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SIXIÈME SECTION.
Exposition sommaire de la Méthode que ai suivie dans la confection de cet Ouvrage.

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Table des matières

§. XLV. Il faut comparer celui qui entre dans une science nouvelle, à un voyageur qui arrive pour la première fois dans un pays solitaire, et que les hommes n’ont point encore fréquenté. Les différens lieux qu’il parcourt, bien loin d’être des sentiers battus, sont couverts d’obstacles et de précipices: de loin en loin seulement il rencontre quelques espaces qu’il peut parcourir avec facilité. Telle a été ma propre situation, au sein de l’immense carrière que jai suivie. J’avois commencé à peine l’étude particulière des altérations morbifiques de la peau, que cet organe, qui accomplit des fonctions si importantes et si immédiatement nécessair es à l’entretien de la vie, mais qui, d’une autre part, est le plus sujet aux maladies, et le plus ouvert aux levains et à tous les germes de la contagion rapide, a embarrassé en quelque sor te mon esprit, par des phénomènes et des points de vue innombrables. Afin de me garantir des fausses routes dans une matière aussi épineuse, j’ai adopté, comme je l’ai déjà dit en commençant ce Discours, la méthode exacte et rigoureuse, qui a tant favorisé les progrès de l’Histoire Naturelle dans ces temps modernes. Je ne chercherai point à relever ici, par des éloges, cette méthode ainsi que les grands avantages qu’elle présente. Qu’on examine seulement les résultats glorieux des voyages scientifiques où elle a brillé, et qu’elle a rendus si profitables; qu on se rappelle les productions infinies qu’elle a fait découvrir; qu’on songe au chaos qu’elle a dissipé, à l’ordre qu’elle a mis dans la classification des êtres, à l’essor qu’elle a donné au génie et à la mémoire; qu’on voie comme elle a assuré nos pas et agrandi nos conceptions; qu’on admire enfin l’impulsion rapide qu’elle communique, de nos jours, à nos recherches et à nos découvertes, l’énergie extraordinaire qu’elle imprime à toutes les combinaisons savantes, et l’on sera soudainement convaincu qu’elle est le plus puissant levier dont puisse s’aider l’esprit humain.

§. XLVI. Une des grandes fautes auxquelles on s’expose, quand on entreprend l’étude des sciences naturelles, c’est de transiger avec une vitesse répréhensible sur le résultat des faits observés: aussi n’ai-je voulu arrêter encore aucune classification. Je me suis contenté de grouper les maladies à mesure qu’elles ont paru m’offrir des points d’affinité, ou les traits les plus frappans de leur analogie et de leur ressemblance. Une révolution dans une science, en entraîne nécessairement une autre dans le langage: j’ai été forcé par conséquent de rectifier, de perfectionner, de créer même la nomenclature dont je me suis servi dans la rédaction de cet ouvrage. Gomment exprimer en effet de nouvelles choses, sans recourir à de nouveaux mots? Cette nomenclature s’est, du reste, naturellement composée dans mon esprit, à mesure que le champ de l’observation s’agrandissoit devant moi: mais je l’ai rendue aussi concise qu’il m’a été possible, persuadé que l’erreur se glisse constamment dans la diffusion. Il m’a paru convenable de qualifier les affections dont jetraite, par le caractère physique de l’éruption dominante, selon qu’elles se manifestent, par des squammes, des croûtes, des pustules, des phlyctènes, etc. J’ai ajouté quelquefois une dénomination secondaire pour indiquer un attribut de plus. Telle est la disposition simple que j’ai donnée à mon ouvrage: cette disposition m’a paru préférable à une forme qui eût été plus dogmatique, dans l’état d’enfance où se trouve cette partie de la médecine humaine.

§. XLVII. Pour imprimer un plus grand sceau d’authenticité à ce que j’ai écrit, pour ajouter à l’énergie et à la puissance de mes discours, pour perpétuer et animer en quelque sorte tous mes tableaux, j’ai cru devoir recourir à l’artifice ingénieux du pinceau et du burin. J’ai voulu fortifier les impressions, par l’image physique des objets que je desirois offrir à la contemplation du Pathologiste: j’ai voulu enfin, par les couleurs effrayantes du peintre, instruire pour ainsi dire la vue par la vue, faire ressortir et contraster davantage les caractères des Maladies de la peau, fixer leurs moindres nuances, frapper en un mot les sens de mes lecteurs, et reproduire vivans devant eux les divers phénomènes qui avoient étonné mes regards. Ce nouveau secours peut sans doute introduire plus de précision dans la Médecine descriptive, et l’affranchir désormais du reproche qu’on lui a fait, d’être une science conjecturale. Les moyens thérapeutiques deviennent plus certains, toutes les fois que les affections morbifiques sont plus fidèlement et plus exactement retracées: c’est alors seulement que la Médecine prend son véritable rang parmi les sciences physiques et naturelles.

