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CINQUIÈME SECTION.
Considérations générales sur les procédés curatifs appliqués au Traitement des Maladies de la Peau.

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Table des matières

§. XXXVIII. Après une étude si grande, si variée, des symptômes et du génie particulier des affections cutanées; après un dénombrement exact de leurs causes et de tous les points de vue physiologiques qu’elles présentent, nous avons dû discuter, approfondir les règles relatives à leur traitement. Cette partie étoit, sans contredit, la plus essentielle de nos recherches, puisqu’elle est le terme unique que nous devons nous efforcer d’atteindre. Il ne suffit pas toutefois, pour y parvenir, de faire disparoître les empreintes morbifiques qui souillent l’extérieur du système dermoïde; de nettoyer, en quelque sorte, cette grande surface sensible, en lui rendant l’éclat qu’elle a perdu; il faut arriver à la source du mal, et agir quelquefois d’après une multitude d’indications différentes: tout se réunit pour rendre ce sujet difficile, et souvent même impénétrable. J’ai cru en conséquence, que pour établir d’une manière décisive la thérapeutique des Maladies cutanées, il falloit non-seulement détourner les causes sans nombre d’où elles dérivent, mais apprécier plus profondément qu’on ne la fait avant nous, le travail particulier de la nature dans ces sortes de maladies. Voici encore une matière qui réclame les combinaisons les plus vastes et les méditations les plus soutenues.

§. XXXIX. L’homme qui s’ est tissu des vêtemens, qui est en outre armé de ses puissantes mains, pour défendre et protéger la surface de ses tégumens contre les atteintes nuisibles des corps qui l’environnent, est cependant celui des êtres vivans dont le système dermoïde est exposé à un plus grand nombre d’altérations. Le premier devoir du Médecin qui cherche à y remédier, est donc de prévenir ou d’éloigner toutes les causes qui peuvent blesser la peau, et d’entretenir toutes celles qui favorisent son énergie et son activité. Des bains fréquens, des lotions réitérées, des frictions douces, etc. ne contribuent pas peu à remplir cette indication salutaire: la nature elle-même nous en montre la nécessité dans l’instinct des animaux. Les oiseaux, par exemple, dont la plupart sont destinés à voyager dans les régions brûlantes de l’air, ont les plumes enduites dune matière onctueuse, à laquelle ils ont recours pour les lubrifier: les quadrupèdes se lèchent en se frottant contre les arbres, se plongent dans les fleuves, etc. Au surplus, l’humectation journalière de la peau humaine, n a pas seulement pour effet de la purger des immondices qui la couvrent; elle excite encore l’action des vaisseaux qui s’y distribuent, et favorise généralement toutes ses fonctions. On sait d’ailleurs que l’appareil tégumentaire est parsemé de glandes sébacées, d’où jaillit continuellement une huile destinée à la rendre plus souple et plus flexible. Cette liqueur abonde dans la jeunesse, diminue dans la vieillesse, et chez les adultes habituellement condamnés à un exercice violent: elle tarit pareillement chez les hommes qui habitent des pays très-chauds. Ne voit-on pas déjà combien seroit profitable à l’humanité rétablissement des bains publics, soit dans les villes, soit dans les campagnes, et combien ce grand moyen d’hygiène publique exige la surveillance des magistrats? Les onctions pratiquées par les Anciens évitoient une foule de maladies cutanées.

§. XL. C’est en observant les affections de la peau sur un théâtre aussi étendu que l’hôpital Saint-Louis, que j’ai appris à étudier leur curabilité d’après la nature et l’intensité de leurs causes, qu’aucun voile n’a pu dérober à mes regards. Des maladies cutanées qui surviennent chez des hommes d’ailleurs bien portans, par des causes purement externes, comme, par exemple, par des lésions mécaniques, par la morsure des insectes, par la contagion, etc. cèdent aisément à nos procédés curatifs; mais quand les maladies proviennent d’une disposition cachée dans le systême lymphatique, et qu’elles tiennent à des causes très-anciennes, elles doivent redoubler d’intensité, toutes les fois qu’on les combat par des moyens foibles. C’est ainsi que je n’ai pas trouvé de causes plus difficiles à déraciner que les causes héréditaires. Leur résistance à toute guérison, vient de ce qu’il faudroit changer entièrement l’état physique habituel des individus, influer d’une manière continue sur les qualités de leurs organes et sur leur mode de sensibilité et d’irritabilité, et introduire enfin les modifications les plus remarquables dans leur économie: les mêmes obstacles se rencontrent quand les causes sont nombreuses. Si des malades, profondément énervés par la Diathèse scrophuleuse ou scorbutique, contractent la Gale; et si cette affection nouvelle n’est pas soudainement guérie, bientôt elle ne cède plus aux simples médicamens externes; elle semble faire cause commune avec la maladie principale. J’ai souvent été le témoin d’un phénomène très-important en Pathologie cutanée: c’est que ceux qui sont déjà atteints du Scorbut, du Favus ou d’une Dartre quelconque, sont très-difficilement délivrés de l’infection vénérienne: n’est-ce pas parce que le système lymphatique, déjà affoibli par une altération primitive, reste sans énergie pour effectuer la réaction?

