Читать книгу Mémoires de Constant, premier valet de chambre de l'empereur, sur la vie privée de Napoléon - Louis Constant Wairy - Страница 31

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Arrestation du général Moreau.—Constant envoyé en observateur.—Le général Moreau marié par madame Bonaparte.—Mademoiselle Hulot.—Madame Hulot.—Hautes prétentions.—Opposition de Moreau.—Ses railleries.—Intrigues et complots des mécontens.—Témoignages d'affection donnés par le premier consul au général Moreau.—Ce que dit et fait l'empereur le jour de l'arrestation des aides-de-camp de Moreau.—Le compagnon d'armes du général Foy.—Enlèvement.—Rigueur excessive envers le colonel Delélée.—Ruse d'un enfant.--Mesures arbitraires.—Inflexibilité de l'empereur.—Les députés de Besançon et le maréchal M....—Terreur panique et fermeté.—Les amis de cour.—Une audience solennelle aux Tuileries.—Réception des Bisontins.—Réponse courageuse.—Réparation.—Changement à vue.—Les anciens camarades.—Le chef d'état-major de l'armée de Portugal.—Mort prématurée.—Surveillance exercée sur les gens de la maison de l'empereur à chaque nouvelle conspiration.—Le gardien du porte-feuille.—Registres des concierges.—Jalousie de l'empereur excitée par un nom suspect.

Le jour de l'arrestation du général Moreau, le premier consul était dans une grande agitation. La matinée se passa en allées et venues de ses émissaires et des agens de la police. Des mesures avaient été prises pour que l'arrestation se fît à la même heure, soit à Gros-Bois, soit à l'hôtel du général, rue du Faubourg-Saint-Honoré. Le premier consul se promenait fort soucieux dans sa chambre. Il me fit venir et m'ordonna d'aller devant la maison du général Moreau (celle de Paris) observer si l'arrestation avait lieu, s'il y avait du tumulte, et de revenir promptement lui faire mon rapport. J'obéis; mais rien d'extraordinaire ne se passait dans l'hôtel, et je ne vis que quelques limiers de police se promenant dans la rue, l'œil sur la porte de la maison habitée par l'homme qu'on leur avait marqué pour leur proie. Ma présence pouvant être remarquée, je m'éloignai, et en retournant au château, j'appris que le général Moreau avait été arrêté sur la route en revenant à Paris de la terre de Gros-Bois, qu'il vendit quelques mois plus tard au maréchal Berthier, avant de partir pour les États-Unis. Je pressai le pas et courus annoncer au premier consul la nouvelle de l'arrestation. Il la savait déjà et ne me répondit rien. Il était toujours pensif et rêveur, comme dans la matinée.

Puisque je me trouve amené à parler du général Moreau, je rappellerai par quelles fatales circonstances il fut poussé à flétrir sa gloire. Madame Bonaparte l'avait marié à mademoiselle Hulot, son amie, et, comme elle, créole de l'île de France. Cette jeune personne, douce, aimable et pleine des qualités qui font la bonne épouse et la bonne mère, aimait passionément son mari; elle était fière de ce nom glorieux, qui l'entourait de respects et d'honneurs. Mais, par malheur, elle avait la plus grande déférence pour sa mère, dont l'ambition était grande, et qui ne désirait pas moins que de voir sa fille assise sur un trône. L'empire qu'elle avait sur madame Moreau ne tarda pas à s'étendre au général lui-même, qui, dominé par ses conseils, devint sombre, rêveur, mélancolique, et perdit pour jamais cette tranquillité d'esprit qui le distinguait. Dès lors la maison du général fut ouverte aux intrigues, aux complots; tous les mécontens, et le nombre en était grand, s'y donneront rendez-vous; dès lors le général prit à tâche de désapprouver tous les actes du premier consul: il s'opposa au rétablissement du culte, il traita d'enfantillage et de ridicule momerie l'institution de la Légion-d'honneur. Ces inconséquences graves, et bien d'autres encore, arrivèrent, comme bien on pense, aux oreilles du premier consul, qui refusa d'abord d'y ajouter foi; mais comment aurait-il pu rester sourd à des propos qui revenaient tous les jours avec plus de force, et sans doute envenimés par la malveillance?