§. XLVIII. C’est avec une persévérance peu commune, c’est avec une sorte de passion, que j’ai poursuivi le cours de cette longue et pénible étude; et peut-être l’ouvrage que je mets au jour est-il digne de quelque renommée par la multitude et l’importance des laits qu’il renferme. Les Elèves nombreux qui sont venus s’essayer avec moi à ce nouveau genre d’observation, savent les dégoûts que j’ai surmontés, et par quel labeur j’ai acheté les vérités utiles que je publie. Toutefois, je ne me flatte point d’épuiser jamais une matière aussi étendue: mais si ma courte vie ne me permet pas de tout voir et de tout atteindre, j’aurai du moins signalé des routes qu’on pourra suivre: on n’aura plus qu’à partir du point où je me serai arrêté. Il suffit à ma jouissance d’avoir ouvert la carrière: qu’importe que je sois surpassé par ceux qui me succéderont!

§. XLIX. Au surplus, je ne saurois parler des difficultés sans nombre qui se sont opposées à mes travaux, sans faire mention en même temps des circonstances qui m’ont si heureusement secondé. L’hôpital Saint-Louis est, sans contredit, celui de l’Europe qui offre le plus de moyens pour l’étude approfondie des Maladies de la peau; je dois même ajouter qu’aucun n’offre des ressources plus efficaces pour les guérir. En effet, quel théâtre offre des objets plus nouveaux à ceux qui procèdent d’après des méthodes philosophiques? Quel spectacle laisse des impressions plus fortes, plus permanentes dans l’esprit des Observateurs? Ce précieux établissement est, comme personne ne l’ignore, un modèle de construction en architecture: il eût été impossible de lui assigner une exposition plus salubre. Le génie semble avoir présidé à la distribution des salles, au placement des fenêtres qui laissent circuler librement l’air atmosphérique dans l’intérieur de ce bâtiment si vaste et si régulier. Des bains commodes viennent se joindre à ces moyens salutaires. La sagesse éclairée des Administrateurs, et le zèle actif d’un surveillant habile, ajoutent tous les jours à la perfection de cet édifice. Puis-je en outre passer sous silence les lumières des savans collègues qui partagent avec moi les fonctions augustes qui me sont confiées, particulièrement de M. Delaporte, dont l’expérience plus mûre et plus âgée que la mienne, m’a été infiniment utile dans le cours de cette grande entreprise; et de M. Richerand, dont les succès particuliers pour les recherches chirurgicales ont été constamment, pour moi, un puissant motif d’émulation et d’ardeur!

§. L. En publiant aujourd’hui ce fruit de tant de laborieuses recherches, je remplis un devoir envers la noble profession que j’ai embrassée. Si chacun de ceux qui l’exercent, prenoit à tâche de défricher les parties qui sont encore incultes, notre art feroit plus de progrès; il acquerroit plus de certitude, et ne se traîneroit pas depuis tant d’années sur des répétitions fastidieuses. D’ailleurs, ce n’est pas assez, pour le Médecin, d’être utile à ses contemporains; il doit aspirer à étendre ses bienfaits jusque dans l’avenir, en laissant des ouvrages qui puissent franchir les siècles futurs, prolonger la mémoire de son nom, et le rendre cher à la postérité reconnoissante. J’acquitte également la dette que j’ai contractée envers la société. J’aime à me rappeler ces paroles admirables de Platon, que la vie que nous respirons, ne nous a pas été accordée uniquement pour nous; que nous en sommes redevables envers la patrie; que le but suprême de la nature est de rendre l’homme utile à l’homme; qu’il est ici-bas de la destinée des humains de commercer sans cesse de bons offices; de donner, de recevoir, de mettre, pour ainsi dire, en commun leurs avantages. Cet échange réciproque de talens, de travaux, de services, forme l’industrie universelle; elle est le plus fort lien des empires, et l’un des plus sûrs fondemens de la perfection sociale et de la félicité des peuples.

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