§. XLI. On se demande aussi quelquefois, pourquoi des remèdes obtiennent des effets si différens, dans des affections qui, au premier coup d’œil, paroissent absolument identiques? Cette opposition apparente tient, je le présume, à ce que le Médecin n’a point fait une étude assez sérieuse du travail particulier de la nature dans les Maladies cutanées. Rien sans doute n’étonne davantage l’imagination, que cette marche régulière et uniforme que suivent la plupart des exanthêmes à mesure qu’ils se développent; que ce tumulte qui s’excite sur la peau, par la simple insertion d’un virus contagieux; que les secousses extraordinaires que subit cette enveloppe, lorsqu’elle se convertit en boutons, en pustules, en croûtes, en lamelles furfuracées. Deux mouvemens très-remarquables semblent généralement présider à cet étonnant phénomène; l’un se passe dans le système vasculaire, l’autre dans le système dermoïde. Souvent rien n’est plus difficile à reconnoître que les progrès merveilleux de cette coction morbifique, sur-tout pour des yeux inexpérimentés. Quand la peau est sèche et rugueuse, elle annonce que l’éruption est encore dans sa crudité; quand la peau est douce, et que les urines ainsi que les autres excrétions sont chargées, la maladie touche à son déclin. Dans quelques maladies cutanées, comme, par exemple, dans la Petite-Vérole, la peau ressuscitée d’un premier naufrage, est exposée à un second danger, et court encore de nouveaux hasards. C’est ce qui arrive principalement quand des pustules, dispersées çà et là sur toute la surface du corps, subissent une suppuration laborieuse et prolongée. Quelles précautions ne faut-il pas prendre alors, pour préserver les viscères de ces foyers impurs! Ce que nous venons de dire des exanthêmes aigus, peut se dire également des exanthèmes chroniques, parce que la plus grande analogie existe entre ces deux genres d’affection. En effet, quoique ces derniers perpétuent leur irritation pendant plusieurs années, ils ont cependant une période de crudité, dont tous les phénomènes se déroulent aux yeux de l’observateur qui a la patience de les contempler. Pendant toute cette période, les tumeurs de la peau ont une dureté particulière, qui n’offre aucun signe de terminaison. Cependant, après un long intervalle, il survient un changement heureux: la rougeur diminue, les tumeurs s’affaissent, les ulcérations s’améliorent, et il se déclare des symptômes qui annoncent que véritablement l’acte de la coction est terminé. Il en est donc des maladies chroniques comme de tant d’autres phénomènes que la nature n’exécute qu’avec une extrême lenteur, parce que le temps n’est rien pour elle, et qu’elle compte à peine les siècles pour l’accomplissement de ses desseins.

§. XLII. La naissance et le développement des affections cutanées, s’opèrent constamment d’après les mêmes lois; mais il n’en est pas ainsi de leur solution. Des mouvemens funestes à l’économie animale peuvent succéder à des mouvemens qui avoient été d’abord salutaires, comme cela s’observe quelquefois dans plusieurs Dartres rongeantes, dans certaines espèces de Lèpre, dans l’Éléphantiasis, etc. Dès-lors il n’y a plus rien à espérer de la nature, qui n’exécutant aucun effort heureux, finit par se nuire à elle-même, et se consume par sa propre activité. Si la dégénération est concentrée, comme dans le Cancer, on peut sans doute recourir au feu ou à l’instrument tranchant; mais si elle gagne les viscères intérieurs les plus essentiels à la vie, les symptômes empirent et deviennent formidables par leur tenacité: tous les usages de la peau sont interceptés, et l’organisation entière est envahie par la matière de son infection. Le marasme, le scorbut, l’anasarque, etc. viennent compliquer une aussi fatale catastrophe: les malades succombent au milieu des horreurs et des tourmens inexprimables de la fièvre hectique.