À mesure que les discours imprudens du général contribuaient à le perdre dans l'esprit du premier consul, sa belle-mère, par une obstination dangereuse, l'encourageait dans son opposition, persuadée, disait-elle, que l'avenir ferait justice du présent; elle ne croyait pas si bien dire. Le général donna tête baissée dans l'abîme qui s'ouvrait devant lui. Combien sa conduite fut en opposition avec son caractère! Il avait pour les Anglais une aversion prononcée, il détestait les chouans et tout ce qui tenait à l'ancienne noblesse. D'ailleurs un homme comme le général Moreau, après avoir si glorieusement servi sa patrie, n'était pas fait pour porter les armes contre elle. Mais on l'abusait, il s'abusait lui-même en se croyant propre à jouer un grand rôle politique. Il fut perdu par la flatterie d'un parti qui soulevait le plus d'inimitiés qu'il pouvait contre le premier consul, en éveillant la jalousie de ses anciens compagnons d'armes.

J'ai vu plus d'un témoignage d'affection donné par le premier consul au général Moreau. Dans le cours d'une visite de celui-ci aux Tuileries, et pendant qu'il s'entretenait avec le premier consul, survint le général Carnot, qui arrivait de Versailles avec une paire de pistolets d'un travail précieux, et dont la manufacture de Versailles faisait hommage au premier consul. Prendre ces deux belles armes des mains du général Carnot, les admirer un moment et les offrir ensuite au général Moreau en lui disant: «Tenez; ma foi, ils ne pouvaient venir plus à propos,» tout cela se fit plus vite que je ne puis l'écrire. Le général fut on ne peut plus flatté de cette preuve d'amitié, et remercia vivement le premier consul.

Le nom et le procès du général Moreau me rappellent l'histoire d'un brave officier, qui se trouva compromis dans cette malheureuse affaire, et ne sortit de peine, après plusieurs années de disgrâce, que par le courage avec lequel il osa s'exposer au courroux de l'empereur. L'authenticité des détails que je vais rapporter pourrait être attestée, au besoin, par des personnes vivantes, que j'aurai occasion de nommer dans mon récit, et dont aucun lecteur ne songerait à récuser le témoignage.

La disgrâce du général Moreau s'étendit d'abord à tous ceux qui lui appartenaient: on connaissait l'affection et le dévonement que lui portaient les militaires, officiers ou soldats, qui avaient servi sous ses ordres. Ses aides-de-camp furent arrêtés, même ceux qui n'étaient pas à Paris.

L'un d'eux, le colonel Delélée, était depuis plusieurs mois en congé à Besançon, se reposant de ses campagnes dans le sein de sa famille, et auprès d'une jeune femme qu'il venait d'épouser; du reste, s'occupant fort peu des affaires politiques, beaucoup de ses plaisirs, et point du tout de conspirations. Camarade et frère d'armes des colonels Guilleminot, Hugo[11], Foy[12], tous trois devenus généraux depuis, il passait avec eux de joyeuses soirées de garnison, et d'agréables soirées de famille. Tout à coup le colonel Delélée est arrêté, jeté dans une chaise de poste, et ce n'est qu'en roulant au galop sur la route de Paris, qu'il apprend de l'officier de gendarmerie qui l'accompagnait que le général Moreau a conspiré, et qu'en sa qualité d'aide-de-camp du général, il se trouve compris parmi les conspirateurs.

Arrivé à Paris, le colonel est mis au secret, à la Force, je crois. Sa femme, justement alarmée, accourt sur sa trace; mais ce n'est qu'après un grand nombre de jours qu'elle obtient la permission de communiquer avec le prisonnier; encore ne le peut-elle faire que par signes: elle restera dans la cour de la prison, pendant qu'il se montrera quelques instans, et passera sa main à travers les barreaux de sa fenêtre.

Cependant la rigueur de ces ordres est adoucie pour le fils du colonel, jeune enfant de trois ou quatre ans. Son père obtient la grâce de l'embrasser. Il vient chaque matin au cou de sa mère; un porte-clefs le conduit au détenu. Devant ce témoin importun, le pauvre petit joue son rôle avec toute la ruse d'un dissimulateur consommé. Il fait le boiteux et se plaint d'avoir dans sa bottine des grains de sable qui le blessent. Le colonel, tournant le dos au geôlier, prend l'enfant sur ses genoux pour le débarrasser de ce qui le gêne, et trouve dans la bottine de son fils un billet de sa femme qui lui apprend en peu de mots où en est l'instruction du procès, et ce qu'il a pour lui-même à espérer ou à craindre.

