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FORTUNE IMMOBILIÈRE DES QUINZE-VINGTS. SES SOURCES. POSSESSIONS A PARIS ET EN PROVINCE.

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Indépendamment des bienfaits qu’ils reçurent de la munificence royale, les Quinze-Vingts trouvèrent une abondante source de richesse dans la charité des particuliers, et surtout des bourgeois de Paris. Réunis dans de pieuses associations, telles que la confrérie aux bourgeois, la confrérie aux pèlerins de Saint-Jacques et les innombrables confréries d’arts et métiers, les bourgeois y contractaient l’habitude de songer aux pauvres, de visiter les malades, et apprenaient à réserver aux malheureux une part abondante dans les fruits de leur travail.

On ne peut tenir sans émotion entre ses mains les «lettres de dernière volonté » où, après avoir assigné à leurs parents, à leurs amis, à leurs suivants et suivantes quelque legs d’argent, quelque souvenir comme un bijou, un vêtement de prix, ils parcourent en esprit tous les moutiers où ils se sont agenouillés, tous les Hôtels-Dieu où ils ont vu la religion prodiguer ses consolations aux malades, et attribuent à chacun une somme d’argent ou une rente.

En accompagnant les testateurs dans ces longues revues, on sent toujours la pieuse pensée que formulait Jean de Mauroy, quand il ordonnait à son exécuteur testamentaire de répartir, pendant la «semaine péneuse,» 16 l. p. entre les églises et les hôpitaux de Paris, et qu’il lui traçait l’itinéraire à suivre chaque jour dans cette distribution.

Les bourgeois des autres villes se plaisaient à imiter la générosité de ceux de Paris, et à mesure que les Quinze-Vingts furent connus davantage, ils reçurent de tous les points de la France les mêmes marques de sympathie.

Ces dons multipliés ne pouvaient pas tous, on le comprend, être bien importants. Souvent c’est plutôt un souvenir, un témoignage de bienveillance, qu’une véritable donation. C’est une faible somme de sous ou de deniers qu’on portera aux pauvres de l’hôpital, pour leur annoncer qu’un chrétien vient de mourir et, qu’avant de quitter la vie, il a pensé à eux et s’est recommandé à leurs prières.

On ne peut entreprendre le dénombrement des offrandes ainsi faites aux Quinze-Vingts en argent comptant; mais, dans ces charitables distributions, chaque testateur, obéissant à des préférences personnelles, réservait à tel ou tel établissement religieux ou hospitalier quelques libéralités plus abondantes; les Quinze-Vingts furent souvent l’objet de ces prédilections et reçurent de cette façon un grand nombre d’immeubles, et surtout de rentes perpétuelles.

On ne saurait mieux exposer les motifs qui inspiraient le plus souvent ces générosités qu’en reproduisant le préambule de la donation que Jean de Ferrières fit à la congrégation, en 1309,

«attendant et considérant les bonnes prières et oroisons de Deu aprez son decez, pour l’âme de lui et especialement pour les âmes de son père, de sa mère, et de Marguerite, sa première fame, que les 300 povres de la meson des aveugles de Paris et leurs successeurs puent faere, font et ne cessent de faere nuit et jour, et en son cuer pensant la grant povreté d’iceux, le bon loz, la bonne renommée et la fine probité d’iceux.» Le désir d’être associé aux prières des Quinze-Vingts est, en particulier, invoqué dans beaucoup d’actes; nous en avons relevé dix-sept où l’on trouve cette phrase si familière aux bienfaiteurs d’établissements religieux:

«Pour estre accueilliz ès prières, biens fais et oroisons d’icellui hostel.» Ce sentiment, joint à la commisération pour les pauvres aveugles, est évidemment le mobile de toutes les donations qui ne sont pas motivées en termes exprès; mais quelquefois les donateurs se proposaient un but plus spécial: c’est ainsi que Guillaume Langlois, vers 1267, attribua à l’hôpital une rente de 12 l. p. pour l’achat d’un cimetière, et Pierre des Essarts, en 1344, une rente de 5 l. p. pour l’amortissement du clos qu’il avait donné aux Quinze-Vingts.

