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IV

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Quand les prévenus eurent achevé de dire «ce qu’ils avaient à dire pour leur défense», on s’occupa de rédiger les questions qui seraient posées aux jurés. Et, aussitôt après, le président commença son résumé des débats.


Avant d’aborder l’affaire elle-même, il expliqua très longuement aux jurés, avec des intonations protectrices, que le vol simple ne devait pas être confondu avec le vol par effraction, et que le fait de dérober quelque chose dans un endroit clos devait être soigneusement distingué du fait de dérober quelque chose dans un endroit ouvert. En expliquant tout cela, il arrêtait de préférence ses regards sur Nekhludov, comme si c’eût été tout particulièrement à lui que fussent destinées les explications, afin que lui-même à son tour, les ayant comprises, se chargeât de les confirmer à ses compagnons du jury. Puis, lorsqu’il eut jugé son auditoire suffisamment imprégné de ces importantes vérités, il passa à des vérités d’un autre ordre. Il exposa que le meurtre signifiait un acte d’où résultait la mort d’un homme, et que, par suite, l’empoisonnement constituait bien un meurtre. Et, quand cette vérité-là, elle aussi, lui parut suffisamment établie, il expliqua aux jurés que, dans le cas où le vol et le meurtre se trouvaient réunis, il y avait ce qu’on appelait un meurtre accompagné de vol.

Le président, cependant, n’oubliait pas qu’il avait hâte de terminer l’affaire au plus vite, afin de rejoindre sa Suissesse, qui l’attendait. Mais il était tellement accoutumé à son métier que, dès qu’il commençait à parler, il ne pouvait plus s’arrêter. Aussi expliqua-t-il longuement aux jurés que, si les prévenus leur paraissaient coupables, ils avaient le droit de les déclarer coupables, et que, s’ils leur paraissaient innocents, ils avaient le droit de les déclarer innocents; que, s’ils les reconnaissaient coupables sur l’un des chefs de l’accusation et innocents sur l’autre, ils avaient le droit de les déclarer coupables sur l’un, innocents sur l’autre. Il leur dit ensuite que, bien que ce droit leur fût départi en toute plénitude, ils avaient le devoir d’en faire un usage raisonnable. Mais, au moment où il allait leur expliquer encore que, s’ils faisaient une réponse affirmative aux questions posées, leur réponse s’appliquerait à l’ensemble de la question, et que, s’ils voulaient que leur réponse portât seulement sur une partie de telle ou telle question, ils devaient avoir soin de le spécifier; au moment où il allait se lancer dans cette nouvelle explication, qui lui aurait pris encore un bon quart d’heure, il eut l’idée de regarder sa montre et s’aperçut avec épouvante qu’il était déjà trois heures moins cinq minutes. Aussi se hâta-t-il d’aborder le fond de l’affaire.

— Voici quel est le fond de l’affaire qui vous est soumise, — commença-t-il, et il se mit à répéter tout ce qui avait été dit déjà un grand nombre de fois et par les avocats, et par le substitut du procureur, et par les témoins.

Le président parlait, et, à ses deux côtés, les deux assesseurs écoutaient d’un air pénétré, en regardant à la dérobée leur montre, et en trouvant que le discours était un peu long, mais d’ailleurs excellent, c’est-à-dire tel qu’il devait être. C’était aussi le sentiment du substitut du procureur, et de tout le personnel du tribunal, et de la salle entière.

Le résumé fini, tout ce qu’il y avait à dire semblait dit. Mais le président ne pouvait se décider à cesser de parler, tant il avait de plaisir à écouter les intonations caressantes de sa voix: de sorte qu’il jugea à propos de dire encore aux jurés quelques mots sur l’importance du droit que la loi leur conférait, et sur la sagesse et sur la circonspection avec lesquelles ils devaient user de ce droit, — en user, non en abuser, — et sur ce que leur serment les liait. Il leur dit qu’ils étaient la conscience de la société, et que le secret de leurs délibérations devait être sacré, etc., etc.

Dès l’instant où le président avait commencé à parler, la Maslova avait fixé les yeux sur lui, comme si elle eût craint de perdre un seul mot de ce qu’il disait. Aussi Nekhludov put-il la considérer longuement, sans avoir à redouter de rencontrer son regard. Et il sentit se passer en lui ce qui se passe d’ordinaire en chacun de nous, quand nous revoyons, après des années, un visage qui autrefois nous a été familier. Il avait été frappé d’abord des changements survenus pendant la séparation; mais peu à peu l’impression de ces changements s’effaçait, et le visage redevenait pareil à ce qu’il avait été dix ans auparavant. Les yeux de son âme, reprenant le dessus sur ses sens, ne lui faisaient plus voir que les traits essentiels, ceux qui exprimaient l’individualité de la jeune femme, ceux que nul changement n’avait pu modifier.

Oui, malgré la tenue de prison, malgré tout l’ensemble du corps devenu plus ample, malgré la poitrine fortement développée, malgré l’épaississement du bas du visage, malgré les rides du front et des tempes, malgré le gonflement des paupières et malgré l’expression pitoyable et impudente à la fois de l’ensemble du visage, c’était bien la même Katucha qui, une certaine nuit de Pâques, avait si innocemment levé son regard sur lui, qui l’avait regardé de ses yeux amoureux, tout souriants de bonheur et tout brillants de vie!

«Et un hasard aussi prodigieux! Que cette affaire se trouve jugée précisément dans la session où je suis juré, afin que, n’ayant jamais rencontré Katucha depuis dix ans, je la revoie ici, sur le banc des accusés! Et comment tout cela finira-t-il? Ah! Si cela pouvait, du moins, se hâter de finir!»

Il ne cédait toujours pas au sentiment de repentir qui, peu à peu, se formait et grandissait en lui. Il s’obstinait à voir là un simple accident qui passerait sans troubler sa vie. Et déjà il reconnaissait la bassesse de ce qu’il avait fait, il avait l’impression qu’une main puissante le ramenait de force en présence de sa faute; mais il ne voulait toujours pas voir la véritable signification de ce qu’il avait fait, ni comprendre ce que cette main qui le poussait exigeait de lui. Il se refusait à croire que ce qu’il avait devant lui fût son œuvre. Mais la main invisible le tenait, le serrait, et déjà il pressentait qu’elle ne le lâcherait lus.

Il s’efforçait de paraître vaillant, il croisait ses jambes l’une sur l’autre d’un air dégagé, il jouait avec son pince-nez, il gardait une pose pleine d’abandon et de naturel, assis sur son siège au premier rang des jurés. Et pendant ce temps, au fond de son âme, il se rendait compte déjà de toute l’ignominie, non seulement de sa conduite d’autrefois à l’égard de Katucha, mais de toute cette vie inutile, perverse, méchante et misérable qu’il menait depuis douze ans. Et c’était comme si le rideau qui, jusque-là, lui avait caché d’une étrange façon et l’infamie de sa conduite envers Katucha et toute la vanité de sa vie, c’était comme si ce rideau eût commencé déjà à se soulever devant lui, lui permettant d’entrevoir ce que, jusqu’alors, il lui avait caché.

Résurrection (Roman)

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