Enfin, après plusieurs mois de captivité, la sentence ayant été portée contre les conspirateurs, le colonel Delélée, contre lequel il ne s'était élevé aucune charge, est, non pas absous, ce qu'il avait droit d'attendre, mais rayé des contrôles de l'armée et arbitrairement envoyé en surveillance, avec défense de s'approcher de Paris à plus de quarante lieues. Défense lui fut faite aussi d'abord de retourner à Besançon, et ce ne fut que plus d'un an après sa sortie de prison que le séjour lui en fut permis.

Jeune et plein de courage, le colonel voit du fond de sa retraite, ses amis, ses camarades faire leur chemin et gagner sur les champs de bataille un nom, des grades et de la gloire. Lui, il se voit condamné à l'inaction et à l'obscurité. Ses jours se passent à suivre sur les cartes la marche triomphante de ces armées dans lesquelles il se sent digne de reprendre son rang. Mille demandes sont adressées par lui et par ses amis au chef de l'empire; qu'il lui permette seulement de partir comme volontaire, de se joindre, fût-ce le sac sur le dos, à ses anciens camarades. Ses prières sont repoussées. La volonté de l'empereur est inflexible, et à chaque nouvelle démarche il répond: «Qu'il attende!»

Les habitans de Besançon, qui considéraient le colonel Delélée comme leur compatriote, s'intéressaient vivement au malheur non mérité de ce brave officier. Une occasion se présenta de le recommander de nouveau à la clémence, ou plutôt à la justice de l'empereur; ils en profitèrent.

Ce fut, je crois, au retour de la campagne de Prusse et Pologne. De tous les points de la France arrivèrent des députations chargées de féliciter l'empereur sur ses nouvelles victoires. Le colonel Delélée fut unanimement élu membre de la députation du Doubs, dont le maire et le préfet de Besançon faisaient partie, et qui était présidée par le respectable maréchal M***.

Une occasion est donc enfin offerte au colonel Delélée de faire lever la trop longue interdiction qui a pesé sur sa tête et tenu son épée oisive! Il parlera à l'empereur; il se plaindra respectueusement, mais avec dignité, de la disgrâce dans laquelle on l'a tenu si long-temps, sans motif. Il rend grâce du fond du cœur à l'affection généreuse de ses concitoyens, dont les suffrages devront, il l'espère, plaider en sa faveur auprès de sa majesté.

Les députés de Besançon, dès leur arrivée à Paris, se font présenter aux divers ministres. Celui de la police prend à part le président de la députation et lui demande ce que signifie la présence, parmi les députés, d'un homme publiquement connu pour être sous le coup d'une disgrâce, et dont la vue ne peut manquer d'être désagréable au chef de l'empire.

Le maréchal M***, au sortir de cet entretien particulier, entra pâle et épouvanté chez le colonel Delélée.

—Mon ami, tout est perdu! J'ai vu, à l'air du bureau, qu'on est toujours mal disposé contre vous. Si l'empereur vous voit parmi nous, il prendra cela pour une intention ouverte d'aller contre ses ordres, et sera furieux.

—Eh bien, que puis-je faire à cela?

—Mais, pour éviter de compromettre le département, la députation, pour éviter de vous compromettre vous-même, vous feriez peut-être bien....

Le maréchal hésitait.

—Je ferais bien? demanda le colonel.

—Peut-être qu'en vous retirant sans faire d'éclat....

Ici le colonel interrompit le président de la députation.

—Monsieur le maréchal, permettez-moi de ne pas suivre ce conseil. Je ne suis pas venu de si loin pour reculer, comme un enfant, devant le premier obstacle. Je suis las d'une disgrâce que je n'ai pas méritée; encore plus las de mon oisiveté. Que l'empereur s'irrite ou s'apaise, il me verra; qu'il me fasse fusiller, s'il le veut, je ne tiens guère à une vie comme celle que je mène depuis quatre ans. Cependant, monsieur le maréchal, j'en passerai par ce que décideront mes collègues, messieurs les députés de Besançon.