A côté de ces libéralités pures et simples qui ne font contracter à l’hôtel qu’une dette de reconnaissance, il faut placer un grand nombre de legs d’immeubles, ou de rentes, où l’on stipule la célébration d’un service religieux.

Le plus souvent, c’est un obit que le testateur demande pour le jour anniversaire de son décès. Un obit solennel consistait en vêpres des morts, vigiles à neuf psaumes et neuf leçons, laudes,

«recommandaces,» messe de requiem à diacre, sous-diacre et choristes. Vers le milieu du xvie siècle, le chapitre décida que le prix minimum d’une fondation de ce genre serait de 150 l. t. une fois payées; nous voyons en effet, en 1542, Henri Prévôt et Laurent Bertehel verser pareille somme dans ce but.

D’autres donateurs réclament plusieurs messes des morts pendant l’année, quelques-uns même fondent une ou deux messes par semaine.

Les honoraires des célébrants sont ordinairement fixés dans la charte, qui parfois prescrit en outre une distribution de deniers ou de vivres aux membres de l’hôpital. Tel est le testament où Isabelle de Lyons laisse aux Quinze-Vingts une rente de 7 l. p., à la charge de faire dire un obit solennel tous les ans et de donner à chaque aveugle, après la cérémonie, un pain, une pinte de vin et un hareng frais. Pour mieux assurer l’exécution de la fondation, on ordonne quelquefois de l’inscrire au «matrologe» de l’église.

Jean de Villars, Jean Petit, Jean du Moustier instituèrent une messe quotidienne, une véritable chapellenie. J. Petit avait, à cet effet, élevé dans l’église des Quinze-Vingts l’autel Saint-Jacques, et J. du Moustier l’autel Saint-Maur.

Les prières réclamées par les donateurs ne consistaient pas toujours dans la célébration d’une messe. Ainsi, Pierre Poiré ordonna de réciter chaque samedi l’antienne Inviolata en l’honneur de la sainte Vierge; Nicolas Flamel, le célèbre calligraphe, imposa aux Quinze-Vingts l’exécution d’une cérémonie assez compliquée. Chaque mois, treize aveugles devaient se rendre processionnellement, la croix en tête, à Saint-Jacques-la-Boucherie, sous la conduite d’un prêtre et d’un clerc revêtus de surplis. Ils assistaient dans cette église à un service solennel célébré pour le repos de l’âme de Flamel; le prêtre disait ensuite une messe basse, et les marguilliers de Saint-Jacques leur remettaient chaque fois 47 s. p.. Après une convention passée en 1473, la fabrique de Saint-Jacques ne paya plus aux Quinze-Vingts que 28 s. p. par mois et 3 s. p. tous les ans. Cette clause du testament de Flamel fut observée fidèlement; en 1613, on voit le chapitre ordonner que, «conformément à l’ancienne coustume,» ceux qui assistent à cet obit «seront tenuz d’aller et revenir avec la modestie joyeuse» qui convient à cette procession.

Parmi ces dispositions diverses, citons-en une qui dénote chez son auteur une grande délicatesse de cœur. Richart le Normant ne se contenta pas d’offrir aux aveugles un soulagement matériel, il voulut leur procurer la satisfaction de faire l’aumône à leur tour. Grâce à lui, le ministre de l’hôpital pouvait, chaque semaine, déposer 4 d. p. dans la boîte des pauvres quêteurs des Maisons-Dieu et Maladreries, qui se tenaient le lundi sur le Grand- Pont.

On retrouve enfin dans quelques fondations le désir si universel au moyen âge de reposer dans une église après sa mort.

Dans ce cas, une inscription commémorative était gravée sur une plaque de cuivre placée le long des murs de l’église. Un certain nombre de ces épitaphes sont parvenues jusqu’à nous; on peut les voir dans la chapelle actuelle de l’hospice des Quinze-Vingts, où de Guilhermy les a relevées; la plus ancienne est de la fin du xve siècle.

