Читать книгу Les quartiers pauvres de Paris : le 20e arrondissement - Louis Lazare - Страница 12

IX

Оглавление

Table des matières

Le 1er janvier 1860, la banlieue suburbaine est frappée des taxes d’octroi de Paris. L’extension des limites de la ville était une mesure trop importante pour n’être pas prévue. De toutes les questions intéressant nos classes laborieuses, celle qui méritait la priorité était sans contredit la question DES MARCHÉS dans la zone annexée.

S’est-on empressé de la résoudre? Pas le moins du monde.

Ce n’est que le 26 mai 1865 que le conseil municipal délibère sur la construction de quatre marchés, parmi lesquels deux seulement doivent profiter à nos quartiers pauvres, c’est-à-dire aux 13e et 14e arrondissements.

Le 15 septembre de la même année est décidée la construction de sept autres marchés dans les 15e, 16e, 17e, 18e 19e et 20e arrondissements. Sans doute l’administration va se montrer jalouse d’exécuter avec ses ressources ces établissements indispensables.

Il n’en est rien, l’administration municipale les abandonne à une compagnie financière, tandis qu’elle s’est réservé la construction de nouveaux théâtres, préférant ainsi le superflu au nécessaire.

Dressons le bilan de cette combinaison. Les dépenses de premier établissement de ces onze marchés se sont élevées à 8,205,101 francs, tandis que la construction des théâtres du Châtelet, Lyrique, de la Gaîté et du Vaudeville, avec la régularisation de leurs abords, ont coûté trois fois autant.

Précisément. alors que l’administration municipale frappait des taxes d’octroi la banlieue suburbaine qui n’avait pas reçu la moindre compensation, nos édiles louaient, par bail du 2 avril 1860, les trois premiers de ces théâtres à raison de 450,000 francs, savoir:


On se tromperait étrangement si l’on croyait que ces trois théâtres rapportent maintenant à la Ville 450,000 francs.

Ces trois exploitations ont sombré successivement; de là diminution forcée des loyers. L’administration municipale, en effet, a consenti pour l’une d’elles, le Lyrique, à ne percevoir ses loyers que sur le montant des recettes; c’est donc là, sans contredit, une société municipale et théâtrale en participation.

Que diraient nos anciens et dignes échevins de Paris s’ils pouvaient renaître un moment pour assister à cette étrange combinaison: de dépenser près de 25 millions pour bâtir des salles de spectacle qui ne rapportent pas 3 pour 100, et refuser de consacrer un peu plus de 8 millions à des marchés qui, bien établis, en pleine agglomération de population, eussent donné un intérêt d’au moins 5 pour 100?

Ainsi, cette fâcheuse opération n’a même pas l’excuse d’un intérêt budgétaire.

Il y a quelque temps, rencontrant sur la place du Châtelet un des membres du conseil municipal de Paris, nous lui montrâmes les deux théâtres bordant les deux côtés de cette voie publique; ils étaient déserts et comme voilés dans l’ombre.

— Déplorable opération, exclama le conseiller; il nous faudra peut-être un jour démolir ces deux théâtres pour leur substituer des maisons de rapport.

Cet aveu, que nous enregistrons ici, n’est-il pas déjà la punition de cette mauvaise combinaison?

Mais ces dépenses impossibles à motiver doivent elles s’arrêter?

Un de ces jours, on verra surgir sur la place du Château-d’Eau, dans l’axe du boulevard du Prince-Eugène, un cinquième théâtre municipal pour l’orphéon. Cette fantaisie coûtera quelque chose comme 5 à 6 millions.

L’architecte, M. Davioud, qui a déjà construit le théâtre du Châtelet et le Théâtre-Lyrique, l’architecte est en mesure, les plans sont dressés, les travaux peuvent commencer.

Heureusement, en cette circonstance, que l’argent fait défaut.

Le directeur des cirques Napoléon et de l’Impératrice, M. Louis Dejean, n’a-t-il pas ouvert plusieurs fois déjà ses portes aux orphéonistes? Pourquoi cette dépense de plusieurs millions, qu’on peut s’éviter si facilement en employant plus utilement dans nos quartiers pauvres des ressources qu’on peut se procurer?

M. le préfet de la Seine n’a-t-il pas conçu, puis arrêté l’étrange projet, dont l’exécution n’est plus permise, de construire en bordure du boulevard du Palais deux salles de spectacle de bas étage?