Ceux-ci ne désapprouvèrent point la résolution du colonel, et il se rendit avec eux aux Tuileries, le jour de la réception solennelle de toutes les députations de l'empire.

Toutes les salles des Tuileries étaient encombrées d'une foule en habits richement brodés et en brillans uniformes. La maison militaire de l'empereur, sa maison civile, les généraux présens à Paris, le corps diplomatique, les ministres et les chefs des diverses administrations, les députés des départemens avec leurs préfets et leurs maires, décorés d'écharpes tricolores; tous s'étaient réunis en groupes innombrables, et attendaient, en causant à demi-voix, l'arrivée de sa majesté.

Dans un de ces groupes, on voyait un officier d'une haute taille, vêtu d'un uniforme très-simple et d'une coupe qui datait de quelques années. Il ne portait, ni au cou, ni même sur la poitrine, la décoration qui ne manquait alors à aucun des officiers de son grade: c'était le colonel Delélée. Le président de la députation dont il faisait partie paraissait embarrassé et presque désolé. Des anciens camarades du colonel, bien peu osaient le reconnaître. Les plus hardis lui faisaient de loin un léger signe de tête, qui exprimait à la fois de l'inquiétude et de la pitié. Les plus prudens ne le regardaient pas.

Pour lui, il restait là impassible et résolu.

Enfin, une porte s'ouvrit à deux battans, et un huissier cria: «L'empereur, Messieurs!»

Les groupes se séparèrent; on se mit en haie. Le colonel se plaça dans le premier rang.

Sa majesté commença sa tournée autour du salon. Elle adressait la parole au président de chaque députation, et disait à chacun d'eux quelques paroles flatteuses. Arrivé devant les députés du Doubs, l'empereur, après avoir dit quelques mots au brave maréchal qui la présidait, allait passer à d'autres, lorsque ses yeux tombèrent sur un officier qu'il n'avait jamais vu. Il s'arrêta surpris, et adressa au député sa question familière:

—Qui êtes-vous?

—Sire, je suis le colonel Delélée, ancien premier aide-de-camp du général Moreau.

Ces mots furent prononcés d'une voix ferme, et qui résonna au milieu du profond silence que commandait la présence du souverain.

L'empereur fit un pas en arrière, et fixa ses deux yeux sur le colonel. Celui-ci ne sourcilla point devant ce regard, mais il s'inclina légèrement.

Le maréchal M*** était pâle comme un mort.

L'empereur reprit:—Que venez-vous demander ici?

—Ce que je demande depuis des années, sire; que Votre Majesté daigne me dire de quoi je suis coupable, ou me rétablisse dans mon grade.

Parmi ceux qui se trouvaient assez près pour entendre ces questions et ces réponses, il n'y en avait pas beaucoup qui pussent librement respirer.

Enfin un sourire vint entr'ouvrir les lèvres serrées de l'empereur. Il porta un doigt vers sa bouche, en se rapprochant du colonel, et lui dit d'un ton radouci et presque amical:

—On s'est un peu plaint de ça; mais n'en parlons plus.

Et il poursuivit sa tournée. Il avait à peine dépassé de dix pas le groupe formé par les députés de Besançon, lorsqu'il revint en arrière, et s'arrêtant vis-à-vis du colonel:

—Monsieur le ministre de la guerre, dit sa majesté, prenez le nom de cet officier, et ayez soin de me le rappeler. Il s'ennuie à ne rien faire; nous lui donnerons de l'occupation.

Dès que l'audience fut terminée, ce fut à qui s'empresserait le plus auprès du colonel. On l'entourait, on le félicitait, on l'embrassait, on se l'arrachait. Chacun de ses anciens camarades voulait l'emmener avec lui. Ses mains ne pouvaient suffire à toutes les mains qu'on venait lui tendre. Le général S***, qui la veille même avait encore ajouté aux frayeurs du maréchal M***, en s'étonnant qu'on eût eu l'audace de venir ainsi braver l'empereur, allongea son bras par-dessus les épaules de ceux qui se pressaient autour du colonel, et lui secouant la main le plus cordialement du monde: «Delélée, lui cria-t-il, n'oublie pas que je t'attends demain pour déjeuner.»