Le chapitre prit l’habitude d’accepter ces charges, même quand elles étaient imposées par des membres rendus de l’hôpital, c’est-à-dire des personnes qui lui avaient fait abandon de tous leurs biens, ne s’en réservant que l’usufruit. Mais on devait dans la suite se départir de cette pratique, comme le prouve un relevé des fondations fait au XVIIIe siècle.

De telles conditions «ne pouvaient être acceptées par le chapitre, » dit l’auteur de ce mémoire; «c’est une complaisance très grande de sa part qui est devenue très à charge à l’hôpital. Au surplus,» ajoute-t-il, «la plupart des fondations faites par les frères ont été, comme on le verra ci-après, supprimées.» En 1719, en effet, les Quinze-Vingts prirent une mesure que la diminution de la valeur de l’argent rendait nécessaire, et le grand aumônier, suivant l’exemple de la plupart des évêques, réduisit les fondations anciennes, qui constituaient une charge trop lourde pour l’hôpital. Sauf quelques offices et saluts, les services religieux fondés avant 1660 furent remplacés par quatre messes solennelles qu’on devait célébrer chaque année à l’intention des donateurs.

Le résumé suivant fera juger de la popularité qui s’était attachée au nom des Quinze-Vingts et de la force du courant charitable qui s’établit en leur faveur. Nous avons relevé, jusqu’en 1550, 190 donations se subdivisant en 141 libéralités proprement dites et 49 fondations de services religieux.

Leur produit se répartit ainsi: 967 l. 17 s. 11 d. t. de rente, tant à Paris qu’en province, 27 maisons, une grange, une plâtrière et 43 arpents de terre sis à Paris, 14 maisons, 15 arpents de terre et la seigneurie de Cugny en dehors de la ville.

Quelques-unes de ces maisons leur avaient été données non seulement en vue d’augmenter leurs revenus, mais pour assurer un logement à leurs membres, à leurs quêteurs, quand ils viendraient à passer dans ces localités. C’est certainement le but que se proposa Jean Le Cirier, bourgeois de Mantes, quand il leur fit présent de la moitié d’une maison «pour eulx logier en icelle ville;» détail assez curieux, l’autre moitié avait été donnée aux aveugles de Chartres, cette congrégation rivale des Quinze-Vingts . C’est vraisemblablement aussi pour le logement des aveugles eux-mêmes que le prieur de Saint-Aoul était tenu de fournir aux Quinze-Vingts une maison et un jardin au petit Hôtel-Dieu de Provins, «avec plusieurs ustensiles et instruments de ménage,» mais nous ignorons si l’hôpital possédait ce droit en vertu d’une donation.

Sans parler de l’emplacement que saint Louis concéda aux aveugles, et que nous décrivons plus loin avec détail, les propriétés les plus importantes qui furent données aux Quinze-Vingts dans Paris étaient la maison des Trois-Morts et des Trois-Vifs, rue Saint-Honoré, qui leur fut offerte par Jean de Villars en 1334, à la condition qu’il serait inhumé dans l’église et qu’on célébrerait chaque jour une messe à son intention; l’hôtel de la Serpente, que leur légua Jean Lebret, tavernier et bourgeois de Paris, rue du Chantre; un hôtel à «tournelles,» du nom de Château-Frileux, sis au coin de la rue de Jouy, provenant de Jean de Russon; et enfin le clos, don de Pierre des Essarts.

