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III
CAUSES RÉELLES DE LA RUINE DE LA POLOGNE

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Table des matières

Jamais, depuis Œdipe, depuis l’atroce énigme du Sphinx, jamais la destinée n’a jeté aux nations un plus cruel problème, ni plus mystérieux que la ruine de la Pologne.

Contraste étrange! c’est justement la nation humaine entre toutes qui a été mise hors l’humanité.

La nation généreuse, hospitalière, la nation donnante, si je puis dire, celle pour qui la liberté sans bornes fut un besoin du cœur, c’est celle-là qui a été livrée en proie et dépouillée... Elle mendie son pain par toute la terre.

Le peuple chevalier qui, au prix de son sang, si souvent contre les Tartares et si souvent contre les Turcs, nous a tous défendus... c’est celui dont personne n’a pris la défense à son dernier jour!

Le dix-huitième siècle, qui a vu sa ruine, avait été pour la Pologne une époque de singulière douceur dans les mœurs. Les étrangers qui la visitaient alors nous disent qu’en ce pays, où il n’y avait ni police ni gendarmes, on pouvait parcourir les immenses forêts en toute sécurité, les mains pleines d’or. Presque aucun procès criminel. Les rôles de plusieurs tribunaux établissent que, durant trente années, on n’eut à y juger que des bohémiens ou des juifs, aucun Polonais; pas un noble, pas un paysan accusé de meurtre ou de vol.

«Les Polonais avaient des serfs», dit-on. Et les Russes n’en avaient pas, sans doute? et les Allemands n’en avaient pas? Le servage allemand était très dur, même en notre siècle. Un de mes amis a vu encore dans un État allemand une fille serve dans une loge à chien, avec une chaîne de fer. Nous-mêmes, Français, qui parlons tant, avec toutes nos belles lois, nous n’en avons pas moins des nègres, sans parler des nègres blancs de l’esclavage industriel, qui souvent vaut bien le servage.

Le serf, sous la république de Pologne, payait dix fois moins qu’aujourd’hui. Ajoutez qu’il était exempt du plus terrible impôt qu’exige la Russie. La noblesse portait seule les armes. On ne voyait pas ces longues files de jeunes paysans polonais, la chaîne au cou, qui marchent, piqués par le Cosaque, pour servir l’ennemi de la Pologne, dans le Caucase, en Sibérie, jusqu’aux frontières de Chine. Il en meurt la moitié en route; on en prend d’autres, toujours d’autres, qui ne reviennent jamais. La Pologne n’enfante que pour saouler le Minotaure.

Quel a été, en réalité, le péché de la Pologne? cet esprit romanesque, cet esprit de grandeur (fausse ou vraie) qui a fait des héros, mais qui convenait moins aux citoyens d’une république. Chaque homme était un roi et tenait cour, les portes ouvertes à tous, les tables toujours mises; on priait l’étranger d’entrer, on le comblait de dons. Et ce n’était pas seulement orgueil et faste, c’était aussi une aimable facilité de cœur, une bonté naturelle qui les jetait dans cet excès de libéralité. Tout objet que vous regardiez, que vous paraissiez trouver agréable dans la maison de votre hôte, on vous disait: «Il est à vous.»

Et il aurait paru bas, ignoble, anti-polonais, qu’il en fût autrement: cela était tellement établi dans les mœurs, qu’on disait aux enfants, lorsqu’on les menait en visite: «Prends bien garde de ne pas nommer, de ne louer aucun objet que tu verras. Ce serait indiscret, le maître le donnerait à l’instant.»

Cette libéralité prodigue et la fausse grandeur, la fastueuse vie du chevalier qui vit de gloire et jette l’or, elles eurent un double effet, et très fatal. D’abord, ils regardèrent au-dessous d’eux de s’occuper de leurs affaires, les laissèrent à des intendants qui pressuraient les serfs. Les plus généreux des hommes, les plus humains, les moins avides, se trouvèrent, par ces funestes intermédiaires, être, à leur insu, des maîtres très durs.

Cet éloignement des affaires fut cause aussi qu’ils laissèrent prendre un grand ascendant aux prêtres romains, aux jésuites.—La Pologne, au seizième siècle, était le pays le plus tolérant de la terre, l’asile de la liberté religieuse; tous les libres penseurs venaient s’y réfugier. Les jésuites arrivent; le clergé polonais suit leur impulsion, devient persécuteur. Il entreprend la tâche insensée de convertir les populations du rit grec, les belliqueux Cosaques. Ceux-ci, Polonais d’origine, sauvages, indépendants, comme le fier coursier de l’Ukraine, tournent bride, s’en vont du côté russe. La république de Pologne donna ce jour-là à son ennemi l’épée qui devait lui percer le cœur.

Légendes démocratiques du Nord

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