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Histoire de la petite Varenka qui devient grande en une nuit
Оглавление« Mon Dieu, mais nous avons tout à fait oublié les enfants ! dit la maman après le dîner. Voilà les fêtes passées, et nous ne les avons pas une seule fois emmenés au théâtre ! Passez-moi les programmes ! Nous allons voir s’il n’y a pas quelque chose d’amusant pour eux. »
Varenka, Nikolinka et Lisenka étaient en train de jouer à la « Sirène ». Tous trois étaient nichés dans le même fauteuil : c’était le bateau, qui, sous l’eau, les emmenait vers la fée. Ils figuraient une famille entière de six personnes : la mère, le père, Eugène, Sacha et Milachka. Lisenka jouait le rôle de Milachka et s’apprêtait, pour un instant, à devenir la fée afin de recevoir les arrivants. Mais en attendant, elle prêtait l’oreille à la conversation des grandes personnes.
– Varenka, nous allons aller au théâtre ! Chuchota t’elle tout en continuant à jouer son rôle, qui consistait à souffler et à gesticuler, pour indiquer qu’elle avançait sous l’eau.
– C’est maman qui l’a dit ? demanda Nikolinka.
– Oui, répondit Varenka.
Et le jeu se poursuit, plutôt mal ; les enfants mettaient un temps fou pour arriver jusqu’à la fée, occupés qu’ils étaient à écouter le colloque qui se déroulait entre leur mère et leur oncle. Il s’agissait de choisir un théâtre. Où irait-il ? Au cirque ou au grand théâtre qui donnait « La Naïade et le Pêcheur » ?
– Allez vous habiller, dit enfin la maman.
Il n’était plus question de « Sirène ». Il n’y avait plus ni bateau, ni eau, ni fée.
– Nous, maman ? Demanda l’aînée, Varenka, tout en sachant très bien que cet ordre s’adressait à eux.
Nikolinka et Lisenka attendaient néanmoins la confirmation et regardaient leur mère en silence.
– Allez, allez, montez vite !
Les enfants s’envolèrent comme une portée de moineaux, piaillant et se bousculant. Ils descendirent au bout d’une demi-heure, posément et sagement, prenant garde à ne salir ni froisser leurs vêtements et leurs fanfreluches, la figure et les mains soigneusement lavées.
Tous les trois étaient de charmants enfants ; les deux fillettes surtout, dans leurs robes de mousseline aux rubans roses ; le garçon ne leur cédait en rien, avec sa blouse de soie, d’un rouge feu, serrée dans une ceinture dorée, qu’à son grand désespoir, il n’entrevoyait qu’à peine.
– Est-il possible que je sois aussi jolie que Lisenka ? se demandait Varenka ; et pour s’en assurer, elle se glissa devant un miroir, s’y regarda à la dérobée. Une gentille petite fille apparut en effet dans la glace. Elle appela :
– Lisenka, regarde toi donc ! Tes cheveux sont en l’air !
Mais ce n’était qu’une plaisanterie. Lisenka s’étant approchée, constata que sa chevelure était bien en ordre. Nikolinka voulut aussi contempler sa ceinture dorée.
– C’est tout à fait comme le sabre de mon oncle. C’est aussi beau ! Mais soudain, la bonne, qui attendait derrière la porte avec les manchons, entra et, attirant Lisenka à elle :
– Vous vous êtes encore chiffonée ! Dit-elle en arrangeant la petite robe. Vous ne pourrez pas venir avec nous.
Mais Lisenka savait qu’elle ne parlait pas sérieusement.
– Allez prendre vos précautions avant de sortir, dit l’institutrice en entrant au salon. Elle avait revêtu une belle robe de soie froufroutante, garnie d’un ruban rouge.
– Précautions ! Précautions ! s’écrièrent les enfants, et Lisenka partit la première.
– Moi, je n’ai pas besoin ! annonça fièrement Nikolinka.
– Moi non plus ! dit Varenka.
– Comme elle est belle, Bissotte ! Qu’elle a une belle crinoline ! s’écrièrent les enfants en sautillant autour de Mlle Bissaut, leur gouvernante, qui se regarda à son tour dans la glace, pour voir si, par miracle, elle n’était pas réellement devenue belle.
Leur maman mit beaucoup de temps à s’habiller et les enfants jouèrent encore au docteur froissant leurs vêtements et dérangeant le bon ordre de leurs coiffures. On les gronda, leur disant que ce n’était pas la peine de leur mettre des habits propres et leur assurant qu’on les laisserait à la maison. Tout en étant bien persuadés qu’on n’en ferait rien, ils prenaient des mines confuses bien que la joie les inondât. On finit par les faire grimper dans la voiture. Michel les portait sur le sol caillouteux et les enlevait sur les marchepieds, en les faisant sauter comme des ballons.
Sur le pas de la porte, la vieille Nounou, sans châle, en simple robe malgré le froid, bougonnait sans cesse : le chapeau de Lisenka était tout de travers, Varenka devait cacher ses petites mains ; seul Nikolinka était un brave petit homme puisqu’il n’avait besoin de rien. Enfin, on arriva au théâtre. Là, ce n’étaient que vastes couloirs, où se pressaient des gens inconnus qui passaient en vous bousculant. Maman se renseignait à chaque pas, car Michel ne connaissait pas le chemin ; les enfants se sentirent un peu effrayés mais sans oser se l’avouer. Lisenka crut même que c’en était fait, qu’ils s’étaient égarés, qu’on allait les renverser ou, pour le moins, les emmener quelque part, loin, très loin… C’était cela le théâtre… ! Elle suffoquait de frayeur et, pour un peu, elle se serait mise à pleurer. Certes, elle ne l’avouera jamais, mais je sais qu’elle avait peur. Quand ils furent enfin installés dans la loge et qu’un homme, tout galonné d’or, eut demandé à leur maman les billets, après leur avoir pourtant lui-même ouvert la porte, ils se sentirent mieux, beaucoup mieux même.
Ils ne pouvaient néanmoins se débarrasser d’un léger sentiment de crainte : cette musique qui fait beaucoup de bruit, la lumière éclatante de ces énormes bougies dorées et cette foule, toute cette foule ! Et ces têtes, toutes ces têtes ! Partout, on ne voyait que des têtes ! En haut, en bas, du monde partout, et du vrai ! La maman fit asseoir les enfants devant et s’installa derrière eux. Alors ils commencèrent à examiner curieusement ce qui les entourait.
Toutes ces têtes, c’était vraiment des gens ; ils remuaient même ! Il y avait aussi des enfants, de vrais enfants comme eux ! Juste à côté d’eux, dans la loge voisine, il y avait un petit garçon et une petite fille, si jolis qu’on les eût dits sortis d’un conte de fée. La petite fille, aux boucles tombant sur les épaules, en robe décolletée, était sans doute de l’âge de Varenka. Le garçon avait également de longs cheveux bouclés ; il portait une veste de velours cloutée de boutons d’or. Il était bien plus joli que tous les garçons de leur connaissance. Oui, vraiment, il paraissait échappé d’un conte de fées. Le petit garçon féerique et sa petite voisine observaient également les nouveaux arrivants et tout ce petit monde se détaillait en chuchotant. PZH : Cette histoire se finit-elle là ?