Quand l’hôpital fut fondé, il était borné à l’ouest par la Couture-l’ Évêque, dont cinq arpents furent acquis, avant 1283, par les aveugles pour former un jardin. En 1342, Pierre des Essarts, changeur et bourgeois de Paris, était propriétaire de la Couture-l’ Évêque, qui constituait alors un clos de terre labourable, entouré de murs, et mesurant 38 arpents, 16 perches (à 18 pieds la perche). D’accord avec Jeanne, sa seconde femme, il donna ce vaste terrain aux Quinze-Vingts, à la charge de faire célébrer une messe six fois par an et distribuer ces jours-là à chaque aveugle un pain «de demi-boisseau de blé ou environ». Il leur avait en même temps remis une rente de 100 s. p. pour payer l’amortissement à l’évêque; mais le clos n’était pas affranchi ainsi de toutes redevances, car, en 1407, on constate que le chapitre de Saint-Germain-l’ Auxerrois avait droit d’y prendre la dîme des récoltes.

Cette terre avait d’autant plus de valeur pour l’hôpital qu’elle lui était contiguë ; mais, sous Charles V, la bande de terrain dont nous parlions tout à l’heure, et qui avait été détachée de la Couture-l’Évêque, au XIIIe siècle, pour constituer le jardin des Quinze-Vingts, fut absorbée par les nouvelles fortifications, qui se trouvèrent ainsi passer entre le pourpris de la congrégation et le clos, laissant le long du rempart, dans l’intérieur de Paris, le «chemin allant sur les murs de la ville,» et à l’extérieur, sur les bords du fossé, «le chemin près les fossés de Paris.» Ces deux voies reçurent, au XVIIe siècle, la première, le nom de rue Saint-Nicaise ; la seconde, celui de rue de l’Échelle.

Sur une longueur de 47 toises et deux pieds, à partir de la rue Saint-Honoré, le mur occidental de l’enclos ne touchait pas au chemin des remparts; il en était séparé par une place, d’abord garnie de maisons, mais qui était devenue terrain vague avant 1408; cette place, en 1428, mesurait en moyenne neuf pieds de large.

L’utilisation du jardin de l’hôpital pour la construction des fortifications fut très préjudiciable aux Quinze-Vingts, et ils méritaient bien d’être indemnisés en recevant la propriété de la maison d’Étienne Marcel, après la confiscation des biens de ce bourgeois; car le mur, qu’ils eurent le droit de construire près des fossés, fut loin de compenser le désavantage qui résulta pour eux du sectionnement de leur propriété.

Les aveugles trouvèrent bientôt plus profitable de louer ces terres pour y faire bâtir que de les conserver en culture. En 1392, on les voit se livrer à une série d’accensements où ils concèdent des lots d’un ou deux arpents, sur lesquels s’élèvent peu après des maisons.

Malgré les troubles occasionnés par le voisinage des fortifications pendant les guerres du XVe siècle, cette partie du faubourg reçut un rapide accroissement. L’ancienne Couture-l’Évêque se couvrit de constructions tout le long de la rue de l’Échelle et du chemin conduisant au Roule, qui prit successivement les noms de rue Neuve-Saint-Louis, de rue du Faubourg-Saint-Honoré et de rue Neuve-Saint-Honoré. En 1549, le produit annuel des cens, perçus dans le clos par les Quinze-Vingts, montait à 103 l. 6 s. 3 d. t..

Les deux rues dont nous venons de parler formaient les limites orientale et septentrionale de ce clos. Le mur qui le bornait à l’occident en descendant vers la Seine, pendant 130 toises environ , partait du chemin du Roule, à quelques toises à l’ouest de l’endroit où s’établit, à la fin du XVIe siècle, le couvent des Feuillants; ce point correspond à peu près aujourd’hui à l’intersection des rues de Castiglione et Saint-Honoré. Au sud, la clôture était parallèle à la Seine.

Mais, de ce côté, une portion considérable du clos fut aliénée quand on construisit le château des Tuileries. La reine mère acheta, tout le long de l’ancienne Couture, une bande de terrain large de 71 toises, sur laquelle s’étendit le «manège» et une partie du jardin. Voici quelles seraient à peu près les limites actuelles du quadrilatère formé par le clos: au nord, la rue Saint-Honoré ; à l’ouest, la rue de Castiglione et l’allée qui s’ouvre en face dans les Tuileries; au sud, une ligne parallèle à la Seine, distante de 114 mètres de la grille du jardin qui longe la rue de Rivoli, et continuée jusqu’à l’arc de triomphe du Carrousel; à l’est, la rue de l’Échelle, qu’on prolongerait jusqu’à la ligne dont nous parlions.

