en Europe à des circonstances politiques.
§. XXXII. A ces causes que je viens d’énumérer, on peut en joindre d’autres qui sont d’autant plus désastreuses, qu’elles se prolongent de génération en génération: telles sont, par exemple, celles qui tiennent à une disposition originelle. Des faits irrécusables prouvent que les familles humaines se dégradent, par le triste héritage des maladies qu’elles se transmettent dans la succession des siècles. J’ai observé, à l’hôpital Saint-Louis, que les différens virus peuvent se modifier à l’infini dans l’économie animale, et produire les altérations cutanées les plus extraordinaires. Une femme qui avoit éprouvé, pendant sa grossesse, une Petite-Vérole confluente, mit au monde un enfant mâle, lequel étoit recouvert d’une Dartre squammeuse, dont l’aspect étoit hideux. Un homme étoit en proie à la Goutte, et cette affection douloureuse avoit pris le caractère herpétique, chez deux filles auxquelles il avoit donné le jour. Il arrive souvent que les maladies cutanées passent des pères aux enfans, avec des symptômes rigoureusement semblables. Nous avons sous nos yeux, un jeune homme qui a ainsi hérité d’un Cancer, lequel occupe les lèvres et une partie des fosses nasales. Les deux individus dont l’épiderme se convertit en écailles, et qui parcourent aujourd’hui l’Europe pour se montrer à la curiosité publique, ont reçu de leur aïeul, cette altération physique si extraordinaire, ainsi que le constatent les journaux scientifiques du temps. Concluons généralement qu’il n’est point de maladies qui se perpétuent plus facilement par des causes purement héréditaires, que celles qui intéressent la peau et le systême lymphatique: telles sont les Dartres, les Scrophules, le Prurigo, le Vice Vénérien, etc. On verra plus bas, que rien n’est plus difficile à déraciner que ces dispositions morbifiques, ainsi transmises d’âge en âge, parce qu elles s’identifient si énergiquement avec l’économie humaine, qu’elles constituent, pour ainsi dire, une seconde nature.