Deux jours après cette scène de cour, le colonel Delélée reçut sa nomination de chef d'état-major de l'armée de Portugal, commandée par le duc d'Abrantès. Ses équipages furent bientôt prêts, et au moment de partir, il eut une dernière audience de l'empereur, qui lui dit: «Colonel, je sais qu'il est inutile que je vous engage à réparer le temps perdu. Avant peu, j'espère, nous serons tout-à-fait contens l'un de l'autre.»

En sortant de sa dernière audience, le brave Delélée disait qu'il ne lui manquait plus pour être heureux, qu'une bonne occasion de se faire hacher pour un homme qui savait si bien fermer les blessures d'une longue disgrâce. Tel était l'empire que Sa Majesté exerçait sur les esprits.

Le colonel eut bientôt passé les Pyrénées; il traversa l'Espagne, et fut reçu par Junot à bras ouverts. L'armée de Portugal avait eu beaucoup à souffrir depuis deux ans qu'elle luttait contre la population et contre les Anglais avec des forces inégales. Les subsistances étaient mal assurées, les soldats mal vêtus et mal chaussés. Le nouveau chef d'état-major fit tout ce qu'il était possible de faire pour remédier à ce désordre, et les soldats commençaient à s'apercevoir de sa présence, lorsqu'il tomba malade d'un excès de travail et de fatigue, et mourut avant d'avoir pu, suivant le mot de l'empereur, réparer le temps perdu.

J'ai dit ailleurs qu'à chaque conspiration contre les jours du premier consul, toutes les personnes de sa maison se trouvaient naturellement soumises à une surveillance sévère. Leurs moindres démarches étaient épiées; on les suivait hors du château; leur conduite était à jour jusque dans les plus petits détails. Il n'y avait, à l'époque où le complot de Pichegru fût découvert, qu'un seul gardien du porte-feuille, ayant nom Landoire, et sa place était ainsi des plus pénibles; car il ne pouvait jamais s'éloigner d'un petit corridor noir sur lequel s'ouvrait la porte du cabinet, et il ne prenait ses repas qu'en courant et presque à la dérobée. Heureusement pour Landoire, on lui donna un second; et voici à quelle occasion: Augel, un des portiers du palais, fut désigné par le premier consul pour aller s'établir à la barrière des Bons-Hommes, pendant le procès de Pichegru, afin de reconnaître et d'observer les gens de la maison, qui allaient et venaient pour leur service, personne ne pouvant sortir de Paris sans permission. Les rapports que fit Augel plurent au premier consul. Il le fit appeler, parut content de ses réponses et de son intelligence, et le nomma suppléant de Landoire à la garde du porte-feuille. Ainsi la tâche de celui-ci devint plus facile de moitié. Augel fut, en 1812, de la campagne de Russie; et il mourut au retour, lorsqu'il n'était plus qu'à quelques lieues de Paris, des suites de la fatigue et des privations que nous partageâmes avec l'armée.

Au reste, ce n'étaient pas seulement les gens attachés au service du premier consul ou du château qui se trouvaient soumis à ce régime de surveillance. Dès le moment qu'il devint empereur, il fut établi, chez les concierges de tous les palais impériaux, un registre sur lequel les gens du dehors, et les étrangers qui venaient visiter quelqu'un de l'intérieur, étaient obligés d'inscrire leur nom avec celui des personnes qu'ils venaient voir. Tous les soirs ce registre était porté chez le grand-maréchal du palais, ou, en son absence, chez le gouverneur; et souvent l'empereur le consultait. Il y lut une fois un certain nom, qu'en sa qualité de mari il avait ses raisons, et peut-être même raison, de redouter. Sa Majesté avait précédemment ordonné l'éloignement du personnage; aussi en retrouvant ce nom malencontreux sur le livre du concierge, elle s'emporta outre mesure, croyant qu'on avait osé, de deux côtés, désobéir à ses ordres. Des informations furent prises sur-le-champ, et il en résulta, fort heureusement, que le visiteur suspect n'était qu'une personne des plus insignifiantes, et dont le seul tort était de porter un nom justement compromis.

Mémoires de Constant, premier valet de chambre de l'empereur, sur la vie privée de Napoléon

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