Les règlements de l’hôpital assuraient aux Quinze-Vingts la propriété des biens que les frères et les sœurs laissaient après leur mort, mais on comprendra facilement que les acquisitions d’immeubles dues à cette cause présentaient peu d’importance, étant donnée la pauvreté habituelle des membres.

Il n’est pas toujours facile d’ailleurs de déterminer les biens provenant de successions, et il ne suffit pas de voir qu’un immeuble, faisant partie du domaine des Quinze-Vingts, a été acheté par un frère pour en conclure que la congrégation en a obtenu la propriété par voie d’héritage, car les aveugles furent souvent chargés de procéder à des acquisitions pour le compte et avec les deniers de l’hôtel, sans qu’on en fit mention dans le contrat.

On ne trouve de renseignements un peu détaillés sur ce sujet que dans le registre des «rentes et revenus... assizes et situées hors Paris, en plusieurs lieux, escript en l’an 1460.» Le rédacteur a pris soin de marquer les cas où les «héritages,» les immeubles, étaient venus à l’hôpital par la «fraternité » d’un des membres.

Quinze frères ou sœurs laissèrent ainsi en dehors de Paris des terres et des rentes, dont la location ou les arrérages rapportaient chaque année 38 l. 11 s. 6 d. p., plus 7 setiers de blé et 6 anguilles, tandis que les autres possessions des Quinze-Vingts situées hors de la ville fournissaient à cette époque un revenu de 32 l. 4 d. p., plus 6 muids et 11 setiers de blé.

Beaucoup de rentes ou d’immeubles provenaient enfin d’achats. Dès les premiers temps de la fondation, les maîtres de la congrégation s’attachèrent à transformer en revenus perpétuels l’argent comptant qui passait entre leurs mains. Jusqu’en 1330, les archives et le cartulaire ont conservé une centaine de contrats où les aveugles achètent des rentes sur différentes maisons de Paris. D’après les données que fournissent ces actes, le taux moyen de l’intérêt, produit par des capitaux peu importants, aurait été de 7,55 %.

Les acquisitions de maisons et d’immeubles proprement dits étaient beaucoup plus rares, ce qui nuisit gravement au développement de la richesse des Quinze-Vingts, car la valeur de ces immeubles n’aurait fait que s’accroître, tandis que le produit des rentes perpétuelles, tout en restant nominalement le même, perdait insensiblement une partie de sa valeur réelle dans le domaine d’un établissement de main-morte. Déjà, en 1464, les aveugles se plaignent de ne recevoir qu’en tournois le paiement de certaines rentes assignées en parisis, ce qui représente une réduction d’un cinquième sur les arrérages.

Nous avons déjà vu quel était le total de maisons, de terres et de rentes foncières que les donations avaient apportées à l’hôpital. En y ajoutant les produits des successions et des achats, et en tenant compte des pertes qu’avaient pu causer l’insolvabilité des débiteurs, la destruction des bâtiments ou leur mise en criée, par suite du privilège aux bourgeois, voilà comment se résumait, en 1549, la fortune immobilière des Quinze-Vingts.

Dans Paris, ils percevaient 662 l. 6 s. 2 d. t. de rente, sans compter les 103 l. 6 s. 3 d. t. fournis par le clos, et ils possédaient 17 maisons et un demi-arpent de terre, dont la location représentait 988 l. 15 s. t. par an.

Une ferme entourée de 130 arpents de terre et une maison louée 4 l. t. à Vinantes, une ferme avec 120 arpents de terre à Louvres, et 365 l. 3 s. 2 d. t. de rente sur divers immeubles situés dans d’autres villes ou villages, telles étaient en province les propriétés de la congrégation.

