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VII

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Table des matières

Pakhom se met sur le matelas de plumes, mais il ne peut dormir. Il a toujours la terre en tête.

— Que de choses j’ai faites ici, pensait-il! Je vais me tailler une grande Palestine. Dans une journée, je ferai bien une cinquantaine de verstes: la journée, en cette saison, est longue comme une année. Cinquante verstes, cela fera une dizaine de mille de déciatines. Je n’aurai plus à m’incliner devant personne. Je me procurerai des bœufs pour deux charrues. Je veux louer des domestiques. Je cultiverai la partie qu’il me plaira, et sur le reste je laisserai paître le bétail.

Pakhom ne put s’endormir de la nuit. Avant l’aube seulement il s’assoupit un peu. À peine assoupi, il fait un rêve.

Il se voit couché dans la même kibitka, il entend quelqu’un rire au dehors et s’esclaffer. Voulant savoir qui rit ainsi, il se lève et sort de la kibitka; et il voit le même starschina des Baschkirs assis devant la kibitka, se tenant le ventre des deux mains et riant à gorge déployée. Il s’approche et demande: «Pourquoi ris-tu?» Et il voit que ce n’est plus le starschina baschkir, mais le marchand qui vint chez lui l’autre fois lui parler de la terre. Il demande aussitôt au marchand s’il est ici depuis longtemps: et ce n’était déjà plus le marchand, mais ce même moujik qui était venu le voir. Et Pakhom s’aperçoit que ce n’est déjà plus le moujik, mais le diable lui-même avec des cornes et des pieds fourchus, s’esclaffant et regardant quelque chose. Et Pakhom pense: «Qu’est-ce qu’il regarde? Pourquoi rit-il?»

Il va de ce côté pour voir, et il voit qu’un homme est couché pieds nus, en chemise et en caleçon, le nez en l’air, et blanc comme un linge. Et il regarde, Pakhom, plus fixement quel est cet homme, et il voit que c’est lui-même.

Pakhom fait: Ah! Et se réveille.

Il se réveille et pense: «Il y a tant de rêves!» Il se retourne et voit qu’il fait déjà clair.

— Il faut réveiller les autres et partir! Pensa-t-il.

Et Pakhom se leva, réveilla son domestique dans le tarantass, lui donna l’ordre d’atteler, et alla réveiller les Baschkirs.

Les Baschkirs se levèrent, s’assemblèrent, et le starschina vint aussi. Ils se mirent à boire du koumiss.

Ils offrirent du thé à Pakhom, mais lui ne voulait pas attendre.

— Puisqu’il faut partir, partons, disait-il; il est temps.

Les Baschkirs se réunirent, montèrent qui à cheval, qui en tarantass, et partirent. Pakhom s’installa avec son domestique dans son tarantass. On arriva dans la steppe. L’aurore se levait, on monta sur une petite colline – en baschkir schikhan. – Les Baschkirs sortirent de leurs tarantass et se réunirent en un seul groupe. Le starschina s’approcha de Pakhom, et, lui montrant le pays de la main: — Voilà, disait-il, tout est à nous, tout ce que ton œil aperçoit. Choisis la part qui te plaît le mieux.

Les yeux de Pakhom étincelèrent. Toute la terre était couverte de stipes plumeuses, unie comme la paume de la main, noire comme les graines de pavot, et, aux ravins, il y avait de l’herbe de différentes sortes, de l’herbe jusqu’à la poitrine.

Le starschina ôta son bonnet en peau de renard, et le mit sur le sommet de la colline.

— Voilà, dit-il, le repère. Ton domestique va rester ici. Dépose ton argent. Pars d’ici et reviens ici. Ce dont tu feras le tour t’appartiendra.

