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VIII
POLITIQUE MENSONGÈRE DE LA RUSSIE.—COMMENT ELLE A DISSOUS LA POLOGNE
ОглавлениеLa Russie, en sa nature, en sa vie propre, étant le mensonge même, sa politique extérieure et son arme contre l’Europe sont nécessairement le mensonge.
Seulement, il y a ici une remarquable différence: autant la Russie, comme race, est mobile, fluide, incertaine, autant, comme politique et diplomatie, elle est fixe, persévérante. Ce gouvernement, étranger en grande partie, souvent tout allemand, ou suivant la tradition du machiavélisme allemand, avec un mélange de ruse grecque et byzantine, varie peu, se recrute d’un personnel à peu près identique. Ministres, diplomates, observateurs, espions de divers rangs et des deux sexes, le tout forme un même corps, une sorte de jésuitisme politique.
Deux puissances ont seules connu la mécanique du mensonge, et l’ont pratiquée en grand: les Jésuites proprement dits, et ce jésuitisme russe.
Le temps moderne, supérieur en toute chose, armé d’une foule de moyens et d’arts nouveaux inconnus à l’Antiquité, offre ici deux œuvres incomparables de mensonges systématiques, deux iliades de fraudes, telles qu’aucun âge antérieur n’eût pu même les concevoir.—La première, accomplie par les Jésuites vers le temps d’Henri IV, fut leur patient travail d’éducation pour refaire un monde de fanatisme et de meurtre, et recommencer en grand la Saint-Barthélemy sous le nom de Guerre de Trente-Ans. L’autre travail, plus moderne, qui dure depuis bien près d’un siècle, c’est la persévérante intrigue par laquelle le jésuitisme russe (j’appelle ainsi cette ténébreuse diplomatie) parvint à dissoudre au dedans la Pologne, à l’envelopper au dehors comme d’un réseau de ténèbres, travaillant toute l’Europe contre, elle, acquérant par flatterie ou par argent les organes dominants de l’opinion, créant une opinion factice, une opinion apparente qui rendait les choses secrètes, enfin, peu à peu enhardie, mêlant aux moyens de ruse une fascination de terreur.
Ce travail a été très long, et il faut beaucoup de temps pour l’étudier. Mais, vraiment, il en vaut la peine. Ceux qui auront la patience de le suivre dans Rulhières, Oginski, Chodsko, Lelewel et autres écrivains, assisteront à une cruelle, mais très curieuse expérience politique et physiologique, celle de voir comment l’animal à sang froid, fixant incessamment de son terne regard l’animal à sang chaud, comme un affreux boa sur un noble cheval, l’attacha, le lia de sa fascination, jusqu’à ce qu’il pût le sucer, affaibli, abattu.
Cela commence doucement. C’est un regard d’intérêt d’abord, une attention de bon voisinage, l’inquiétude fraternelle que donnent à la Russie les dissensions de la Pologne.
Et elle aime tant cette Pologne, qu’elle ne peut souffrir qu’aucun Polonais soit opprimé par les autres. Philosophe, enthousiaste de la tolérance, elle s’intéresse particulièrement aux dissidents; elle vient au secours de la liberté religieuse (qui n’est pas opprimée).
C’est le premier moyen de dissolution, la première opération de la Russie sur la Pologne.
Catherine, à ce moment même, venait de prendre les biens des monastères russes. Elle n’était pas sans inquiétude. Elle imagina de lancer la Russie dans une guerre religieuse, de faire croire aux paysans qu’il s’agissait de défendre leurs frères du rit grec persécutés en Pologne par les hommes du rit latin. La guerre prit un caractère de barbarie effroyable. Sous l’impulsion de cette femme athée, qui prêchait la croisade, on vit des populations, des villages entiers torturés, brûlés vifs, au nom de la tolérance.
Tout cela uniquement par amitié pour la Pologne, pour la protection des Polonais dissidents. Ce n’est pas tout, l’impératrice ne protège pas moins les Polonais fidèles à leurs anciennes lois barbares, à leur vieille anarchie.
C’est le second moyen de dissolution.
Admiratrice de l’antique constitution de la Pologne, elle ne souffrira pas que le pays se transforme ni que le gouvernement y prenne aucune force.
Dans ce second travail, la Russie s’attache surtout à créer une Pologne contre la Pologne, comme un médecin perfide qui, se chargeant de guérir un malade malgré lui, saurait habilement, dans ce corps vivant, susciter d’autres corps vivants, y faire naître des vers...
Il y eut là des scènes d’un comique exécrable. Ces Polonais, amis des Russes, donnèrent les plus étranges scènes de patriotisme. On en vit un à genoux dans la diète, au milieu de la salle, tenant près de lui son fils de six ans, et, le poignard à la main, criant qu’il allait le tuer si l’on changeait les vieilles lois, qu’il voulait rester libre ou tuer son enfant.
Voilà la seconde opération de la Russie. La troisième, plus hardie, n’est plus seulement politique, mais sociale. Dès 1794, au temps de Kosciuszko, la Russie n’entre en Pologne que pour assurer le bien-être des innocents habitants des campagnes. Elle pousse le cri de Spartacus, l’appel aux guerres serviles; c’est le premier essai du système appliqué par l’Autriche en 1846, dans les massacres de Galicie.
Troisième moyen de dissolution.
Ce n’est pas l’épée des Russes qui a vaincu la Pologne; c’est leur langue qui a opéré la dissolution. Ils ont vaincu par trois mensonges.
Que serait-ce si nous pouvions montrer ici tous les arts par lesquels la Russie, en même temps, travaillait le monde contre la Pologne, profitant spécialement de la grande passion du dix-huitième siècle pour la liberté religieuse, mettant ainsi le doute dans la pensée européenne, jetant dans l’Occident un premier germe de dissolution!
Une définition profonde, admirable, a été donnée de la Russie, de cette force dissolvante, de ce froid poison qu’elle fait circuler peu à peu, qui détend le nerf de la vie, démoralise ses futures victimes, les livre sans défense:
«La Russie, c’est le choléra.»