Les fermages de Louvres et de Vinantes se payaient en nature, à raison de 7 muids et demi de blé pour le premier domaine, et de 6 muids 4 setiers pour le second, pendant le premier tiers du XVIe siècle.

Les Quinze-Vingts entretenaient avec leurs «laboureurs» des rapports amicaux: en 1503, le fils de l’un d’eux, Remi Groselier, s’étant marié, ils lui envoyèrent, comme cadeau de noces, six écuelles d’étain, du prix de 14 s. p.; mais ces relations étaient quelquefois troublées par les guerres. Ainsi, en 1544, les fermiers de Vinantes prirent la fuite devant des soldats, et l’hôpital dut envoyer de la ville six hommes pour battre le blé.

Jusqu’au milieu du XVIe siècle, la congrégation possédait sur les coteaux voisins de Paris des vignes, où chaque année elle réunissait des coupeurs et des hotteurs qui cueillaient le raisin et le portaient au pressoir. Outre leur salaire, qui était de 2 s. t. pour les coupeurs et de 4 s. t. pour les hotteurs, on fournissait à ces ouvriers un dîner composé de pain, de vin, de viande et de soupe aux choux ou aux navets. Après être sorti du pressoir, le vin était porté à l’hotel. En 1524, la récolte produisit au moins onze muids de vin clairet.

En 1541, les finances des Quinze-Vingts se trouvaient en si fâcheux état qu’ils durent aliéner leurs vignobles; après avoir posé des affiches dans tous les villages des environs de Paris, aux portes des églises, après avoir fait faire, le dimanche, des annonces au prône dans ces paroisses, on procéda à la vente aux enchères

«à la chandelle éteinte, en la manière accoustumée,» de 14 arpents et demi de vignes sis à Argenteuil, à Chaillot, à Clichy, à Montmoyen, à Montmartre, à la Porte-Blanche, à la porte Saint-Antoine, au Roule; et l’on en retira 961 l. t..

L’entretien des immeubles appartenant à l’hôpital nécessitait des dépenses de toutes sortes: ainsi, pour les maisons situées à Paris, il fallait paver la rue qui passait devant, réparer les cheminées ou les portes, renouveler souvent la peinture des enseignes et les potences de bois qui les supportaient, et tous ces frais diminuaient d’autant le revenu des biens immobiliers.

D’ailleurs, le chiffre que nous avons donné tout à l’heure pour le total de ces revenus, exact en théorie, ne l’était pas en pratique. L’évaluation que nous avons prise est celle que le receveur dressait d’après les titres, mais les budgets promettent souvent plus qu’ils ne tiennent, et le rendement effectif était loin d’égaler celui qu’on pouvait prévoir dans l’ «ordinaire» du compte. A la suite des «mises» de chaque année, il fallait toujours inscrire en dépense une somme considérable représentant la différence entre le montant nominal des rentes et leur produit réel. Un registre du XVe siècle nous donnera un bon exemple de ces corrections apportées, dans chaque budget, au chapitre des recettes.

Ce compte porte sur les années 1429 et 1430, les entrées y sont évaluées à 2,391 l. 5 s. 4 d. p.; mais de la somme prévue il faut déduire 191 l. 9 s. 8 d. p., qui ont été «quittées et remises» à différentes personnes «pour certaines causes qui à ce ont meu les maistre, ministre et gouverneurs d’icellui hostel.»

En dehors de ces remises volontaires, il faut retirer du total général des recettes 233 l. 19 s. 5 d. p. marquées en entrée par les commis, mais qui ont été perdues pour des causes diverses se ramenant toutes aux suivantes:

Tantôt la propriété des maisons, sur lesquelles portait le cens, est passée aux Quinze-Vingts en vertu du privilège aux bourgeois, tantôt les hypothèques dont l’immeuble était chargé ont obligé à renoncer à la rente.

D’autres fois, la maison qui doit le cens est depuis longtemps inoccupée, ou bien le prix du loyer a été remis au locataire pour lui permettre de faire les réparations dont l’immeuble a besoin.