Pakhom sortit l’argent, le mit dans le bonnet, ôta son caftan et ne garda que sa poddiovka. Il serra plus fortement sa ceinture, prit un petit sac avec du pain, attacha à sa ceinture une petite bouteille d’eau, redressa la tige de ses bottes, et se tint prêt à partir. Il réfléchissait, incertain de la direction à prendre; mais partout c’était bien. Et il pensa: — C’est bon partout: j’irai du côté où le soleil se lève.

Il se mit du côté du soleil, et attendit qu’il se levât. Et il pensait:

— Il ne faut pas perdre de temps; avec la fraîcheur, la marche est plus facile.

Les Baschkirs à cheval se tenaient prêts, eux aussi, à quitter le schikhan à la suite de Pakhom. Dès que le bord du soleil émergea, Pakhom partit et s’en alla dans la steppe. Les cavaliers le suivirent.

Pakhom marchait d’un pas égal, ni lent, ni rapide. Il fit une verste, et ordonna de poser un jalon. Il continua sa route. Quand il fut bien en train, il accéléra sa marche. Après avoir fait un bout de chemin, il ordonna de poser un autre jalon. Pakhom se retourna: on voyait bien le schikhan éclairé par le soleil et le monde qui s’y trouvait.

Pakhom estima qu’il avait fait déjà cinq verstes. Comme il s’était échauffé, il ôta sa poddiovka, puis renoua sa ceinture, et continua son chemin. Il fit encore cinq verstes. Il faisait chaud; il regarda le soleil: il était temps de déjeuner.

— Voilà déjà un quartier de la journée, pensa-t-il, et il y en a quatre dans la journée; Il n’est pas encore temps de tourner. Je vais seulement ôter mes bottes.

Il s’assit, se déchaussa, et poursuivit son chemin. Il se sentait dispos, et il pensait: — Je vais faire encore cinq verstes et alors je tournerai à gauche. L’endroit est trop bon. Plus je vais, meilleur cela est.

Il continua à marcher tout droit. Il se retourna et vit à peine la colline. Et les gens paraissaient noirs comme de petits insectes.

— Eh bien! Pensa Pakhom, il faut tourner maintenant de ce côté. J’en ai déjà pris assez.

Et il se sentait déjà tout en sueur, et il avait soif. Pakhom leva sa bouteille et but en marchant. Il ordonna de mettre encore un jalon et tourna à gauche il marcha, marcha; l’herbe était haute et il faisait chaud. Pakhom commençait à se fatiguer. Il regarde le soleil, et il voit qu’il est juste le temps de dîner.

— Eh! Bien! Pense-t-il, il faut se reposer.

Pakhom s’arrête: il mange un peu de pain, mais ne s’assied pas.

— Quand on s’assied, pense-t-il, on se couche, puis on s’endort.

Il reste un moment sur place, respire et poursuit sa route.

Il marchait tout d’abord d’un pas leste, le dîner lui ayant rendu ses forces. Mais il faisait très chaud, et le sommeil le gagnait. Pakhom se sentait harassé.

— Mais, pensait-il, une heure à souffrir, un siècle à bien vivre.

Pakhom marcha encore de ce côté pendant une dizaine de verstes; il allait tourner à gauche, lorsqu’il aperçut une fraîche ravine.

— C’est dommage, pensa-t-il, de la laisser en dehors; il poussera ici du bon lin.

Et il continua à aller tout droit. Il engloba aussi la ravine, y planta un jalon et fit un second crochet. Il se retourna vers le schikhan. Les gens s’y distinguaient à peine; il devait en être éloigné d’une quinzaine de verstes.

— Mais, pensa-t-il, j’ai trop allongé les deux premiers côtés; il faut que celui-ci soit plus court.

Il longea le troisième côté en hâtant le pas. Il regarda le soleil: il était déjà proche de son déclin. Pakhom n’avait fait que deux verstes sur le troisième côté, et le but se trouvait encore à une quinzaine de verstes.

— Mon domaine ne sera pas régulier, pensa-t-il, mais il faut aller droit au but. Il y a déjà assez de terre comme cela.

Et Pakhom alla droit vers le schikhan.

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