Читать книгу Tous les Contes de Léon Tolstoi (151 Contes, fables et nouvelles) - León Tolstoi - Страница 52
II
ОглавлениеÀ côté du moujik demeurait une petite barinia. Elle avait cent vingt déciatines de terre. Elle était en bons termes avec les moujiks et ne faisait de mal à personne, lorsqu’elle prit pour gérant un soldat retraité qui se mit à accabler les moujiks d’amendes.
Malgré toutes les précautions de Pakhom, tantôt c’est son cheval qui s’aventure dans l’avoine, tantôt c’est la vache qui pénètre dans le jardin, ou les veaux qui s’en vont dans la prairie: pour tout enfin, amende.
Pakhom payait et jurait, et frappait les siens. Et il eut beaucoup à souffrir du gérant pendant cet été. Ce fut avec plaisir qu’il vit revenir le temps de rentrer le bétail, quoiqu’il regrettât d’avoir à le nourrir: du moins il n’avait plus peur, il était plus tranquille.
Pendant l’hiver, le bruit courut que la barinia vendait sa terre, et que le dvornick de la grand’route voulait l’acheter.
Les moujiks en furent très affectés.
— Eh bien! Pensaient-ils, si la terre revient au dvornick, il nous accablera d’amendes plus que la barinia.
Les moujiks – le mir entier – se rendirent auprès de la barinia pour la prier de ne pas vendre au dvornick, mais à eux-mêmes. Ils promirent de payer plus cher. La barinia consentit. Alors les moujiks se concertèrent pour faire acheter la terre par le mir. On se réunit une fois, deux fois, et l’affaire n’avançait guère. Le diable les divisait: ils ne pouvaient s’entendre. Finalement, ils décidèrent d’acheter chacun sa part, dans la mesure de ses ressources. La barinia y consentit.
Pakhom apprit que son voisin avait acheté vingt déciatines chez la barinia, et qu’elle lui avait laissé la faculté de payer la moitié du prix par annuités. Pakhom en fut jaloux.
— On achètera, pensait-il, toute la terre, et moi je resterai sans rien.
Il se consulta avec sa femme.
— Les gens achètent; il faut, dit-il, acheter aussi une dizaine de déciatines; autrement nous ne pourrions pas vivre: ce gérant nous a ruinés par ses amendes.
Il réfléchit au moyen de faire l’achat.
Il avait cent roubles d’économies. En vendant le poulain et une moitié des abeilles, en louant son fils comme garçon de ferme, il put réunir la moitié de la somme.
Pakhom ramassa l’argent, choisit une quinzaine de déciatines de terre avec un petit bois, et alla chez la barinia pour faire l’affaire. Il acheta les quinze déciatines, on topa, et il laissa un acompte. On se rendit à la ville pour dresser l’acte de vente: il donnait la moitié de la somme comptant; quant au reste, il s’engageait à le payer en deux ans. Et Pakhom revint maître de la terre.
Il emprunta encore de l’argent à son beau-frère pour acheter des grains. Il ensemença la terre qu’il venait d’acquérir, et tout poussa bien. En une seule année, il paya sa dette à la barinia et au beau-frère. Et il devint ainsi, lui, Pakhom, un vrai pomeschtchik. C’était sa terre qu’il labourait et ensemençait, c’était sur sa terre qu’il coupait le foin, sur sa terre qu’il élevait son bétail, c’étaient les pieux de sa terre qu’il taillait.
Quand Pakhom va labourer sa terre à lui, quand il vient voir pousser son blé et ses prairies, il est transporté de joie. Et l’herbe lui paraît tout autre, et les fleurs lui fleurissent tout autres. Il lui semblait jadis, quand il passait sur cette terre, qu’elle était ce qu’une terre doit être; et à présent elle lui paraît tout autre.