On a dû enfin renoncer à certaines créances, par suite de conventions faites avec le débiteur, ou à cause de son insolvabilité.

En 1525, ces non-valeurs s’étaient tellement multipliées que l’on dut prendre un moyen énergique et donner à bail le recouvrement des rentes. Moyennant 100 l. t., payables par moitié le 30 novembre 1525 et le 30 novembre 1526, Michel Dauphin reçut pour trois ans les arrérages des rentes qui étaient en retard, à la condition de les faire rentrer à ses frais.

Pour l’année 1549, l’évaluation de la recette totale est portée à 3,385 l. 7 s. 1 d. t., sur laquelle somme 981 l. 9 s. t. sont dues de l’exercice précédent; et le déficit pour l’année courante est de 1,094 l. 7 s. 5 d. t.

Ces moins-values dans le revenu des immeubles servirent de prétexte à la fin du XVIIIe siècle à la levée d’un emprunt déguisé sur les biens des hôpitaux. Un édit de 1780 invita les administrateurs des maisons charitables à vendre les immeubles qu’ils possédaient et à verser le prix dans la caisse du domaine, qui devait leur en constituer la rente à 5 %.

Afin de compenser la déperdition de valeur de l’argent, le trésor aurait, tous les vingt-cinq ans, augmenté d’un dixième le contrat de constitution et les arrérages. Pour la plupart des hôpitaux, cette opération n’eut heureusement pas le temps d’être poussée bien loin; mais nous verrons qu’en ce qui concerne les Quinze-Vingts elle venait de s’effectuer quelques jours avant la publication de l’édit. Seulement elle l’avait été dans des conditions moins favorables pour eux, puisque l’État, en touchant le montant du prix de leur enclos, s’était simplement engagé à leur payer une rente à 5 %, sans qu’il fût question d’en majorer le titre tous les vingt-cinq ans.

Comme tout établissement de main-morte, les Quinze-Vingts devaient amortir les «héritages» qu’ils acquéraient, afin de ne pas être «admonestés de les mestre hors de leurs mains dedans an et jour.»

La plupart de leurs premières possessions, situées près de leur enclos, dépendaient de l’évêque de Paris; par la cession de quelques livres de rente, les aveugles en obtinrent l’amortissement.

Pour le clos donné par Pierre des Essarts, ce droit fut de 103 s. p. de cens, c’est-à-dire du double de la redevance dont cette terre était primitivement chargée envers l’évêque.

L’intérêt que le roi portait à la congrégation se traduisit par la générosité avec laquelle, à maintes reprises, il amortit, sans rien exiger en retour, les biens qu’elle possédait dans sa censive; l’amortissement était même quelquefois accordé d’avance pour une somme déterminée de rentes à acquérir.

Souvent l’hôpital tenta de s’affranchir de l’obligation onéreuse de l’amortissement en faisant acheter des immeubles par un de ses membres, qui déclarait dans un acte séparé que l’achat était fait au compte des Quinze-Vingts.

C’est ce qu’on voit pratiquer par Étienne des Granges en 1279, par Galardon, Jean Bellissant, Étienne Guillebert et Jean de Chastenay, en 1430. Mais le fisc fut de tout temps trop clairvoyant pour prendre le change de la sorte. Ainsi, après la mort des quatre derniers frères dont nous venons de parler, les Quinze-Vingts furent poursuivis par le seigneur d’Orville et de Goussainville, qui leur réclama l’amortissement des terres dont ils étaient devenus propriétaires.

Grâce au paiement de 16 écus d’or et à l’engagement de l’associer à leurs prières, ils reçurent l’autorisation de mettre les terres qu’ils possédaient dans sa seigneurie sur la tête de trois hommes «vivants et mourants» qu’ils pourraient remplacer à leur décès, sans payer autre chose que les droits ordinaires de saisine.

Les Quinze-Vingts (XIIIe-XVIIIe siècle)

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