Читать книгу Les quartiers pauvres de Paris : le 20e arrondissement - Louis Lazare - Страница 5
II
ОглавлениеMaintenant, d’où vient cette population? De quelle manière s’est-elle recrutée? Quels sont ses besoins, et comment les satisfaire? A chacune de ces questions nous allons faire une réponse nette et précise.
Rappelons d’abord pour mémoire la circonscription du 20e arrondissement de Paris. Il est limité au midi par les anciens boulevards extérieurs, au nord par la voie militaire, à l’ouest par la grande rue de Belleville, à l’est par l’avenue de Vincennes.
On sait que nos arrondissements excentriques ont été formés, depuis 1860, par l’annexion à Paris d’une grande partie des anciennes communes constituant ce qu’on appelait la banlieue de cette ville.
Il importe de faire ici un rapprochement qui n’est pas sans intérêt. Quelle était, il y a un siècle, la situation de cette zone qui a plus que doublé l’étendue de Paris?
Pour répondre à cette question, nous traçons sur un plan de 1769 les boulevards extérieurs qui n’ont été formés qu’en vertu d’une ordonnance du bureau des finances à la date du 16 janvier 1789. Puis, sur ce même plan de 1769 nous indiquons la ligne circulaire que décrit de nos jours le talus gazonné des fortifications. Eh bien! dans cet emplacement si considérable, qui renferme plus de 44 millions de mètres superficiels, on comptait, en 1769, 52 habitations princières avec des parcs magnifiques, des bois d’une vaste étendue, puis des champs, des prairies immenses toujours cultivés avec soin, parce que leurs produits, fleurs, fruits et légumes, se vendaient à beaux deniers dans la grande ville.
Châteaux, parcs, bois, prairies, presque tout a été démoli, abattu, morcelé, détruit.
Maintenant, limitons nos études au 20e arrondissement, et voyons quelle était sa situation il y a un siècle environ.
A peu près au contre de ce territoire, vers l’ouest, se dressait l’ancien château de Ménilmontant, qu’on appelait, vers le milieu du siècle dernier, le retrait Pompadour. Ce château est maintenant occupé par un orphelinat desservi par des religieuses, bonnes et douces sœurs de charité qui suivent une règle différente de celle que pratiquait la belle damnée, comme l’appelait Marmontel alors qu’il papillonnait autour de Cotillon II. Mais, puisque le mot charité s’est heureusement trouvé sous notre plume, disons que la marquise de Pompadour, courtisane à Versailles, avait parfois du cœur à Ménilmontant.
Dans un acte établissant la propriété d’un champ depuis 1768, nous lisons ces mots: «... Lopin de terre d’un quart d’arpent environ avec maisonnette, au lieu dit les Montibœufs, donnés par Mme de Pompadour à Jeanne-Mathurine Bécheux, gardeuse de moutons, pour lui faire une dot et qu’elle épouse son amoureux, Pierre-Eustache Corterousse, nourrisseur à Charonne. »
Le château de Ménilmontant, ce retrait Pompadour avec ses dépendances, absorbait le quart environ du 20e arrondissement actuel. Après la mort de la marquise, ses héritiers démembrèrent cet ancien domaine, dont une partie fut achetée par Mme Favart; que courtisait un peu militairement le maréchal de Saxe, sans préjudice de l’abbé Voisenon. Plus tard, le Père Enfantin fonda tout à côté la maison des Saint-Simoniens.
Le parc de Ménilmontant était limité au sud-est par un autre domaine appelé le Mont-Louis, et qui appartenait aux R. P. Jésuites; c’est aujourd’ hui le cimetière du Père-Lachaise. Le chemin dit des Partants séparait le Mont-Louis du parc de Ménilmontant. A peu près au milieu de ce chemin, on voyait encore, il y a une vingtaine d’années, un petit bâtiment en forme de rotonde, et qu’on appelait le Pavillon du Roi.
Ce fut dans ce pavillon, d’où l’on dominait tout Paris, que se retirèrent, le 2 juillet 1652, le jeune roi Louis XIV et le cardinal Mazarin pour assister à la bataille Saint-Antoine. Vers la fin de l’action, un aide de camp apporta une dépêche du vicomte de Turenne; le roi fit signe au cardinal d’en prendre lecture. Elle contenait, dit-on, ces mots: «Je tenais M. le prince entre les murailles de la Bastille et une ligne de fer, quand Mademoiselle, faisant ouvrir les portes, a fait pointer les canons de la forteresse sur les troupes royales. Il faut que je me retire lorsque j’allais vaincre.»
Au moment où Mazarin achevait sa lecture, un dernier coup de canon se fit entendre; alors Son Éminence, se tournant vers un groupe d’officiers: «Mademoiselle, dit le cardinal, avait la prétention d’épouser le roi de France, voilà un boulet de canon qui vient de lui enlever son mari.»
Dans ce même champ des Partants, maintenant limité à l’ouest par la rue du Retrait, aujourd’ hui dénommée improprement rue du Ratrait, Fieschi, Pépin et Morey essayèrent leur machine infernale, dont l’effet fut si cruellement meurtrier dans la journée du 28 juillet 1835.
L’emplacement occupé de nos jours par le 20e arrondissement était complété, il y a un siècle, par la Ferme du Chanu, les vignobles des Panoyaux, des Montibœufs, le clos des Cendriers et les dépendances du parc Saint-Fargeau, dont le propriétaire était appelé , en raison de la vaste étendue de son domaine, Marquis de Carabas.
Ces terrains, en grande partie, devinrent propriétés nationales, et furent achetés successivement par les fermiers ou domestiques des grands seigneurs qui les avaient possédés avant la révolution. Communément les acquéreurs les payèrent en assignats, dont la valeur représentative en numéraire ne dépassa pas huit sous le mètre. Ces paysans ne tardèrent par à s’enrichir, et plusieurs y gagnèrent des fortunes de 3 à 400,000 fr.
Les champs et les prairies de Charonne et de Ménilmontant furent morcelés à l’infini, lorsque les Parisiens firent irruption dans la banlieue. Cet envahissement des ouvriers de Paris augmenta sensiblement par le fait des démolitions dans le centre de la ville.
Bien que le vase ne fût pas plein, il débordait avant l’extension des limites de la capitale.
Enfin, ce territoire du 20e arrondissement, qui renfermait à peine 2,500 habitants en 1769, en compte aujourd’hui près de 50,000. — Nous allons faire connaître leurs réclamations.