§. XLIII. Ne voit-on pas déjà combien il est utile pour le Médecin clinique, de suivre la nature dans ses opérations, pour apprendre à imiter ou à diriger sa marche? Mais une autre considération s’est présentée à moi dans le cours de mes recherches sur le traitement des Maladies cutanées. En méditant avec profondeur sur cette intéressante matière, je n’ai pu méconnoître le rôle avantageux que jouent la plupart de ces maladies pour la conservation humaine. Semblables aux orages de l’univers, qui purgent l’atmosphère en la troublant, elles sont envisagées, par le Pathologiste éclairé, comme des fermens purificateurs qui délivrent le corps vivant de quelque substance ennemie. Le vulgaire lui-même est souvent averti de cette vérité physiologique, par le spectacle fréquent des accidens qui succèdent à la suppression trop prompte de certaines affections dartreuses; et personne nignore les vives alarmes qu il témoigne, lorsqu’on fait des efforts pour en opérer la guérison. La peau devient donc, dans plusieurs circonstances, un centre de fluxion, qui fixe en quelque sorte le destin de l’économie entière. Un homme éprouvoit un catarrhe chronique de la vessie; il en fut délivré par une éruption herpétique, qui se manifesta dans la main droite. Un littérateur cessa d’éprouver les accès d’une aliénation mentale, à laquelle il étoit sujet depuis trois ans, aussi-tôt qu’une Dartre squammeuse se fut déclarée sur le cuir chevelu. M. Strambio observe que les individus atteints de la Pélagre, sont exempts des autres maladies régnantes. Lorry dit avoir vu des Glandes squirreuses diminuer considérablement de volume, par un exanthème inattendu. Mais le fait le plus remarquable, est celui d’une femme tourmentée par des douleurs lancinantes dans la région de l’utérus, qui lui faisoient redouter l’invasion très-prochaine du Cancer. A l’âge de retour, le système dermoïde a été universellement atteint d’une exfoliation furfuracée, et les symptômes intérieurs se sont dès-lors évanouis. Le fait suivant mérite une attention très-particulière. Un vieillard qui, dans sa jeunesse, avoit vécu dans le luxe et les grandeurs, et qui s’étoit immodérément livré aux liqueurs spiritueuses, étoit en proie, depuis l’âge mûr, aux paroxysmes d’une goutte violente, dont aucun procédé de l’art n’avoit pu pallier les tourmens. Près de huit mois de l’année étoient presqu’infructueusement employés à combattre les dégoûts, les nausées, le long supplice des insomnies, les spasmes nerveux, les catarrhes réitérés de la membrane muqueuse gutturale, la présence de vents dans le conduit intestinal, la constipation, l’embarras du flux des urines, les phlegmasies chroniques des entrailles irritées, et sur-tout la sensation horrible d’une sorte de déchirement dans les ligamens des pieds et des genoux, symptôme si fréquent dans le cours de cette désolante maladie. Métamorphose surprenante; tant d’accidens qui se succédoient et s’enchaînoient pour ainsi dire réciproquement, disparurent d’une manière soudaine à l’époque fameuse où les troubles politiques commencèrent à agiter la France. Cet individu, doublement malheureux, perdit sa fortune et ses dignités; et le vif chagrin qu’il en éprouva, produisit un changement incompréhensible dans son existence physique. Il cessa de souffrir; mais tout son corps fut recouvert d’une éruption écailleuse dont l’aspect étoit hideux et repoussant: il perdit l’usage de ses doigts, qui étoient comme enduits d’une concrétion tophacée. Dès-lors plus de douleurs internes: les fonctions des viscères reprirent le calme et la vigueur de la santé; l’appétit étoit vorace, et les digestions s’effectuoient avec une régularité inaltérable. Ce ne fut pas sans péril qu’on essaya, quelque temps après, de faire disparoître cette affection cutanée, par divers topiques qu’il seroit trop long de rappeler. On observa qu’à mesure que le système dermoïde se nettoyoit et se purgeoit de la matière arthritique, qui paroissoit s’y être déposée, le bas-ventre se tuméfioit, et que la poitrine sur-tout éprouvoit une anxiété suffocante. On renonça aussi-tôt au projet qu’on avoit conçu de le guérir. Il semble donc qu’au milieu de cette association admirable de systèmes organiques, l’équilibre ne se maintienne que lorsque les uns servent, pour ainsi dire, d’émonctoire aux autres; la peau sur-tout est l’organe que la nature choisit de préférence pour l’accomplissement des crises qui suivent la solution des maladies chroniques. Je connois un ouvrier qui a échappé aux progrès de la Phthisie pulmonaire, par une Dartre miliaire qui lui couvre la totalité de la face. Lingénieux Baillou, ce praticien d’immortelle mémoire, qui rappela dans les murs de Paris les beaux jours de la Médecine grecque, avoit profondément médité sur ce phénomène, et en tiroit des principes de la plus haute conséquence.