Comme un nouveau Bobino et le Petit-Lazari eussent été singulièrement placés entre la basilique de Notre-Dame, le Palais de Justice et l’Hôtel-Dieu! La face enfarinée de Pierrot d’un côté, les robes rouges de la Cour de cassation, de la Cour suprême de 1 autre. Puis un prince de l’Église officiant, alors qu’en face on eût joué es compositions à l’instar de l’Œil crevé !

Son Éminence le cardinal Morlot, de sainte mémoire, fit alors écarter tout de suite ce malencontreux projet. Le respect pour notre sainte religion est dans le sang impérial.

Voici ce que Napoléon Ier disait, en 1811, au comte Frochot:

«.... Je veux, monsieur le préfet, qu’on dégage la basilique de Notre-Dame, qu’on donne de l’air à cette aïeule de nos églises, la plus belle comme la plus vénérable... Je crois en Dieu, monsieur le préfet, je ne le discute pas, je le sens... Le peuple de Paris, le plus impressionnable et le plus brave de tous les peuples, est catholique par les yeux comme par le cœur.»

«.... Il s’ennuierait dans les temples froids, monotones et dénudés des protestants. Il lui faut la majesté des grandes basiliques ornées de ta-tableaux et peuplées de statues... Le protestantisme fait des penseurs, des philosophes et des savants; le catholicisme enfante des héros, des poëtes et des artistes... Dès que j’entre dans une antique et imposante cathédrale, j’éprouve comme un frémissement de la Divinité.»

Revenons aux marchés.

Il fallait, en ce qui les concernait, adopter, puis poursuivre un système d’ensemble. On devait étudier les différents groupes de la population de Paris, à cette fin de placer au milieu de chacun d’eux un de ces établissements de première nécessité.

On devait ensuite soumettre ce travail à une enquête sérieuse, de manière à satisfaire à tous les besoins qui s’accusaient.

On devait, cette enquête terminée, procéder à l’exécution de ces marchés, en commençant par ceux dont l’urgence était constatée.

On devait enfin, et c’était une obligation toute morale et humaine, opérer en cette circonstance avec les ressources de la Ville, en excluant les capitaux des compagnies qu’on peut utiliser pour des opérations luxueuses, mais qu’il faut repousser alors qu’il s’agit d’améliorations utiles dont l’administration doit se réserver l’honneur de la réalisation.

En effet, une société de capitalistes n’aspire pas au prix Montyon, mais à gagner de l’argent.

Elle peut préférer tel emplacement à tel autre, parce que le terrain d’un moindre prix est plus à sa convenance. Ainsi la Compagnie Ferrère a construit un marché pour le 20° arrondissement dans la rue de Puébla, c’est-à-dire dans un désert; aussi ce marché est-il mal approvisionné. Sans doute, la Compagnie a fait en cette circonstance une mauvaise opération, mais ce n’est pas là notre affaire. Ce que nous trouvons détestable, c’est l’emplacement d’un marché qui ne sert pas où il est situé, tandis qu’en plein cœur de population il eût été profitable à la moitié d’un arrondissement.

Ensuite, le prix des locations des places est trop élevé pour nos quartiers excentriques, où l’on devrait attirer le plus grand nombre possible de marchands, si l’on veut que la concurrence profite aux acheteurs.

C’est une iniquité que ce tarif similaire pour les quartiers riches et les quartiers pauvres; aussi les détaillants vont-ils naturellement dans les premiers, tandis que les seconds sont peu fréquentés. Il en résulte que le consommateur riche paye relativement moins cher que le consommateur pauvre.

Mais assez de réflexions; des faits maintenant.

Entrons dans le marché de la rue de Puébla pour interroger les quelques marchandes et les rares ménagères qui s’y trouvent.

Ce n’est pas dans leur salon de chêne incrusté d’or que nos édiles peuvent faire de l’administration généreuse et humaine, mais bien sur place, dans la rue, cherchant les abus pour en avoir raison, écoutant les justes réclamations avec la bonne intention d’y faire droit.

On va voir comme le bon sens des femmes du peuple peut donner des leçons à nos administrateurs.

Les quartiers pauvres de Paris : le 20e arrondissement

Подняться наверх