§. XLIV. Qu on réfléchisse maintenant aux précautions sages que réclame la thérapeutique des maladies cutanées. Aussi ce n’est qu’après m’être long-temps livré à ces méditations préliminaires, que jai entrepris, avec quelques succès, différens essais de traitement. Je déclare donc avec cette assurance, ou pour mieux dire avec cette sorte d’autorité que me donne une longue application sur des objets aussi intéressans, qu’aucune partie de l’art n’offroit plus d’erreurs à détruire. Quels obstacles n’opposoit point à ses progrès, l’absurde doctrine des médicamens prétendus spécifiques, qui n’est que trop consolidée par les préjugés les plus anciens? Mais, pour me servir de l’expression hardie du profond Stahl, c’est abuser de l’autorité que de ne se conduire que par elle. Je n’ai pas craint, en conséquence, de démontrer les fautes qu’avoit fait commettre l’ignorance des dogmes physiologiques: j’ai tout ramené aux principes fondamentaux qui dirigent le traitement des autres maladies: j’ai prouvé que les remèdes auxquels on attribue une action particulière sur les altérations de la peau, n’agissent, pour la plupart, qu’en influant sur l’activité des exhalans, qu’en provoquant l’action du système lymphatique, qu’en suscitant les évacuations alvines ou le flux des urines, ou enfin en modifiant, d’une manière quelconque, la puissance des propriétés vitales. Ainsi donc, rendre au système dermoïde l’énergie physique dont il jouit dans l’état ordinaire de santé, rétablir ses rapports nombreux avec les autres systèmes de l’économie vivante, le mettre en harmonie avec toutes les fonctions, tel est le but que se propose le Médecin éclairé, comme on le verra dans le cours de cet ouvrage. Que deviennent dès-lors ces volumineuses compilations publiées par le charlatanisme ou la cupidité, touchant les vertus faussement attribuées a une foule de recettes insignifiantes? Pour dissiper toute erreur, j ai soumis a des épreuves nouvelles une foule de substances généralement employées, de nos jours, contre les maladies des tégumens. telles sont, parmi les végétaux, la dentelaire, la douce-amère, la morelle et autres plantes narcotiques; parmi les minéraux, les préparations mercurielles, antimoniales, saturnines, cuivreuses; l’oxide de manganèse, le sulfate d’alumine, le nitrate de potasse, le muriate de soude, le charbon, et particulièrement le soufre, auquel j’ai fait obtenir une prééminence qu’il n’avoit pas auparavant. J’ai cherché à apprécier justement les effets des graisses oxygénées, des fomentations huileuses, des bains, des eaux thermales et minérales, etc.: j’ai recueilli plusieurs faits sur les résultats favorables de la saignée, dans le traitement des Dartres, de la Gale, etc.: je n’ai pu méconnoître également l’utilité des escarotiques, qui imprimant un violent stimulus à la peau, changent l’ordre de ses mouvemens organiques, et détruisent l’espèce de sécrétion morbifique dont ce systême a contracté l’habitude. On attache une grande confiance aux vésicatoires, aux cautères, aux sétons, à tous les ulcères artificiels: je présenterai des observations curieuses sur l’application de ces moyens. Je ne puis que les énoncer dans ce moment; car le seul objet de ce Discours est de concentrer des vérités que je développerai avec beaucoup plus d’étendue, à mesure que je traiterai chaque point de la science.

Description des maladies de la peau observées à l'hôpital Saint-Louis

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